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Lire la Bible au coeur de l'Église du Québec

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Academic year: 2021

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Lire la Bible au cœur de l’Église du Québec

Thèse

René Guay

Doctorat en théologie pratique

Docteur en théologie pratique (D.Th.P.)

Québec, Canada

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Lire la Bible au cœur de l’Église du Québec

Thèse

René Guay

Sous la direction de :

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RÉSUMÉ

Depuis plusieurs années, différents engagements pastoraux m’ont amené à m’intéresser tout spécialement à la lecture dans la Bible d’abord, dans les communautés ecclésiales de base au Chili comme missionnaire, aussi au Québec comme professeur et formateur à l’Institut de formation théologique et pastorale (IFTP) et dans l’accompagnement des personnes incarcérées. Sur le terrain, tout au long de ces années, j’ai pu constater que la lecture de la Bible avec d’autres provoquait des changements chez les personnes et aussi dans la vie des communautés et des groupes. À la suite de cette constatation, je souhaitais comprendre le processus de transformation des personnes et des groupes enclenché par une lecture croyante et assidue de la Bible dans des contextes sociaux politiques, économiques et ecclésiaux fort différents.

Pour répondre à la question de recherche qui forme une triangulation où chacun des éléments est en interrelation avec les autres : « Bible », « Spiritualité » et « Faire Église », j’ai travaillé à ce projet de recherche qualitative avec la « Méthodologie de la théorisation enracinée » (Luckerhoff et Guillemette : 2012 : 7), plus connue sous l’appellation de « Grounded Theory ». Selon les auteurs, le processus de cette approche méthodologique « consiste à constamment lier construction théorique aux données du terrain, un processus qui n’est jamais complètement terminé. » C’est donc avec cette méthodologie que j’en suis arrivé à proposer un énoncé de théorisation qui permet de mieux comprendre la dynamique interne du processus d’interprétation de la Bible quand elle est lue dans de petites communautés ou dans des groupes de lecture de la Bible. Cette dynamique interne est faite de différents passages expérimentés par les personnes et les groupes qui osent entrer dans le mouvement de la Parole. Elle montre aussi les conditions qui favorisent ces passages ainsi que les effets sur les personnes et les groupes. L’interprétation théologique permet aussi de constater que la Bible tout entière s’inscrit dans ce mouvement d’une Parole qui produit des transformations dans la vie des personnes et des groupes. Cette thèse confirme une fois de plus qu’il y a là une chance pour l’Église aujourd’hui. Le présent et l’avenir de celle-ci reposent sur la place centrale que celle-ci saura donner à la Parole.

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ABSTRACT

Over the last few decades, I have devoted myself to a variety of pastoral endeavors. This led me in particular to take a renewed interest in the reading of the Bible, first when I worked as a missionary in basic Church communities in Chile, then as a professor and trainer in the Institut de formation théologique et pastorale (IFTP) (Institute of Theological and Pastoral Training) and, later, as a prison chaplain, counselling inmates. During all these years, I realized, at the grass roots level, that reading from the Bible with others provoked changes in the persons, the communities and the groups. This finding awoke in me the desire to understand the process of changes sparked in the persons and the groups by a regular and religious reading of the Bible, in widely different social, political, economic and ecclesiastical contexts.

In order to find an answer to the research question, which is structured on the triangle “Bible”, “Spirituality” and “Forming Church”, I worked on this qualitative research project following the guidelines of the “Méthodologie de la théorisation enracinée” (Luckerhoff et Guillemette: 2012: 7), better known under the English name of “The Grounded Theory”. According to the authors, the process of this methodological method “consists in linking constantly the theoretical construction to the data gathered, a process that is never entirely completed”1. This is the methodology that in the end allowed me to offer a theorization statement that helps to

better understand the internal dynamics of the process of the interpretation of the Bible, when it is read in small communities or in Bible reading groups. The internal dynamics are based on the various transformations experienced by the persons or the groups who dare enter in the movement of the Word. It also illustrates the conditions that are favourable to these transformations as well as the effects on the persons or the groups. The theological interpretation also shows that the entire Bible can contribute to this movement of a Word that sparks transformations in the life of the persons and of the groups. This thesis confirms once again that there is an opportunity for today’s Church. The present, as well as the future of the later lies in the central place that will be made for the Word2.

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... iii

ABSTRACT ... iv

TABLE DES MATIÈRES ... v

LISTE DES TABLEAUX ... vii

LISTE DES FIGURES ... viii

LISTE DES ABRÉVIATIONS ET DES SIGLES ... ix

DÉDICACE ... x

REMERCIEMENTS ... xi

INTRODUCTION ... 1

Problématique d’ensemble ... 1

1. Présentation de l’intervenant chercheur ... 1

2. Objet de la recherche ... 3

3. Question de recherche ... 5

4. Impacts prévisibles ... 8

5. Plan de la thèse ... 14

CHAPITRE I CADRE THÉORIQUE, REVUE DE LITTÉRATURE ET APPROCHES DE

RECHERCHE ... 16

1.1 Cadre théorique ... 16

1.2 Concepts-clés ... 19

1.3 Revue de littérature ... 23

1.4 La théologie pratique ... 37

1.5 Méthode de la théorisation enracinée ... 39

CHAPITRE II ANALYSE DES DONNÉES... 50

2.1 Historique des entrevues ... 50

2.2 Énoncé d’une théorie explicative du phénomène ... 53

2.3 Les catégories sélectionnées : éléments constitutifs du phénomène ... 54

3.1 Première catégorie centrale : De la découverte du texte à la rencontre de la Parole .. 56

3.2. Deuxième catégorie centrale : De la rencontre de la Parole à la découverte de soi et au cheminement spirituel ... 74

3.3. Troisième catégorie centrale : De la rencontre de la Parole à la découverte des autres et du « Faire Église » ... 88

CHAPITRE III INTERPRÉTATION THÉOLOGIQUE ...105

3.1 Une troisième parole ... 105

3.2 L’Église aujourd’hui au Québec ... 132

3.3 Une Église dynamisée par la Parole : Un passage à vivre... ... 133

CHAPITRE IV DES QUESTIONS THÉOLOGIQUES ÉMERGENT… ...137

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4.2 L’Esprit, Souffle du Christ qui donne vie à l’Église ... 143

4.3 Risquer l’Esprit… ... 144

4.4. Des signes des temps à discerner dans l’Esprit ... 145

Conclusion ... 156

CHAPITRE V PROSPECTIVES PASTORALES ET DÉPACEMENTS ...158

5.1 Prospectives pastorales ... 158

5.2 Déplacements de l’intervenant ... 163

CONLUSION ...168

LISTE DES RÉFÉRENCES ...170

OUVRAGES COMPLÉMENTAIRES ...179

ANNEXE I : LETTRE AUX CURÉS DES PAROISSES DE LA VILLE DE QUÉBEC ...184

ANNEXE II : INVITATION À PARTICIPER À UN PROJET DE RECHERCHE SURLA LECTURE

COMMUNAUTAIRE DE LA BIBLE ...185

ANNEXE III : FORMULAIRE DE CONSENTEMENT ...186

ANNEXE IV : QUESTIONNAIRE POUR LA RÉALISATION DE L’ENTREVUE ...189

ANNEXE V : LISTE TOTALE DES INCIDENTS, DES FAITS ...190

ANNEXE VI : ÉCHANGE DE COURRIELS AVEC DES PARTICIPANTS AUX ENTREVUES ...201

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LISTE DES TABLEAUX

Tableau I : 1ère catégorie centrale ...………73

Tableau II : 2ième catégorie centrale………...………...……87

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LISTE DES FIGURES

Figure I : Entrevue avec Charles………...…...50

Figure II : Mouvement………... 51

Figure III : 1ère catégorie centrale………...…… 54

Figure IV: 2ième catégorie centrale………...………..…. 55

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LISTE DES ABRÉVIATIONS ET DES SIGLES

AECQ Assemblée des évêques catholiques du Québec ABP Animation biblique de la pastorale

ARQ Association pour la recherche qualitative CEBI Centro de Estudos Bíblicos

CEFAL Comité épiscopal France Amérique Latine

CELAM Consejo Episcopal Latinoamericano

CERUL Comités d’éthique de la recherche avec des êtres humains de l’Université Laval

DV Dei Verbum

EN Evangelii nuntiandi

EVC Exercices dans la vie courante

GS Gaudium et spes

IFTP Institut de formation théologique et pastorale

LG Lumen Gentium

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DÉDICACE

« La Parole agit en nous tel qu’on est. »

Entrevue de Charles « Accueillez avec douceur la Parole

qui a été implantée [en vous]. » Jc 1, 21b « Il m’a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux pauvres. » Lc 4, 18

À mes parents et à ma famille pour l’héritage et le partage d’une foi qui fait vivre.

