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Première catégorie centrale : De la découverte du texte à la rencontre de la Parole

CHAPITRE II ANALYSE DES DONNÉES

3.1 Première catégorie centrale : De la découverte du texte à la rencontre de la Parole

Cette première catégorie centrale est en relation avec les catégories principales dont les propriétés mettent en évidence les « conditions » pouvant favoriser le passage de la découverte du texte à la rencontre de la Parole. Cependant, avant de présenter l’ensemble des catégories principales liées à cette première catégorie centrale, il convient de porter une attention spéciale à la catégorie principale « Découverte » qui se retrouve comme le vestibule de chacune des trois catégories centrales comme « Découverte (du texte) », « Découverte (de soi) » et « Découverte (des autres) ». C’est cette catégorie principale qui facilite l’accès aux autres pièces de l’édifice en suggérant certaines conditions favorables ou défavorables pouvant faciliter ou non le déplacement du lecteur ou encore en nommant certains effets produits chez celui-ci. Quand les conditions sont favorables, le déplacement s’exprime par une transformation du lecteur et du groupe.À l’opposé, quand les conditions sont défavorables, le déplacement ne s’opère pas et l’on constate alors une absence de transformation.

En lien avec la première catégorie centrale « De la découverte du texte à la rencontre de la Parole », quatre catégories principales ont été identifiées : « Découverte (du texte) », « Lecture de la Bible en lien avec la vie », « Priorité au texte » et « Personne accompagnatrice ». Ces catégories ont été retenues en raison de leur

densité et aussi de leur capacité à nommer les conditions favorisant une certaine compréhension du phénomène. Ces catégories principales sont aussi en relation avec des sous-catégories. Dans la présentation de la catégorie principale « Découverte (du texte) », après la description de ses principales caractéristiques, les dimensions de celles-ci aideront à prendre conscience de ce qui peut favoriser la rencontre avec la Parole et provoquer un certain déplacement chez le lecteur. Il sera aussi possible d’identifier certaines dimensions qui peuvent rendre l’accueil de la Parole difficile, parfois impossible et empêcher le déplacement du lecteur de la Bible dans un groupe.

Catégorie principale 1.1 : Découverte (du texte)

Cette catégorie annonce le mouvement expérimenté par les lecteurs qui entrent en contact avec le texte biblique dans un groupe de lecture. Ce mouvement se manifeste dans le déplacement expérimenté par le lecteur, mais aussi par le groupe. Les personnes qui lisent ensemble les textes bibliques sont entrainées dans un processus de découverte et de transformation. La caractéristique principale de cette catégorie « Découverte (du texte) », selon une logique à toute épreuve, c’est la dimension de la « nouveauté ». Dans l’acte de lecture du texte biblique avec d’autres, la circulation de la parole facilite une interprétation du texte biblique qui, peu à peu, prend sens pour les personnes. C’est ainsi que les lecteurs passent progressivement de la suspicion face au texte à la découverte du sens (Benoît12)14. La rencontre avec la Parole devient alors

possible.

La catégorie « Découverte (du texte) » se caractérise comme « nouveauté » quand le texte biblique fait peu à peu sens pour le lecteur et devient Parole. C’est alors que des fruits de cet exercice de lecture se manifestent. Aline18 exprime sa reconnaissance : « c’est une grande gratitude que l’on m’ait proposé ce chemin-là. Oui, je

pense que c’est cela qui me vient le plus. C’est comme si, en bout de route un petit peu… pas tant que ça, mais un peu là que je retrouve la joie de continuer à recevoir quelque chose de neuf. La Parole de Dieu n’est pas usée. » Pour Benoît16, c’est la joie de la découverte face au texte et les répercussions dans sa vie :

« Quand je fais une nouvelle découverte, j’aime bien ça. C’est plus quand je relis le soir. Je vois plus comment je peux le vivre, comment je pourrais le vivre. C’est là que ça m’intéresse le plus et c’est peut-être ça qui va me rester le plus dans le fond. C’est ce qui va me rester, ce qui me marque le plus. » Pour Denise4, c’est

l’émerveillement devant la richesse de la découverte : « Je suis contente d’avoir connu cela avant de mourir. Tu sais, parce que je pense que j’aurais manqué quelque chose. Je ne fais pas juste le penser. J’en suis convaincue. Cela a été une richesse dans ma vie. Je l’ai découvert tard, mais mieux vaut tard que jamais. » Il

14 (Benoît12) fait référence à la deuxième entrevue réalisée, d’où la lettre « B » et le prénom fictif « Benoît ». Chacune des entrevues

analysées est identifiée par les lettres de l’alphabet et aussi par un prénom fictif afin de sauvegarder l’anonymat des personnes et en respectant l’ordre de la réalisation des entrevues. Le chiffre en exposant correspond à la numérotation des unités de signification identifiées lors de la codification ouverte.

