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CHAPITRE 1. LA REVUE DE LITTERATURE ET LA PROBLÉMATIQUE

1.3 L’aperçu historique des excisions et des infibulations

1.3.3 Pourquoi les excisions et les infibulations ?

1.3.3.1 Des pratiques thérapeutiques ou des croisades contre le vice solitaire ?

Dans ses écrits, Erlick (1986) a montré, historiquement, que l’infibulation, un terme d’origine latine, désigne initialement une opération exclusivement masculine : « instrument de chirurgie, espèce de boucle ou anneau dont les anciens se servent dans une opération particulière, par laquelle ils se proposent d’empêcher les jeunes hommes d’avoir commerce avec les femmes » (Erlick, 1986). Certains jeunes sont soumis à ces pratiques dans le but de faire d’eux des gladiateurs. Erlich (1986) cite Celse qui en donne la première description : « On infibule quelques fois les jeunes gens pour leur conserver la santé » (Erlick, 1986). Les infibulations des hommes s’inscrivent dans une perspective malthusienne. Elles font partie surtout des mesures répressives de la masturbation des garçons. Du dix-huitième au vingtième siècle, aux Etats-Unis, les mêmes pratiques étaient préconisées pour lutter contre les onanistes récalcitrants (Erlick, 1986). En France, à la même période (dix-huitième au vingtième siècle), l’usage de la ligature prépuciale était recommandé chez les hommes dans le traitement des « érections génitales morbides » (Erlick, 1986).

En ce qui concerne la clitoridectomie, il est généralement admis qu’elle marque les débuts officiels de la répression de la masturbation des femmes et des filles au début du XVIIIème siècle en Europe (Erlick, 1986). Elle constitue une véritable croisade contre « le vice solitaire » au moment où ce problème s’est déplacé du domaine religieux et social à celui de la médecine. L’amputation du clitoris est préconisée par certains médecins à cette époque. D’autres, en plus

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de la clitoridectomie, ont pratiqué la cautérisation clitoridienne au fer rouge pour masturbation compulsive (Erlick, 1986). Garnier (1897), dans son livre sur l’onanisme, se fait l’avocat des différents moyens dissuasifs de cette pratique. Il passe en revue les diverses techniques de destruction du clitoris, telles que l’usage des caustiques (huile de croton, pierre infernale), la cautérisation par le feu, le bistouri, les ciseaux, l’écraseur (Garnier, 1897). Cette énumération n’a rien à envier à celles que l’on retrouve dans les écrits ethnographiques à propos des pratiques identiques en usage chez les « sauvages », et qualifiées de « barbares » par les civilisés (Erlick, 1986 ; Nelli, 1972).

Ces références nous montrent que les infibulations sur le plan historique sont d’abord pratiquées sur les hommes depuis le 1er siècle de l’ère chrétienne. Il faudra attendre douze siècles plus tard pour qu’apparaisse la première mention des infibulations des femmes. Ces pratiques furent signalées pour la 1ère fois en Afrique Orientale au XIVème siècle et en Asie au XVIème siècle simultanément avec l’Afrique (Erlick, 1986 ; Nelli, 1972). En Europe, elle fut utilisée chez les filles dans le cadre médical. À la différence des hommes, on ne procède pas par la méthode de l’anneau qui ne met pas à l’abri l’organe érectile des attouchements directs ; cette opération avive les grandes lèvres en haut et les réunissent par des points de suture.

Dans un contexte médical, à Montréal, à la fin des années 1970, Denise Boucher dans son livre « Cyprine : essai-collage pour être une femme », signale des pratiques similaires sur le plan médical. L’auteure est d’abord surprise par une annonce parue dans le journal de Montréal de l’automne 1975 où il est écrit : « Ne soyez plus frigides. Une simple intervention chirurgicale » (Boucher, 1978). En approfondissant sa recherche et après vérification auprès de l’agence qui annonce ses services, elle découvre que cette intervention en question est la

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circoncision du clitoris. Par une technique chirurgicale on met tout simplement le clitoris à vif. Selon son constat, il y avait tous les mois au moins une bonne centaine de femmes québécoises qui subissaient cette intervention. Certaines femmes se rendaient aussi à New York par autobus ou par avion grâce à cette agence, à la clinique York Medical Associate, dans le Manhattan, pour subir ces opérations (Boucher, 1978). Par rapport à l’infibulation médicale par les gynécologues, l’auteure poursuit :

« Les gynécologues piquent et coupent. Automatiquement (…) Ils coupent et ils recousent. Serré. Serré. Serré. Pour que le monsieur soit content, dit le gynécologue. Comme si on n’avait pas des muscles élastiques. Et après ces coutures, demandez voir aux femmes, comme la pénétration du pénis fait mal ensuite, pendant un bon moment » (Boucher, 1978).

De l’Occident au Moyen-Orient, ces pratiques ont eu les mêmes fonctions : « médicolégale » et « répressive ». Néanmoins, la dimension coutumière vient étoffer la liste des raisons qui les justifient et les maintiennent (Auffret, 1983 ; Nelli, 1972). Des sources arabo- byzantines sont dominées par les témoignages médicaux et des textes littéraires arabo-persans, attestant de la pratique généralisée de l’excision dans un contexte coutumier à travers une grande partie du Moyen-Orient (Erlick, 1986). Les communautés observant l’hypersensibilité du clitoris au contact des vêtements considèrent que cela pousse vers l’acte charnel. En Egypte, cet organe est amputé avant qu’il ne grossisse trop, principalement à la période où la fille est apte au mariage. L’héritage médical gréco-byzantin sert de source d’inspiration pour certains médecins pour décrire les organes génitaux féminins et l’ablation du clitoris (Erlick, 1986).

Ces pratiques ont longtemps servi comme un moyen de contrôle et de répression du plaisir solitaire féminin, considéré comme responsable de certaines affections nerveuses. La pratique de la clitoridectomie pendant des années a fini par susciter des réactions résolument

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hostiles de la part de beaucoup de citoyens de l’époque, surtout dans le milieu médical (Erlick, 1986). L’amputation du clitoris est considérée comme un moyen peu rationnel, car le clitoris n’est pas le siège des désordres ou des troubles de comportement qui lui sont attribués : « Nous ne pensons pas qu’un seul chirurgien oserait proposer aujourd’hui une telle opération » (Erlick, 1986). Ces modes de traitements ont été finalement déplorés par des médecins, certains les qualifiant de stupides, et d’autres de mutilation simple et nette (Erlick, 1986 ; Boucher, 1978). Les critiques ont suffi pour mettre fin à ces pratiques d’ordre médical (Erlick, 1986).

1.3.3.2 Les excisions et les infibulations en Afrique : des pratiques coutumières