À ces femmes et à ces hommes de foi et d’engagement des communautés ecclésiales de base dans les quartiers populaires de Santiago qui ont semé en moi un véritable amour pour cette Parole libératrice. Au peuple de Dieu du diocèse de Chicoutimi qui a faim et soif de la Parole.

À toutes ces personnes qui vivent un temps d’incarcération et qui mettent leur espérance dans cette Parole de Vie…

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REMERCIEMENTS

Ma grande reconnaissance à ma directrice de thèse, Madame Anne Fortin, qui a su tout au long de cet exigeant parcours, mettre sa compétence au service de mon projet de recherche. Son amour de la Parole et son engagement à son service ont été une interpellation constante pour me laisser transformer par cette même Parole. Au cours de toutes ces années, sa grande disponibilité, son accueil toujours chaleureux, sa patience et sa compréhension ont favorisé un accompagnement sérieux, stimulant et rigoureux. Je la remercie du fond du cœur de m’avoir aidé à mener à terme cette thèse en me manifestant constamment sa confiance et en nourrissant la mienne. Je garderai un souvenir heureux de toutes ces années, spécialement pour cet amour inconditionnel de la Parole de Dieu.

Je remercie les personnes, membres de différents groupes de lecture de la Bible de Québec, qui m’ont accueilli et permis de relire, par le moyen des entrevues, leur expérience de lecture la Bible avec d’autres. Sans leur précieuse collaboration, ce projet de recherche n’aurait pu se réaliser.

Merci aussi à Messieurs Jacques Racine et Michel Stein qui ont donné généreusement de leur temps et de leurs conseils lors des rencontres du Comité de thèse pour que ma démarche puisse s’enrichir de leur expérience et de leur savoir. Merci pour le grand intérêt qu’ils ont su démontrer.

À la direction et au personnel de la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, j’adresse un énorme merci pour l’enseignement reçu et pour tous les services rendus. J’ai toujours vraiment apprécié votre professionnalisme, vos compétences et votre grand intérêt pour la recherche.

Je veux aussi manifester ma gratitude à mes collègues de l’Institut de formation théologique et pastorale du diocèse de Chicoutimi. J’ai été privilégié de pouvoir compter sur votre amitié, votre compréhension et votre soutien constant. Je vous en suis et vous en serai éternellement reconnaissant. Votre préoccupation constante pour ma personne ainsi que votre intérêt soutenu pour ce projet de recherche sur la lecture communautaire de la Bible m’ont vraiment aidé à poursuivre et à croire que cela pouvait être utile dans le contexte d’un monde en bouleversement et d’une Église en changement.

Merci également aux membres du Conseil d’administration de l’Institut de formation théologique et pastorale ainsi qu’aux autorités du diocèse de Chicoutimi qui m’ont encouragé à poursuivre ce projet de recherche pour un service enrichi à l’Église.

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Enfin, un merci à ma famille et aux amis qui m’ont encouragé tout au long de ces années. Ma reconnaissance s’exprime tout spécialement envers ma sœur Lisette qui a mis ses talents de secrétaire au service de ce projet de recherche. Merci aussi à ceux et celles qui ont accepté de me rendre un service ou l’autre pour mener à terme ce projet.

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INTRODUCTION

Au point de départ, il convient de préciser que cette recherche est d’abord le fruit d’une longue expérience pastorale en Amérique latine et au Québec. Au-delà des exigences d’un travail universitaire, ce projet d’études sur la lecture communautaire de la Bible s’inscrit comme une empreinte gravée dans mon cœur par de nombreuses années de vie partagée avec des personnes passionnées par une Parole qui fait vivre. Cette passion pour la Parole m’a été donnée par ces pauvres des communautés ecclésiales de base du Chili, mais aussi par ces femmes et ces hommes du Québec qui osent, aujourd’hui, ouvrir le Livre et se laisser rejoindre dans leur vie de tous les jours. En raison de la force de cette expérience très personnelle, il m’est apparu impossible de rédiger cette thèse dans une forme impersonnelle. C’est pourquoi, tout en respectant les exigences de rédaction de la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l’Université Laval, j’ai rédigé l’ensemble de ce travail en utilisant les pronoms personnels qui expriment l’intensité de l’expérience vécue par l’intervenant que je suis. De plus, la présence des femmes et des hommes de chez nous dont la foi veut apprendre à se dire et à se partager à la lumière de la Parole m’a accompagné tout au long de la rédaction. C’est avec cette Église vivante que j’ose partager les fruits de cette recherche. Pour cette raison, une forme plus familière d’écriture s’imposait aussi.

Problématique d’ensemble

1. Présentation de l’intervenant chercheur

Prêtre du diocèse de Chicoutimi, j’ai travaillé, comme missionnaire au Chili, dans les quartiers ouvriers de la périphérie nord, puis sud, de Santiago entre les années 1979-1992. Mon service pastoral consistait surtout à travailler à la naissance et à l’accompagnement des communautés ecclésiales de base. Pendant les années de la dictature, je me suis aussi engagé de différentes manières dans la défense des droits de la personne. C’est aussi au cours de ces années, dans ce contexte difficile du Chili et de l’Amérique latine, que j’ai pris conscience de l’importance de la lecture de la Bible pour les membres des communautés ecclésiales de base. J’ai pu voir comment la lecture de la Bible pouvait être une Parole, donneuse de vie et d’espérance, au cœur d’une culture qui engendre la mort. Pendant ces années de travail pastoral, j’ai été un témoin privilégié de l’importance de la place de la Bible au cœur du projet pastoral du Vicariat de la zone nord, puis de la zone sud, de l’archidiocèse de Santiago et plus spécialement dans les paroisses des milieux populaires.

À mon retour du Chili, j’ai travaillé une douzaine d’années comme directeur spirituel au Grand Séminaire de Chicoutimi et, en même temps, comme accompagnateur spirituel auprès des agentes et des agents de pastorale laïques du diocèse. En août 2006, mon évêque m’a nommé responsable du Service diocésain

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d’accompagnement spirituel3. Cependant, depuis août 2004, je travaille aussi comme professeur à l’Institut de

formation théologique et pastorale du diocèse de Chicoutimi (IFTP)4. En plus d’assurer l’enseignement de

quelques cours de niveau universitaire, j’ai aussi la responsabilité de la formation biblique des personnes engagées dans les paroisses et dans les mouvements. Dans le cadre de cette responsabilité, j’anime des ateliers de lecture communautaire de la Bible en m’inspirant, avec certaines adaptations pour le Québec, de la pédagogie du Centro de Estudos Bíblicos, mise de l’avant par le bibliste Carlos Mesters5. Les personnes

participantes à ces ateliers sont souvent des bénévoles qui font partie du noyau dur qui gravite autour des responsables de la communauté chrétienne. Habituellement, ce sont des personnes d’un certain âge, souvent retraitées, qui n’ont pas vraiment eu la possibilité de fréquenter la Bible et de se laisser former par elle. Il arrive parfois que quelques personnes plus jeunes se joignent au groupe des personnes qui s’inscrivent à ces ateliers parce que la Bible provoque un certain attrait chez elles. À chaque fois, à chaque endroit, je fais le constat, et les personnes participantes me le confirment, que l’Église, chez nous, malgré les efforts louables de ces dernières années, s’appuie encore peu sur la Bible pour dynamiser la vie spirituelle et pastorale des communautés chrétiennes. De plus, elle ne mise pas suffisamment sur la dimension communautaire de l’expérience chrétienne que le concile Vatican II a remise de l’avant en définissant l’Église comme peuple de Dieu.