en est aussi de même pour François3 :« La Bible, on ne touchait pas à ça […] c’est surtout dû au fait que j’ai participé aussi à des programmes de formation qui m’ont mis en contact avec cette richesse-là, puis que j’ai compris l’héritage que ça nous apportait en tant que croyant. »

Si la caractéristique principale de la catégorie « Découverte (du texte) » est la nouveauté et que celle-ci peut rendre possible la rencontre avec la Parole, il est important, selon la méthodologie de la théorisation enracinée de mesurer l’impact des principales dimensions de cette catégorie. Dans le cadre de ce projet de recherche, il s’avère difficile, même très difficile, de mesurer quantitativement les variations des caractéristiques des différentes catégories. Cependant, celles-ci invitent à leur porter une attention spéciale, car elles révèlent une tendance, indiquent une direction qui montre ce qui facilite ou ce qui empêche le déplacement ou une certaine transformation chez le lecteur. Ces conditions seront mises en évidence dans un tableau après la présentation de chaque catégorie centrale.

Sous cet angle, la sous-catégorie « Accès direct au texte biblique » apparaît comme une dimension facilitant le déplacement du lecteur. Charles4 en parle ainsi : « le fait pour moi de découvrir la Parole de Dieu et d’avoir

un accès direct à la Parole de Dieu sans que cette Parole ait été, disons, digérée à l’avance… de vraiment laisser réagir à tout ça, alors pour moi, c’est très significatif. » Le contraire est aussi vrai. Le fait de ne pas avoir accès direct au texte biblique est une raison qui explique ce qui empêche le déplacement du lecteur. Dans l’histoire récente de l’Église catholique, l’accès au texte biblique pour l’ensemble des baptisés est un phénomène encore assez récent. C’est l’un des fruits du concile Vatican II. C’est cet accès direct aux textes bibliques qui met le lecteur sur le chemin de la découverte du texte et, par conséquent, favorise un possible déplacement.

Une autre dimension de la catégorie « Découverte » est reliée à une autre sous-catégorie « Nouvelle manière de lire la Bible ». Le fait de lire la Bible avec d’autres selon une approche pédagogique est une expérience nouvelle pour plusieurs. Benoît1 l’exprime ainsi: « Je découvre une nouvelle façon de lire parce que je ne la lisais pas de la même façon. Je ne comprenais pas la même chose. C’est une découverte. » En lien avec cette nouvelle manière de lire la Bible, Charles44 mentionne que les diverses façons de partager le texte biblique est aussi de l’ordre de la découverte : « ce n’est pas tout le monde qui l’aborde de cette façon-là. Alors moi, cela me permet, en partageant comme cela la Parole, de voir qu’il n’y a pas juste une façon de partager l’Écriture. » Il en est de même avec la découverte des différents évangiles qui nourrit l’intérêt de Charles22. Cette manière de lire la Bible rend donc possibles des découvertes qui favorisent un certain

Enfin, la catégorie « Découverte (du texte) », qui a pour principale caractéristique la nouveauté, fait déjà entrevoir au lecteur qu’au-delà du texte, il y a une Parole. Le lecteur de la Bible découvre donc peu à peu que la Parole de Dieu expérimentée avec d’autres est agissante et peut transformer la vie (Charles9). La Parole de

Dieu, ainsi découverte, apparaît aussi comme une nouveauté infinie (Aline18). Elle permet de connaître les

personnes et de prendre conscience de l’impact de la Parole dans leurs vies (Aline21, François10). De plus,

cette découverte du texte qui ouvre sur une possible Parole est d’une grande importance, car il ne s’agit pas seulement d’étudier la Bible pour y découvrir le monde juif et la culture dans laquelle est née la foi chrétienne, mais bien de découvrir Jésus dans son humanité ainsi qu’une nouvelle image de Dieu (Denise4, 44, 7 ;

François14). La catégorie « Découverte (du texte) » qui invite le lecteur à un déplacement est fortement reliée à

une autre catégorie principale qui a pour nom : « Lecture de la Bible en lien avec la vie ».