Dans l’animation des ateliers de lecture communautaire de la Bible, la pédagogie utilisée permet aux personnes de lire ensemble les textes bibliques pour mieux comprendre leur vie aujourd’hui. Elle leur permet aussi d’expérimenter, par des temps de partage et de travail en équipe, la vie des petits groupes dans un contexte ecclésial. L’objectif principal de ces ateliers est de donner l’occasion aux personnes d’entrer en contact avec la Bible et de l’apprivoiser en la lisant avec d’autres tout en expérimentant une manière d’être Église. Jusqu’à présent, les ateliers Initiation à la Bible ont eu un bon pouvoir d’attraction au cours des années en raison même du peu de formation biblique des personnes bénévoles engagées en Église d’une part et en raison de leur intérêt à découvrir la Bible d’autre part. L’autre série d’ateliers Bible et communauté a suscité moins de demandes. Cela peut s’expliquer par l’intérêt suscité par la première série et aussi par le peu d’empressement ou du manque de temps des responsables des paroisses pour adapter le modèle paroissial aux nouveaux défis de l’évangélisation dans le contexte du Québec. Dans l’ensemble, au terme des ateliers, les personnes participantes en arrivent peu à peu à surmonter leurs craintes de la Bible. Elles sont aussi très

3Le Service diocésain d’accompagnement spirituel du diocèse de Chicoutimi a pour mandat de réunir une équipe de personnes

accompagnatrices spirituelles afin de permettre que toute personne mandatée par l’évêque puisse avoir la possibilité d’être accompagnée spirituellement.

4L’Institut de formation théologique et pastorale a été fondé en 2003 par Mgr Jean-Guy Couture afin d’assurer l’enseignement de la

théologie au diocèse de Chicoutimi. Depuis 2005, l’Institut est engagé dans un partenariat avec la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval.

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heureuses de vivre cette expérience de lecture de la Bible avec d’autres. Ce sont là des effets importants de ce travail.

À la suite de mon passage dans les différentes paroisses et dans les mouvements, je constate que les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes que j’avais au départ même si je remarque un certain engouement pour la lecture de la Bible. Il arrive que certaines petites équipes, formées lors des ateliers de lecture communautaire de la Bible, continuent de se réunir une fois ou deux par mois. Parfois, de petits projets de lecture communautaire de la Bible ont été réalisés par ces équipes comme une suite aux ateliers bibliques. Malgré les succès mitigés, je reconnais la valeur de ce travail de formation à la lecture communautaire de la Bible réalisé au long de ces années.6 En effet, j’ai été témoin de certains changements chez les personnes

participantes aux ateliers et dans les groupes bibliques. Cependant, il reste tant à faire dans mon diocèse dans ce domaine que cela m’invite à m’interroger sur ma pratique comme intervenant afin de l’améliorer en vue d’un meilleur service pastoral.

2. Objet de la recherche

En octobre 1992, je revenais donc du Chili, riche des nombreuses expériences en lien avec la lecture de la Bible. J’aurais souhaité partager cette expérience avec le plus grand nombre possible de personnes engagées en Église. En effet, la longue tradition de la lecture communautaire de la Bible en Amérique latine et les bienfaits remarqués tout au long de ces années m’invitaient à m’investir dans cette direction ici même au Québec. Consciemment, je croyais qu’il y avait là des pistes intéressantes pour la vie pastorale de mon Église diocésaine. En adoptant et en adaptant la pédagogie du CEBI7 pour l’animation des ateliers de lecture

communautaire de la Bible, je rêvais intérieurement au renouvellement pastoral et spirituel de mon Église diocésaine. J’avais alors en mémoire ce que j’avais pu observer au Chili quand des personnes se réunissaient pour lire la Bible. J’avais remarqué que la lecture de la Bible dans les milieux populaires permettait aux membres d’une communauté ecclésiale de base de développer un plus grand intérêt pour la Bible, aussi pour la vie spirituelle et pour la vie de l’Église. Cet intérêt grandissant se manifestait également par un engagement pour une plus grande justice sociale et pour un retour à la démocratie. Pour moi, les communautés ecclésiales de base dans les quartiers populaires de Renca (Parroquia Jesús Carpintero) et El Bosque (Parroquia Maria Nuestra Señora del Molino) ont été des lieux privilégiés pour observer ce phénomène.

6L’appellation « lecture communautaire de la Bible » sera présentée comme un des concepts-clés de la question de recherche dans la

partie de cette thèse portant sur le cadre théorique.

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En effet, il est reconnu qu’en Amérique latine, la lecture populaire, aussi appelée aujourd’hui lecture communautaire de la Bible, a transformé la manière de vivre la foi dans les communautés chrétiennes des secteurs les plus pauvres8. Des études réalisées par des théologiens comme Pablo Richard (1988), Fidèle

Masamba Mabundu (2003), Ralf Huning (2007), Carlos Mesters y Francisco Orofino (2008) démontrent ce fait avec clarté. En faisant une lecture de la Bible qui s’inspire des principes de la pédagogie de la liberté et du dialogue, mise de l’avant par Paulo Freire (1978), il se produit des changements dans la vie des personnes et des communautés. En m’appuyant sur l’opinion de ces auteurs, aussi sur mes observations et, tout en tenant compte des deux Instructions de la Congrégation pour la doctrine de la foi de 1984 et1986, je persiste à croire que la lecture populaire de la Bible a favorisé un approfondissement de la vie de foi des plus pauvres, un sentiment de nouvelle appartenance ecclésiale et un désir d’engagement au service de la libération. Cette pédagogie de lecture populaire de la Bible évite le piège que « Paulo Freire appelle la ‘‘conception bancaire’’ de l’éducation, selon laquelle la seule manœuvre qui s’offre aux élèves est celle de recevoir les dépôts, de les garder et de les archiver » (Mabundu 2003 : 281). Cette manière active de lire la Bible redonne la dignité aux personnes et les fait passer du statut de victimes à celui d’acteurs. Dans le sens de cette pédagogie qui rend possible le changement, Mesters et Orofino (2008 : 11) expliquent que la manière de lire la Bible chez les pauvres se caractérise par trois critères, soit le texte, la communauté et la réalité. Pour ces deux biblistes :

Entre les trois, une dynamique interne existe qui donne son cadre au processus d’interprétation populaire : connaître la Bible conduit à vivre en communauté; vivre en communauté conduit à servir le peuple; servir le peuple, à son tour, conduit à désirer une connaissance plus profonde du contexte d’origine de la Bible et ainsi successivement. C’est une dynamique qui n’a pas de terme. Dans ces trois aspects, l’un naît de l’autre, suppose l’autre et conduit à l’autre.

Au cours des dernières années, c’est cette pédagogie de Mesters qui a guidé, en bonne partie, mon travail d’animation des ateliers et des groupes de lecture communautaire de la Bible. En tenant compte de cette expérience, faudrait-il croire que ce qui est réalisable dans les communautés ecclésiales de base d’Amérique latine peut s’appliquer partout dans le monde, peu importe les différents contextes sociaux, culturels et religieux? Mon expérience de formateur en terre québécoise me dit qu’il n’en est pas vraiment ainsi. Il ne s’agit pas de remettre en question la pédagogie de Mesters pour l’Amérique latine et pour les milieux où se vivent des situations de grande pauvreté et d’oppression. Cependant, dans le contexte du Québec où la situation économique et politique, malgré des soubresauts, est moins aigüe, ma pratique m’interroge et m’invite à être prêt à vivre un certain déplacement. Dans la présente recherche, dans le contexte précis du Québec, l’objectif est d’essayer de comprendre comment le processus de transformation chez les personnes et dans les groupes bibliques, provoqué par la lecture communautaire de la Bible, s’opère. Quels sont les

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parcours et les moyens utilisés dans les différents groupes bibliques au Québec qui rendent possible une certaine transformation des personnes? Autrement dit, il m’intéresse de vérifier, en reprenant l’expression de Mesters et d’Orofino (2008 : 11), quelle dynamique interne peut servir de cadre au processus d’interprétation de la Bible dans les groupes bibliques au Québec.

Depuis plusieurs années, j’ai mis passablement d’efforts pour essayer de comprendre le phénomène longtemps observé des effets de la lecture communautaire de la Bible sur les personnes et sur les groupes. L’évaluation des participants aux ateliers bibliques, les échanges avec d’autres personnes animatrices de groupes bibliques, ainsi que la littérature sur le sujet ne m’ont pas apporté la compréhension souhaitée. Certes, l’expérience de la lecture communautaire de la Bible en Amérique latine a été longuement étudiée, mais qu’en est-il dans les groupes au Québec? Que se passe-t-il quand des personnes, issues du monde du travail, des gens de foi et d’une belle simplicité, lisent ensemble la Bible? Voilà autant de raisons qui expliquent mon intérêt pour cette recherche. De plus, pour écouter la réalité ecclésiale du Québec, j’ai choisi d’aller vers les gens, qu’habituellement, on ne prend pas le temps d’écouter. Ce sont les tout-petits de chez nous, des gens qui ont beaucoup travaillé toute leur vie et qui souvent se dévouent encore bénévolement pour les autres. Ce sont ces personnes que l’on rencontre dans les groupes qui se réunissent autour de la Bible dans les paroisses. L’option préférentielle pour les pauvres se manifeste aussi dans ce choix des personnes et des groupes qui ont aimablement accepté de me partager leur expérience de lire la Bible avec d’autres. J’ai donc voulu donner la parole à ces gens-là et me laisser enseigner l’action de la Parole dans leur vie. Ce projet de recherche a donc un double objectif : d’abord, la compréhension d’un phénomène observable sur mon terrain d’intervention, mais aussi ma transformation comme intervenant en vue d’une amélioration de ma pratique.

3. Question de recherche

1.3.1. Origines et formulation de la question

La question qui guide la présente recherche m’a été fournie, en partie, par les défis que je rencontre sur mon terrain d’intervention. Quand j’ai commencé à animer des ateliers de lecture communautaire de la Bible dans mon diocèse, une certaine illusion pouvait me faire croire que l’approche de Mesters était facilement applicable au Québec et pouvait susciter un enthousiasme pour la lecture communautaire de la Bible semblable à celui que j’avais observé dans les communautés ecclésiales de base en Amérique latine. Des années plus tard, je constate qu’il n’en est pas ainsi pour plusieurs raisons. Au Québec, société sécularisée et avec une Église catholique en crise d’engendrement, la lecture de la Bible dans des petits groupes est un phénomène assez récent et encore peu développé. Cependant, là où j’ai pu en faire l’expérience, j’ai été à

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même d’observer que cette manière de lire la Bible produit certains effets. Ce phénomène observable à petite échelle se vit selon les couleurs propres de la société québécoise et de l’Église locale.

Cette question de recherche m’a aussi été suggérée par les participants aux ateliers et aux groupes de lecture communautaire de la Bible. Souvent au cours des animations, je me référais à mon expérience au Chili. Lors de certains échanges avec les personnes participantes, une même question m’a souvent été posée, et cela de différentes manières. Devant la crise qui affecte l’Église catholique au Québec, les gens voulaient savoir si la lecture communautaire de la Bible pouvait favoriser un renouvellement spirituel et ecclésial. Ils voulaient aussi savoir comment cela pouvait se faire. Ma réponse a toujours été, en m’appuyant sur le Magistère et sur mon expérience personnelle, de reconnaître la fécondité de la lecture communautaire de la Bible quel que soit le milieu. Cependant, dans le contexte d’une société nord-américaine, développée, mais vieillissante et d’une Église en perte de vitesse, même si je peux croire aux fruits de la lecture communautaire de la Bible et que je peux en percevoir certains résultats, je ne peux pas expliquer quels sont ses effets réels, ni comment, concrètement, ils se produisent. De plus, pour répondre à cette interrogation, je ne peux pas non plus m’appuyer sur une tradition reconnue de lecture communautaire de la Bible au Québec.

Cette question de recherche s’inspire aussi de la dynamique interne du processus d’interprétation de la lecture de la Bible dont il a été question préalablement (Mesters et Orofino (2008 : 11). Dans la présente recherche, la question, qui oriente le processus d’investigation et d’analyse, met en interrelation dans une triangulation, la lecture communautaire de la Bible, la vie spirituelle et l’Église. Elle se lit ainsi : Comment la lecture communautaire de la Bible pratiquée dans les groupes en contexte québécois construit-elle une spiritualité qui permet aux personnes de faire Église9?

Cette question m’interpelle comme chercheur, mais aussi comme pasteur et intervenant en formation biblique sur le terrain. Comment le phénomène, qui se manifeste par une transformation des personnes et des groupes grâce à la lecture communautaire de la Bible, souvent observé tout au long de mes années de pratique pastorale en Amérique latine, se produit-il dans un contexte totalement différent? Il s’agit bien d’un phénomène observé. Le dictionnaire Larousse traduit le mot phénomène, du grec phainomenon, par ce qui

apparaît. Il en donne la définition suivante : « Fait naturel constaté, susceptible d'étude scientifique, et pouvant

devenir un sujet d'expérience. » Cette recherche vise plus précisément la compréhension de ce phénomène observé aussi dans les ateliers et les groupes de lecture communautaire de la Bible dans le contexte du Québec. Comme chercheur et comme intervenant pastoral, je ne peux en rester à la simple constatation, ni à

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la description sommaire du phénomène. Ce projet de recherche, à son terme, vise à fournir une théorie explicative pouvant aider à comprendre ce phénomène.

1.3.2 Une question théologique

Cette recherche, dans le cadre du doctorat en théologie pratique, se veut une démarche entièrement théologique. La question de recherche confirme cette préoccupation, non parce qu’elle concerne la pratique de la lecture communautaire de la Bible dans des groupes bibliques au Québec, mais surtout parce qu’elle invite à être, par ce moyen de la lecture communautaire de la Bible, à l’écoute de l’Esprit qui parle aux femmes et aux hommes aujourd’hui, qui parle aussi à l’Église du Québec en ce temps de crise. En effet, c’est l’Esprit, comme le rappelle le professeur Routhier (2011 : 125) à propos du livre des Actes des Apôtres qui « agit à travers les Apôtres », mais c’est la Parole qui édifie l’Église. Comment la lecture communautaire de la Bible, pratiquée en contexte québécois, peut-elle être une voie de transformation des personnes et un moyen d’édification de l’Église au Québec et à quelles conditions? La question porte donc sur le comment d’une pratique pastorale. La réponse, à la suite de tout un processus d’analyse des données recueillies sur le terrain, facilitera une certaine compréhension du phénomène observé. Il s’agit ici d’une prise de conscience de la présence agissante de l’Esprit dans la vie des personnes qui lisent ensemble la Bible aujourd’hui au Québec. C’est le rapport du sujet croyant à l’écoute de Dieu par le moyen de la lecture communautaire de la Bible qui est ainsi posé. En ce sens, cette question ouvre sur du neuf, car ce rapport n’a pas beaucoup retenu l’attention des spécialistes de la Bible au Québec.