Catégorie principale 1.2 : Lecture de la Bible en lien avec la vie

Cette catégorie montre que la découverte du texte, qui peut rendre possible la rencontre avec la Parole, passe par une lecture de la Bible en lien avec la vie dans son sens le plus large. Plusieurs concepts, à l’origine de cette catégorie, décrivent l’importance d’une pratique de lecture biblique avec d’autres qui soit en lien avec la vie concrète du lecteur avec son histoire et tout son environnement. Pour Benoit1, son expérience de lecture

de la Bible dans un groupe, selon une approche qui favorise la rencontre du texte biblique et la vie, apparaît comme une caractéristique sous le signe de la découverte : « Je découvre une nouvelle façon de lire la Bible parce que je la lisais pas de la même façon. Je ne comprenais pas la même chose. C’est une découverte. » Cette constatation exprime aussi un déplacement chez la personne. Cette découverte est possible parce que la lecture du texte biblique dans le groupe n’a pas pour objectif de réaliser une étude historique de la Bible, mais davantage de permettre de se reconnaitre dans le texte biblique avec toute sa vie :

Je vois toujours le lien entre la vie concrète et ce qu’on lit. C’est la différence avec ce je faisais avant. On pouvait lire des grands bouts qui ne me concernaient pas. C’était l’histoire… Je cherchais bien plus à savoir ce qu’il y avait de vrai dans cette histoire-là au niveau historique que de voir si cela s’appliquait à moi parce que je ne voyais pas le rapport. […] Je regarde : c’est de l’histoire sainte comme on l’appelait à l’époque, mais je ne voyais pas de lien avec moi. Tandis que là, c’est une façon de lire qui s’applique à ma vie personnelle (Benoît2).

Lorsque le texte biblique est lu en lien avec la vie, il prend sens pour le lecteur. Il devient signifiant, parlant. Denise20 l’exprime ainsi : « Ce texte-là me parle. Il y a un lien entre les versets et cela peut s’appliquer

aujourd’hui dans ma vie ». Cette catégorie « Lecture de la Bible en lien avec la vie » explique aussi ce pour

quoi la Bible a été donnée aux croyants de tous les temps. La Bible n’a-t-elle pas pour mission de permettre au lecteur de relire dans la foi, à l’aide des Écritures, les évènements de sa vie pour mieux les comprendre et les discerner? Cette approche de lecture de la Bible semble aussi celle que l’évangéliste Luc a mise en valeur

lorsqu’il raconte comment Jésus lisait les textes du Premier Testament. En guise d’exemple, il s’agit de rappeler comment, dans la synagogue de Nazara, à la suite de la lecture d’un extrait d’Isaïe 61, 1-2, Jésus relie ce texte à sa vie et à la mission que lui a confiée le Père (Lc 4, 16-21).

Avec cette catégorie principale, le passage d’une recherche de connaissances bibliques à l’accueil d’un texte biblique en lien avec la vie apparait comme un chemin pour accueillir la Parole. Il ne s’agit plus de savoir, mais bien de comprendre sa vie. Benoit2 parle de ce passage, de ce déplacement de cette manière : « Je cherchais bien plus à savoir qu’est-ce qu’il y avait de vrai dans cette histoire-là au niveau historique que de voir si cela s’appliquait à moi parce que je ne voyais pas le rapport. »

La lecture communautaire de la Bible, qui fait le lien entre le texte biblique et la vie, n’a pas pour premier objectif le savoir ou les connaissances bibliques. Il ne s’agit pas ici de bouder l’étude scientifique des textes de la Bible qui a ses propres objectifs et qui est essentielle, mais de reconnaitre que l’exégèse biblique ne vise pas nécessairement à favoriser ce passage du texte à la rencontre de la Parole. Henriette19 a partagé

l’importance de cette lecture en lien avec la vie : « c’est pas tant les connaissances intellectuelles qui peuvent rendre meilleur, mais les connaissances qui amènent un mieux-être dans la vie. » Quand la lecture des textes bibliques se fait sans rechercher le lien avec la vie, c’est souvent le savoir qui devient important. Pour la personne croyante, cela ne suffit pas pour y trouver un sens et une motivation à poursuivre la lecture ou l’étude des textes. Denise18 rappelle ses expériences du passé sur le sujet : « Parfois je suis allée à quelques

rencontres de Bible, mais je n’accrochais pas. J’y suis allée quelques fois, mais ça ne passait pas après dans ma vie. Cela ne passait pas au niveau de ma tête. Je n’enregistrais pas. »

Cette manière de lire la Bible avec d’autres, en lien avec la vie, permet de prendre de conscience que le texte devient cette Parole qui peut changer la vie. C’est alors une découverte pour la personne qui en fait l’expérience. À ce sujet, Charles8 dit : « Maintenant, tant qu’on l’a pas expérimenté avec d’autres, mais là, c’est difficile de voir, mais le fait, disons, de l’avoir expérimenté avec d’autres et puis de voir que, dans notre vie, cette Parole évidemment peut transformer notre vie. Cette Parole peut être agissante. Bien, c’est définitivement pour moi une découverte. »

Ce texte biblique qui est lu devient Parole parce qu’il rejoint la personne croyante dans sa vie de tous les jours. Cette Parole qui provoque des changements importants dans la vie des personnes les invite à se mettre à l’écoute de Jésus : « Qu’est-ce que le Christ vient me dire à moi aujourd’hui là-dedans? (Henriette6). »