La question de recherche met donc en évidence un problème théologique. Pendant longtemps, le don de l’Esprit Saint a été perçu comme une affaire privée entre Dieu et le sujet-croyant même si le discours théologique de l’Église ouvre plus largement. Ce problème théologique oblige à étudier le lien entre la vie spirituelle et la communauté. Sur ce sujet, Van Breemen (1993 : 167) affirme que : « La spiritualité est vécue dans la communauté et, grâce à celle-ci, elle porte du fruit puisque l’Esprit est donné d’abord à la communauté et ensuite à la personne dans la communauté seulement. » La question de recherche est donc porteuse d’une dimension ecclésiologique assez marquée. En effet, faire une lecture croyante de la Bible avec d’autres est déjà une manière de vivre l’Église pour les personnes qui participent à un groupe de lecture.

De plus, l’acte de lecture de la Bible avec d’autres interroge aussi l’Église sur sa manière d’évangéliser et d’être Église dans une société sécularisée. Ce projet de recherche n’a pas la prétention de repenser l’Église. Il s’agit plutôt de la recevoir comme un don de Dieu (Routhier, 2011 : 128). Cependant, celle-ci est constamment invitée à s’« instituer », à se renouveler, à se construire. C’est aussi ce qui fait dire au professeur Routhier (2011 : 124) : « […l’Église] n’est pas simplement une institution, c’est-à-dire une réalité déjà toute construite et

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bien établie, mais un corps en croissance, un temple en construction, un peuple ou une assemblée en marche. » C’est sur la présence et la puissance de l’Esprit qui la renouvèlent sans cesse que l’Église doit compter.

Enfin, la question de recherche, telle que formulée, ne présuppose pas que la réponse soit connue d’avance. Tout est dans le comment et dans le contexte précis du Québec. Certes, théologiquement, il est d’une évidence historique que la lecture de la Bible produit des fruits spirituels et ecclésiaux. Les Pères de l’Église ont insisté beaucoup sur ce point. D’ailleurs, la Tradition de l’Église va aussi dans ce sens et les théologiens d’Amérique latine et du monde n’ont pas cessé de le redire. Cependant, la nouveauté dans cette question théologique, c’est qu’elle cherche à comprendre et à expliquer la dynamique interne du processus d’interprétation de la lecture communautaire de la Bible en lien avec la vie spirituelle et l’Église dans le contexte de la société québécoise (Mesters et Orofino, 2008 : 11).

4. Impacts prévisibles

Cette recherche aura des impacts positifs, non seulement sur mon terrain d’intervention, mais aussi sur celui de la vie pastorale au diocèse de Chicoutimi. C’est ce milieu précis qui m’a stimulé pour entreprendre cette recherche qui tient compte de l’état de la situation pastorale au diocèse de Chicoutimi et de mon travail à l’Institut de formation théologique et pastorale au cours des dernières années. Les impacts de cette recherche sont donc liés à certaines possibilités et à certains défis proposés par la pratique pastorale au diocèse de Chicoutimi. Ces impacts reposent aussi sur la pertinence et l’originalité de cette recherche, sur sa portée et ses limites, ainsi que sur les suites possibles. Enfin, puis-je espérer que certains impacts pourront aussi se faire sentir dans d’autres Églises locales du Québec qui trouveront dans les résultats de cette recherche des pistes pour une réelle promotion de la lecture communautaire de la Bible au Québec?

1.4.1 Pertinence et originalité de la recherche

Depuis le début de mon cheminement dans le programme du doctorat en théologie pratique, j’ai été impliqué sur le vaste terrain d’intervention qu’est le diocèse de Chicoutimi. D’abord, depuis 2004, par l’animation d’ateliers de lecture communautaire de la Bible, et avec mes collègues de l’Institut de formation théologique et pastorale (IFTP), dans la formation et l’accompagnement du personnel engagé en Église en lien avec le Pôle

intégrateur que le diocèse s’est donné il y a déjà quelques années.

Entre les années 2003-2006, l’équipe de l’évêque, accompagnée par Anne Fortin, professeure à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, a réalisé un travail de planification stratégique. Pour

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y parvenir, l’équipe a identifié les principaux défis rencontrés dans le contexte actuel de la société au Québec et dans l’Église. Elle a aussi tenu compte des politiques et des orientations diocésaines en vigueur. L’équipe de l’évêque était à la recherche de ce qui pouvait être le cœur de cette planification stratégique qui donnerait du souffle au projet pastoral pour les prochaines années. C’est ainsi qu’est apparu le Pôle intégrateur qui avait pour objectif d’unir les efforts pastoraux de tout le diocèse autour d’un axe transversal. Le libellé du pôle se lit ainsi : « Reconnaître et annoncer l’amour de Dieu en toute chose, par Jésus-Christ et dans l’Esprit. » L’ordre des verbes « reconnaître » et « annoncer » est très important. Il s’agit d’abord, avant même d’annoncer, de reconnaître l’amour de Dieu, présent et à l’œuvre dans le monde et chez les personnes. Le Pôle intégrateur est donc né de l’analyse de la situation pastorale dans le diocèse, mais aussi de la lecture et du partage de l’Écriture par les membres de l’équipe de l’évêque. D’ailleurs, il s’appuie entièrement sur celle-ci. La Parole de Dieu, dans l’esprit du Pôle intégrateur, se doit d’être au coeur de toute la vie pastorale au diocèse de Chicoutimi. Cette dernière affirmation nourrit ma conviction au sujet de la pertinence de ce projet de recherche pour la vie pastorale du diocèse pour les raisons suivantes :

1) Le mouvement enclenché par le Pôle intégrateur semble être ralenti, peut-être même arrêté. Ces années de préparation et de formation autour de celui-ci ont été prometteuses pour le présent et l’avenir de l’Église au diocèse de Chicoutimi, spécialement pour la place privilégiée faite à la Parole de Dieu. Après un certain temps, il est facile de remarquer que les nombreuses préoccupations pastorales ont pris le dessus et le Pôle

intégrateur ne semble plus qu’un heureux, mais dérangeant souvenir que l’on rappelle à l’occasion pour dire

qu’il est toujours actuel. Cependant, les autorités diocésaines continuent de croire à l’importance d’une animation biblique de la pastorale (Benoît XVI 2010 : 128) et ne cessent d’insister sur l’importance de ce projet de recherche sur la lecture communautaire de la Bible. Elles souhaitent qu’il puisse aider les équipes pastorales à vraiment entrer dans cet effort d’une pastorale entièrement animée par la Parole de Dieu. Ce projet de recherche pourra aider à comprendre comment la lecture communautaire de la Bible peut être un chemin de vie et de transformation pour les personnes et pour l’Église au diocèse de Chicoutimi.

2) Une autre raison qui montre la pertinence de ce projet de recherche, c’est la publication du nouveau projet catéchétique diocésain Rencontrer la Parole au cœur de l’humain en janvier 2010. À l’origine, ce dernier devait s’appuyer entièrement sur la Parole de Dieu et l’une des quatre approches choisies était justement la lecture communautaire de la Bible. Après un certain temps, cette quatrième approche a été remise en question. Les raisons invoquées pour l’éliminer s’appuyaient sur l’argument qu’elle attirait peu d’adhésion de la part des équipes pastorales, qu’elle était présente dans les autres approches et qu’il ne convenait pas d’en faire une approche spécifique. Cette décision me semble encore risquée pour le présent et pour l’avenir, car elle peut compromettre la place même de la lecture communautaire de la Bible dans la catéchèse et dans le

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projet pastoral à réaliser au diocèse de Chicoutimi. Certes, l’utilisation de textes bibliques sera présente dans toutes les approches catéchétiques, mais s’agira-t-il vraiment d’une véritable pratique de lecture communautaire de la Bible avec tout ce que cela peut signifier?

3) Sur mon terrain d’intervention comme animateur d’ateliers bibliques, cette recherche a déjà des effets positifs. Sa pertinence se manifeste dans le questionnement concernant la pédagogie utilisée au cours des dernières années. En réponse à ce questionnement, j’ai construit et expérimenté une nouvelle version d’ateliers d’Initiation à la Bible en m’inspirant des quatre critères de la lecture sémiotique. Selon Anne Fortin, ces quatre critères sont : a) La circulation de la parole dans le texte (mouvement). b) Ce que le lecteur doit repérer dans le texte en tenant compte que celui-ci est toujours une mise en situation où des acteurs interagissent dans l’espace et dans le temps. c) Comment le lecteur construit le sens du texte? d) C’est le texte qui révèle au lecteur qui il est. (Comment lire les Écritures ? Notes personnelles, 2010). Cette première expérience réalisée dans un milieu paroissial a été très appréciée par les personnes participantes pour qui la lecture de la Bible avec d’autres est apparue comme possible. Ce questionnement sur la pédagogie utilisée me poursuit toujours et indique que ce projet de recherche vise aussi une amélioration de la pratique, rejoignant ainsi les objectifs du programme d’études où s’inscrit cette recherche.

C’est donc dans ce contexte actuel au diocèse de Chicoutimi et à l’Institut de formation théologique et pastorale que ma recherche s’avère pertinente. En effet, malgré la bonne volonté des personnes, des difficultés empêchent que la lecture communautaire de la Bible puisse avoir une certaine priorité et ainsi vraiment renouveler la vie pastorale. Cependant, je demeure persuadé que celle-ci prendra un jour son envol. Un motif d’espérance pour l’avenir est apparu lors du dévoilement du Cadre d’animation des nouvelles Unités Pastorales au cours de l’automne 2013. En effet, dans ce processus des réaménagements pastoraux amorcés en 2011 au diocèse de Chicoutimi, on peut lire que « Le premier principe organisateur du cadre d'animation pastorale est le partage autour de la Parole de Dieu. » Mon espérance a été aussi nourrie tout au long de cette recherche par les personnes interviewées. Celles-ci m’ont partagé leur enthousiasme à lire la Bible avec d’autres, ainsi que les effets de cette lecture dans leur vie personnelle et dans le groupe. La théorie explicative du phénomène de la lecture communautaire de la Bible, qui est apparue à la suite de l’analyse des données recueillies sur le terrain, pourrait être un outil précieux dans cet effort pour que la Bible puisse renouveler la vie pastorale au diocèse de Chicoutimi.

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1.4.2 Portée et limites de la recherche

Ce projet de recherche sur la lecture communautaire de la Bible au Québec porte sur la pratique de la lecture de la Bible dans un groupe. C’est l’acte de lecture comme pratique d’un sujet-croyant et la dimension communautaire qui nourrissent l’intérêt et qui délimitent la recherche.

1.4.2.1 Acte de lecture d’un sujet-croyant

En fidélité avec mes expériences de vie et avec mon terrain d’intervention, c’est l’acte de lecture comme pratique d’un sujet-croyant, qui lit la Bible dans un groupe, qui motive cette recherche. Tout en reconnaissant l’importance et la valeur de l’étude scientifique de la Bible, la visée de ce projet de recherche n’est pas exégétique. Son objectif, tout en demeurant centré sur le texte biblique, est pastoral. Ce projet de recherche prend acte que les textes de la Bible parlent, non pas à partir d’un sens déjà inscrit à jamais qu’il faut découvrir, mais bien à partir de cette dynamique relationnelle entre le lecteur avec sa réalité, le texte biblique et Dieu. Ma pratique d’animation d’ateliers et de groupes bibliques me pousse à vérifier si cette dynamique relationnelle est à l’origine de certains déplacements chez le lecteur.

1.4.2.2 La dimension communautaire

Un autre élément important, qui précise la portée et les limites de cette recherche, c’est la dimension communautaire dans l’acte de lecture de la Bible. Peu de recherches, en dehors des ouvrages connus provenant d’Amérique latine et d’Afrique principalement, se sont attardées à cette dimension de l’acte de lecture de la Bible. Des travaux comme ceux de Masamba (2003) et Huning (2007) soulignent son importance. C’est aussi sur cette dimension que, dans les suites du Synode sur la Parole de Dieu, Benoit XVI insiste dans

Verbum Domini, au numéro 30 :

Saint Jérôme rappelle que nous ne pouvons jamais lire seuls l’Écriture. Nous trouvons trop de portes fermées et nous glissons facilement dans l’erreur. La Bible a été écrite par le Peuple de Dieu et pour le Peuple de Dieu, sous l’inspiration de l’Esprit Saint. C’est seulement dans cette communion avec le Peuple de Dieu, dans ce ‘nous’ que nous pouvons réellement entrer dans le cœur de la vérité que Dieu lui-même veut nous dire.(2010 : 56-57)

Benoît XVI (2010 : 147) ajoute que « c’est une Parole qui s’adresse à chacun personnellement, mais c’est aussi une Parole qui construit la communauté, qui construit l’Église ».

Au Québec, il n’y a pas vraiment de tradition établie de lecture croyante de la Bible dans sa dimension plus communautaire à l’exception de certains mouvements apostoliques ou encore de certaines démarches spirituelles. Certes, les rassemblements liturgiques favorisent l’accueil de la Parole, mais, habituellement, ils en restent à la proclamation des textes bibliques et à l’homélie. Les fidèles pratiquants ont peu l’occasion d’échanger la parole dans les grands rassemblements et d’expérimenter une véritable appartenance

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communautaire. De plus, dans le contexte qui est le nôtre, la lecture de la Bible est souvent un acte individuel qui vise l’acquisition de connaissances, la piété et une vie morale conforme. Cette manière de lire la Bible n’engage pas nécessairement la foi du sujet, ni sa relation aux autres et à l’Église.

Dans ce projet de recherche, la dimension communautaire de l’acte de lecture de la Bible est fondamentale. C’est cette expérience communautaire qu’ont voulu partager les personnes ayant participé aux entrevues dans le cadre de cette recherche. C’est aussi une certaine compréhension de ce qui se passe quand des personnes lisent la Bible avec d’autres au Québec que fera émerger l’analyse des données (chapitre 3). 1.4.2.3 Suites de la recherche

La compréhension du phénomène observé et la théorie explicative qui s’en dégage à la suite de l’analyse des données, seront, je le souhaite, des outils précieux pouvant motiver les personnes, les équipes pastorales et les autorités du diocèse de Chicoutimi à donner priorité à la lecture communautaire de la Bible en lien avec une animation biblique de la pastorale comme le suggère le dernier Synode sur la Parole de Dieu (2010 : 128).

Certes, le premier bénéficiaire de ce projet de recherche sera l’intervenant que je suis. Mon travail sur le terrain, grâce aux résultats de la recherche, me permettra d’appuyer mes interventions à partir d’une assez bonne expérience dans ce domaine, mais aussi à partir d’une nouvelle théorie explicative aidant à comprendre les déplacements vécus par les personnes qui lisent la Bible avec d’autres. Désormais, mon travail comme formateur dans les ateliers et les groupes de lecture de la Bible ne s’appuiera pas uniquement sur des observations valables, mais aussi sur les résultats d’un projet de recherche scientifique.