« Comment l’articuler concrètement dans ma vie quotidienne. En tout cas, moi, c’est comme ça que je la vois (Gaston1). »

Cette lecture de la Bible en lien avec la vie dépasse une lecture individualiste pour s’ouvrir à la réalité sociale et politique. Cette manière de lire la Bible est un exercice de discernement pour mieux comprendre sa vie, mais aussi l’histoire récente que l’actualité construit peu à peu. Elle donne au lecteur des critères pour mieux comprendre la réalité et pour mieux vivre sa vie. Les entrevues ont aussi fait apparaître que la lecture de la Bible ouvre non seulement sur la réalité sociale et politique, mais aussi sur la réalité ecclésiale. Ce phénomène, je l’avais aussi observé dans les petites communautés ecclésiales de base du Chili où l’analyse de la réalité sociale et politique prenait une place importante. Dans le contexte québécois, la lecture de la Bible avec d’autres ouvre sur un possible exercice de discernement pour mieux comprendre la réalité sociale et politique, mais aussi sur la vie personnelle dans les relations avec les autres. Henriette8 l’a exprimé de cette manière :

[…] cela me permet, par exemple, de relire les évènements que je vis, puis tous les grands évènements. De confronter cela à l’évangile. Qu’est-ce que ce qu’on vit dans notre société par exemple? Qu’est-ce que dit telle personne? Est-ce qu’elle est conséquente? Cela me permet de faire la différence, entre le mal et la personne pour être capable de voir les deux. Quand on regarde les agissements du Christ, bien que le Christ ne soit pas venu pour juger le monde, mais pour le sauver. Alors, cela me permet de toujours confronter ma vie avec ça.

Pour Benoit4, cet exercice de discernement à partir de la Parole ouvre sur une autre manière de se comporter

dans les moments plus conflictuels en lien avec la réalité sociale :

Pour voir des façons d’y retourner, de mieux comprendre, de mieux réagir. Quand on va entrer en conflit nécessairement je vais y penser, j’imagine. J’ai moins de conflits que j’en avais. Je n’ai plus d’employeur, pas de syndicat. Je ne suis pas en conflit avec personne. N’empêche que dans la façon de vivre des conflits, cela peut être intéressant d’appliquer, de comprendre en lisant la Bible, faire le lien avec ça.

Cet exercice de discernement à partir de la Parole l’aide aussi à mieux comprendre ce qui se passe quand des personnes vivent un conflit : « En fait, là où que je réagis le plus, c’est quand je regarde les nouvelles. Dans l’actualité, mais là, cela n’implique pas ma conduite personnelle à ma façon d’analyser. Eux autres, ils sont dans le binaire vrai, tu sais. La façon de répondre en conflit… Comment ils se répondent (Benoit15). »

Cette manière de lire la Bible en lien avec la vie fait aussi grandir l’intérêt du lecteur pour les Écritures. Peu à peu, les personnes qui participent à un groupe de lecture de la Bible approfondissent leur relation et leurs connaissances du texte et, par le fait même, découvrent un intérêt plus grand pour la lecture de la Bible. Pour Charles24 : « c’est un moment important. J’étais porté à considérer les évangiles sur le même pied au fond,

Pour Denise8, cette manière de faire, non seulement donne le goût de poursuivre la lecture, mais nourrit

l’intérêt et l’incite à approfondir sa recherche.

Moi, j’aime beaucoup l’histoire. Plus je vieillis, l’histoire en général et l’histoire religieuse. Alors donc, cet aspect-là, en plus évidemment de toute la Parole qui est dite. Qu’est-ce que le Christ nous disait à travers les textes des évangélistes? Bien, cela prend du sens et cela m’amène à être beaucoup plus curieuse aussi par rapport à cela, parce que maintenant je vais m’acheter des revues sur la Bible.

Même si la personne développe un intérêt encore plus grand pour la lecture de la Bible, le premier objectif n’est pas l’acquisition de connaissances, mais bien de se laisser interpeler par ce texte qui devient peu à peu Parole de Dieu et qui la rejoint dans son quotidien. Pour Henriette6, la question principale qui se pose est la

suivante : « Qu’est-ce que le Christ vient me dire à moi aujourd’hui là-dedans? » Cependant, elle partage aussi son intérêt pour connaître : « Mais j’aime aussi la recherche fondamentale et j’aime aussi aller chercher qu’est-ce qui s’est passé dans le temps du Christ. Qui est-ce qui régnait? Les écrits de Flavius Josèphe. Faire des recherches sur Internet, j’aime cela aussi (Henriette7).

Cette lecture de la Bible avec d’autres en lien avec la vie facilite la compréhension du texte qui n’est jamais achevée. Il y a un mouvement dans cette manière de lire la Bible et celui-ci permet que le texte dévoile des