Sur le terrain bien concret de l’éducation de la foi où j’interviens régulièrement, les conclusions de cette recherche aideront peut-être les intervenants pastoraux à réaliser l’importance de la lecture communautaire de la Bible dans la préparation et la célébration des sacrements et pour la vie chrétienne en général. Pourquoi ces moments importants dans la vie des personnes ne pourraient-ils pas être l’occasion de prendre contact avec la Bible pour en faire une lecture communautaire en lien avec la vie des gens? Ainsi, les personnes, qui demandent la célébration d’un sacrement et qui s’y préparent, pourraient vivre cette célébration non pas comme un acte liturgique individuel, mais comme un évènement ecclésial qui fait sens dans la vie des personnes

Ce projet de recherche amorcé en 2006 provoque déjà certains changements sur mon terrain d’intervention et chez l’intervenant que je suis. Au fur et à mesure de la progression de mon projet de recherche, je me suis fait

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le devoir de partager les nouvelles prises de conscience à mes collègues de l’Institut de formation pastorale et théologique quand il s’agit d’échanger sur la place de la Parole de Dieu dans les cours universitaires de théologie et dans les formations que notre Institut dispense. Même à ce niveau, je crois que l’acte de lecture de la Bible doit dépasser un acte purement universitaire, qui fait du texte biblique un objet de savoir et d’analyse, pour en faire une lecture théologique croyante qui permet au texte de rejoindre les personnes et qui les transforme. Ici, il ne s’agit pas de nier l’importance des connaissances exégétiques, mais bien de ne pas en rester à ce domaine du savoir si l’on souhaite que la lecture de la Bible soit féconde pour la clientèle étudiante et les personnes qui participent aux activités de formation.

Les résultats de cette recherche permettront possiblement à d’autres intervenants en formation biblique populaire d’en tirer profit pour leur propre travail et contribueront au domaine de l’animation biblique de la pastorale avec l’objectif de former et d’accompagner des personnes et des groupes.

Enfin, au niveau de l’Église au Québec, les conclusions de cette recherche laisseront peut-être entrevoir des pistes de réflexion et d’action pour le présent et l’avenir de l’Église dans les diocèses. La lecture communautaire de la Bible ne pourrait-elle pas être un moyen privilégié pour mettre en action le projet d’une véritable Nouvelle Évangélisation souhaitée par le pape Jean-Paul II et aussi par Benoît XVI, lors de l’ouverture du synode sur la Nouvelle Évangélisation le 9 octobre 2012? Selon Anne Haller (2008 : 100) : « Cette expression a d’abord été utilisée par le pape Jean-Paul II pour interpeler les chrétiens et les Églises à entrer dans un effort de Nouvelle Évangélisation pour réaffirmer leur foi en la personne de Jésus-Christ et pour répondre aux situations locales qui affectent le travail pastoral des Églises. » Ce sont là des raisons importantes pour faire entrer l’Église dans cet effort. Cependant, dans la suite de la même citation, Anne Haller fait découvrir d’autres objectifs derrière ce projet. Elle précise : « Ainsi, en Amérique latine, la Nouvelle

Évangélisation est une manière de contrecarrer la montée des Églises évangéliques. En Europe, en Amérique

du Nord, elle vise surtout à faire face à la sécularisation des sociétés. » Un tel projet de Nouvelle

Évangélisation, pensé comme une possible reconquête d’un certain modèle de chrétienté, est voué à l’échec.

C’est par l’annonce de la Bonne Nouvelle que l’Église remplit sa véritable mission envers les hommes et les femmes de notre temps peu importe le contexte dans lequel ils vivent. Dans cet effort d’une véritable Nouvelle

Évangélisation, la lecture communautaire de la Bible pourrait-elle permettre de dépasser un usage souvent

savant ou instrumental de la Bible pour être vraiment ce qu’elle est : la Parole de Dieu qui nourrit la vie spirituelle des croyants et qui édifie l’Église?

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5. Plan de la thèse

Au terme de cette introduction, il convient d’exposer, dans ses grandes lignes, les différents chapitres de cette thèse. Le premier chapitre présente d’abord quelques éléments qui forment le cadre théorique de la recherche et qui permettent de la situer. Puis, il s’attarde à préciser quelques concepts-clés présents dans la question de recherche. Comme cet effort d’investigation se situe dans une tradition de recherche, la revue de littérature recensera les principaux ouvrages en lien avec les concepts-clés : lecture communautaire de la Bible, vie

spirituelle et faire Église. Enfin, il s’agira de situer ce projet de recherche à l’intérieur de la théologie pratique et

de présenter l’approche de recherche choisie.

Le deuxième chapitre sera entièrement consacré à une analyse des données recueillies lors des entrevues et à la présentation des catégories qui en résultent. Selon les modalités de la théorisation enracinée, les différentes catégories sélectionnées apparaitront ainsi que leurs interrelations. C’est ce travail minutieux d’analyse qui fera apparaitre les éléments constitutifs du phénomène, réunis dans un énoncé explicatif, donnant ainsi une certaine compréhension du phénomène observé.

Le troisième chapitre porte sur l’interprétation théologique. Après avoir été à l’écoute d’une première parole sur le terrain avec les entrevues, la relecture du discours de Pierre dans Actes 2, 14-47 permettra de mieux comprendre le mouvement présent dans l’acte de lecture de la Bible réalisé par des sujets croyants. C’est ce mouvement qui rend possible l’écoute d’une troisième parole, celle où Dieu rejoint le cœur humain et l’entraine dans les différents passages qui le transforment et l’engagent. En conclusion de ce chapitre sur l’interprétation théologique, un regard sera porté sur l’histoire récente de l’Église catholique au Québec. Quelques orientations en lien avec la lecture de la Bible seront aussi suggérées, lui permettant d’être davantage dynamisée par la Parole.

Le quatrième chapitre permettra de cibler et d’approfondir quelques questions théologiques qui émergent et qui méritent une attention spéciale parce qu’elles peuvent apporter un nouvel éclairage sur certains aspects de la vie chrétienne, de la pastorale et de l’Église dans le contexte actuel. Ainsi, une réflexion théologique sur la présence et le rôle de l’Esprit dans la vie de l’Église en lien avec la dimension communautaire de l’Église, peuple de Dieu, sera d’un grand profit pour entrevoir le présent et l’avenir de l’Église. C’est l’Esprit qui anime le discernement de l’Église, peuple de Dieu, face aux orientations et aux décisions permettant que le projet de la Nouvelle Évangélisation puisse être vraiment porteur d’espérance pour les baptisés de foi catholique. C’est aussi l’Esprit qui invite à lire les signes des temps pour accueillir le moment présent comme un kairos. Dans

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Pour mener à bien cette tâche, l’Église a le devoir, à tout moment, de scruter les signes des

temps et de les interpréter à la lumière de l’Évangile, de telle sorte qu’elle puisse répondre,

d’une manière adaptée à chaque génération, aux questions éternelles des hommes sur le sens de la vie présente et future et sur leurs relations réciproques. Il importe donc de connaître et de comprendre ce monde dans lequel nous vivons, ses attentes, ses aspirations, son caractère souvent dramatique.

C’est le même Esprit qui suscite une parole prophétique pour nourrir la foi et l’espérance des jeunes, des femmes, de tous ceux et celles qui sont victimes d’un système économique, politique et social qui tend à l’exclusion.

Le dernier chapitre veut tracer des prospectives pastorales comme conséquences et comme suites concrètes à ce projet de recherche. Cette étape se présentera comme un retour sur le terrain d’intervention avec une pratique enrichie par les résultats de la recherche. Dans ce chapitre, c’est donc l’avenir qui se dessine et qui pointe à l’horizon. Ce sera aussi l’occasion de faire le point sur la transformation expérimentée par l’intervenant dans son identité et dans sa responsabilité grâce à ce projet de recherche.

Enfin, la conclusion de cette thèse ramènera le lecteur à la question de recherche et permettra de vérifier comment les objectifs ont été atteints. Elle permettra aussi d’indiquer des pistes de recherche et d’intervention pour l’avenir.

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CHAPITRE I

CADRE THÉORIQUE, REVUE DE LITTÉRATURE

ET APPROCHES DE RECHERCHE

Ce premier chapitre vise, d’abord, à situer le cadre théorique de cette recherche sur la lecture communautaire de la Bible en contexte québécois. Celui-ci s’appuie, d’une part, sur la notion de liberté, si importante dans toute pratique éducative et, d’autre part, sur quelques postulats théologiques. Ce cadre théorique repose aussi sur les trois concepts-clés de la question de recherche qui se doivent d’être précisés. Dans un deuxième temps, ce sont ces mêmes concepts qui baliseront le parcours réalisé avec la revue de littérature. Cette recension donnera un bon aperçu de la littérature en lien avec cette recherche. Elle montrera aussi comment cette étude contribue à l’enrichir par sa nouveauté et son originalité. Dans un troisième temps, une brève présentation exposera comment l’ensemble de ce projet de recherche sur la lecture communautaire de la Bible concerne directement la théologie pratique. Enfin, dans la dernière partie de ce premier chapitre, la méthode de la théorisation enracinée sera présentée comme l’outil approprié pouvant répondre aux objectifs de cette recherche. Ce sera aussi l’occasion de montrer comment elle s’opérationnalise dans le cadre de cette étude sur la lecture communautaire de la Bible en contexte québécois.

1.1 Cadre théorique

Le cadre théorique de cette recherche sur la lecture communautaire de la Bible s’appuie sur un principe théorique central qui est en toile de fond de tout le processus. Ce principe théorique s’inspire, en très grande partie, de la pédagogie de Paolo Freire (1978) et met en valeur la notion de liberté. D’ailleurs, ce principe théorique, qui reconnaît l’importance de la participation active des pauvres et des opprimés dans cette marche vers la libération, a fortement influencé la théologie de la libération ainsi que la lecture populaire de la Bible en Amérique latine au cours des décennies 1960-1980.

1.1.1 La notion de liberté

Dans toute pratique éducative, la notion de liberté est extrêmement importante. Francisco C. Weffort, dans l’introduction de l’ouvrage de Freire (1978 : 9), mentionne que cette notion est la plus importante dans le processus éducatif, car son objectif de formation ne peut être atteint que lorsque les élèves peuvent y adhérer de façon libre et consciente. Pour cette raison, il rappelle, qu’en raison du respect qui leur est dû, ceux-ci ne sont jamais considérées comme des analphabètes, mais bien comme des alphabétisants (1978 : 9). La notion

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de liberté permet donc aux personnes d’être les artisans de leur propre éducation par une participation active à l’expérience éducative.

Dans cette recherche, cette notion de liberté est aussi ce qui permet aux participants des groupes bibliques d’adhérer en toute liberté, personnellement et collectivement, à une démarche éducative de la foi autour de la lecture de la Bible et de s’y engager activement. C’est ainsi que les membres du groupe biblique peuvent être considérés comme des alphabétisants de la Bible. Cela, non pas parce que les personnes peuvent aspirer à connaître les Écritures, mais plutôt en raison de leur statut d’acteurs dans ce processus éducatif que rend possible l’acte de lecture de la Bible avec d’autres.

Il convient de rappeler que Freire s’est engagé dans cette pratique concrète d’une pédagogie de la liberté en mettant de l’avant un projet d’alphabétisation et de conscientisation des pauvres en raison de la situation d’extrême pauvreté vécue, à l’époque, par près de la moitié de la population du Brésil. Pour lui, il était évident que cette situation n’était pas l’effet du hasard, mais que tous ces pauvres et opprimés étaient victimes d’un système politique et économique inéquitable. Dans ce climat d’injustices, seule une véritable pédagogie de la liberté pouvait aider les exclus du système à s’en libérer (1978 : 8). C’est donc dire que pour Freire, l’alphabétisation et la conscientisation vont toujours de pair dans un processus éducatif et qu’on ne peut les traiter séparément. C’est ce travail de conscientisation en lien avec l’éducation qui permet aux alphabétisants de prendre conscience de la situation réelle concrète dans laquelle ils se retrouvent (1978 : 10).

Selon Weffort, (Freire 1978 : 14) : « La compréhension de cette pédagogie, sous l’angle pratique, politique ou social, requiert donc une perception claire de l’aspect fondamental suivant : l’idée de liberté n’atteint sa pleine signification que lorsqu’elle communie avec la lutte concrète des hommes pour leur libération. » Dans un contexte comme celui du Québec, il est alors important de se demander comment cette notion de liberté est assumée dans cette expérience éducative de la lecture de la Bible dans un groupe. Est-ce que la participation à un groupe de lecture communautaire de la Bible rend les personnes participantes plus conscientes des problèmes sociaux et les rend plus sensibles à l’importance de s’engager pour la transformation de la société, aussi de l’Église? Cette question, d’une très grande importance quand on parle de la notion de liberté, est aussi en lien direct avec le thème du salut, si présent, si essentiel dans le christianisme même si le salut ne peut être réduit aux transformations sociales et politiques. Cette question invite à porter un regard sur quelques postulats théologiques qui sous-tendent le cadre théorique de cette recherche.

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1.1.2 Postulats théologiques

Un premier postulat théologique, en lien avec la notion de salut, trouve son fondement dans le mystère de l’incarnation rappelé par le Prologue de saint Jean : « Et le Verbe est devenu chair, et il a séjourné parmi nous » (v. 14). Ce verset exprime bien cette réalité d’un Dieu qui se fait proche en allant à la rencontre de l’humanité. En effet, Dieu a pris un visage humain par l’incarnation de son Fils et il est venu habiter à jamais au milieu de son peuple. Aujourd’hui encore, quand des chrétiens lisent la Bible pour écouter la Parole, ils s’ouvrent au Verbe qui les rejoint dans la fragilité de leur vie et dans leur chair (Fortin 2005 : 27). Pour cette raison, cette recherche sur la lecture communautaire de la Bible en contexte québécois s’appuie aussi sur une théologie de la grâce et du Verbe fait chair (Fortin 2005 : 17). Cette théologie était déjà présente dans l’homélie XI de saint Jean Chrysostome (1865 : 151). Dans celle-ci, ce dernier défend le mystère de l’incarnation de certaines interprétations erronées en s’appuyant sur le Prologue de Jean. Sa prédication est donc une solide défense du mystère de l’incarnation, mais aussi une présentation théologique de la véritable identité de Jésus, fils de Dieu, qui a assumé pleinement la condition humaine dans toute sa fragilité. Saint Jean Chrysostome, dans sa prédication, défend donc, par conséquent, non seulement le mystère de l’incarnation, mais aussi l’identité de Dieu et l’action de l’Esprit. Sa lutte n’est pas sans conséquence pour la vie spirituelle des disciples de Jésus d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

Un deuxième postulat théologique concerne directement le salut offert au monde par la mort et la résurrection de Jésus. Ce postulat sotériologique a des conséquences non seulement sur la notion de salut, mais aussi sur la vie même de l’Église. Dans les suites de Vatican II, les évêques allemands (1987 : 264) ont rappelé que le salut apporté par Jésus-Christ « est destiné non pas à l’individu isolé, mais à une communauté dans laquelle l’individu entre et est reçu pour avoir part au salut. » Cette dimension communautaire du salut est d’une grande importance et met en valeur l’ecclésiologie de communion privilégiée par Vatican II. C’est elle qui définit l’Église comme peuple de Dieu, permettant ainsi aux chrétiens de prendre conscience de la signification de leur baptême et, par conséquent, de leur responsabilité dans l’Église (1987 : 264). L’ecclésiologie de communion trouve son origine dans le salut apporté par Jésus-Christ.

La présente recherche sur la lecture communautaire de la Bible assume cette ecclésiologie de communion et fait aussi sienne la pensée de Rigal (1999 : 29-30) qui présente la foi comme fondamentalement communautaire parce que Dieu est relation et communion. Par conséquent, si le salut en Jésus-Christ est fondamentalement communautaire et qu’il fonde l’ecclésiologie de communion, celle-ci est aussi don de l’Esprit fait à l’Église comme peuple de Dieu. C’est ce que reconnaît Pierre van Breemen (1993 : 167), déjà cité à la page 9, mais qu’il convient de rappeler en insistant : « l’Esprit est donné d’abord à la communauté et ensuite à la personne dans la communauté seulement. » C’est pourquoi le cadeau de l’Esprit fait à l’Église ne

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