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CHAPITRE 1. LA REVUE DE LITTERATURE ET LA PROBLÉMATIQUE

1.4 Les excisions et les infibulations au Mali

1.4.1 Les données statistiques : une forte prévalence des excisions

1.4.1.3 La prévalence selon les groupes ethniques

Les résultats selon les groupes ethniques mettent aussi en évidence des écarts importants entre les ethnies. Les filles âgées de 0-14 ans : Malinkés 98,3% ; Sarakolés 95,2% ; Sénoufos/Miniankas 91,3% ; Bambaras 91,2% ; Peulhs 90,4% ; Dogons 87% ; Sonrhaïs 46,2% ; Bwa 45,7% (MPFEF, 2009). Pour les femmes âgées de 15-49 ans : Malinkés 98% ; Bambaras 97,7% ; Sarakolés 96,9% ; Peulhs 94,3% ; Senoufos/Miniankas 92,9% ; Bwa 80,6% ; Dogons 76% ; Tamasheks 32% ; Sonrhaïs 28,4% (EDSM IV, 2006). L’analyse de ces données permet de constater que les excisions et les infibulations sont très répandues chez les Malinkés, les Sarakolés, les Sénoufos/Miniankas, les Bambaras et les Peulhs. En revanche, ces pratiques sont moins généralisées mais restent néanmoins importantes chez les Bwa, les Dogons, en fonction de l’âge de la pratique (15-49 ans). Par contre elles sont moins répandues chez les Tamasheks, les Maures, les Arabes et les Sonrhaïs (EDSM IV, 2006).

Suivant les mêmes résultats, les facteurs ethniques et régionaux semblent donc des éléments assez importants de la prévalence, mais des variations significatives peuvent également être observées entre les milieux urbains (95,4% de prévalence EDSM IV 2006) et le milieu rural (87,4% EDSM IV, 2006), et en fonction du niveau de revenu économique, avec une prévalence de 93,7% pour le quintile le plus bas et 85,7% pour le quintile le plus élevé (EDSM IV, 2006). En ce qui concerne les types d’excisions, les enquêtes de démographie et de santé au Mali (EDSM) offrent des informations peu précises, spécialement sur les infibulations, et qui seraient « la conséquence d’une mauvaise interprétation de la question concernant le type d’excisions » (EDSM IV, 2006). Cependant, il apparaît que la majorité des femmes excisées ont subi des formes de types I ou II selon les classifications de l’Organisation

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mondiale de la santé (OMS, 2014). Les infibulations selon les recherches de Traoré (2008) sont fréquentes chez les Soninkés et les Peulhs du Macina dans la région de Mopti. Elles sont moins répandues et représentent environ 2% des femmes excisées au Mali (EDSM IV, 2006).

L’analyse des données ci-dessus montre que l’appartenance ethnique apparaît déterminante dans les pratiques des excisions et des infibulations, surtout chez les Sonrhaïs, les Tamasheks, les Maures où les taux sont plus faibles que ceux des Sarakolés, des Bambaras et des Peulhs. Les pratiques des excisions et des infibulations se concentreraient donc sur la zone sahélo-soudanaise, et seraient résiduelles dans la zone saharienne, selon le Ministère de la promotion de la femme, de l’enfant et de la famille (2009). Or, cela recoupe également en partie la répartition des groupes ethniques au Mali, comme nous venons de le souligner plus haut. Selon Latoures (2008), le Mali serait divisé ainsi entre le Nord, avec peu de population, qui ne connaîtrait pas ou peu les excisions et les infibulations ; et le Sud, plus peuplé, où ces pratiques sont systématiques.

Toutefois, cette représentation spatio-territoriale des excisions et des infibulations n’est pas neutre. La même auteure a noté par exemple qu’à la tête des principales associations de lutte et de sensibilisation contre ces pratiques au Mali se trouvent souvent des femmes et des hommes originaires des régions du Nord qui ne connaissent donc pas a priori ces pratiques (Latoures, 2008). Mais comment expliquer le phénomène de ces taux faibles par rapport à ceux du Sud du pays ?

Selon les recherches de l’Aide de l’Église Norvégienne (AEN, 2004) sur les pratiques des excisions et des infibulations dans les régions du Nord du Mali, il ressort que, dans la région de Kidal, les populations autochtones ne pratiquent pas ces rites, de même que dans la

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région de Gao. Ces études précisent d’abord que les populations de Kidal qui suivent en général un Islam de rite malikite dans lequel les excisions et les infibulations ne sont pas des pratiques obligatoires, n’en ont pas fait leur tradition. Il est aussi signalé dans ces études que les familles immigrées de ces régions, essentiellement des familles de militaires dans les camps, ne font pas exciser leurs filles sur place parce qu’il n’y a pas de femmes exciseuses. Les Sonrhaïs autochtones de Gao ne connaissent pas ces pratiques non plus. Mais les Bozos qui ont aussi immigré dans cette région pratiquent ces rites dans leurs campements. Ils profitent de leur séjour dans leur village d’origine d’une manière cyclique, tous les trois ans, pour faire exciser leurs filles souvent âgées de trois à quatre ans (AEN, 2004).

Pour ce qui est de la région de Tombouctou, les excisions et les infibulations ne sont pas pratiquées en ville, mais elles sont répandues dans certains cercles de la même région comme Diré, Goudam et Niafuké. Selon Latoures (2008), une hypothèse intéressante expliquerait ces taux faibles pour la ville de Tombouctou et ses alentours. En effet, ces pratiques étaient très répandues dans le passé, mais les populations les auraient abandonnées suite, surtout, à une cérémonie d’excision massive qui aurait causé le décès de plusieurs jeunes filles au début du siècle. Cette histoire, déclinée en différentes formes, est très souvent évoquée avec une certaine fierté par les Sonrhaïs ou les Tamasheks selon le rapport de Latoures (2008) :

« À Tombouctou par le passé, la communauté a excisé les filles. Malheureusement, beaucoup de filles en sont mortes et certaines sources disent qu’elles en sont toutes mortes. Suite à cela, les marabouts ont interdit la pratique sur le sol de Tombouctou » (AEN, 2004).

La même auteure (Latoures, 2008) poursuit que la même histoire a été racontée à Kabara, cercle de Tombouctou, pour justifier la disparition de ces pratiques :

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« L’excision a été faite trois fois sans succès à Kabara, il y a plus de cent ans. Sur un total de 150 filles (3 tentatives successives) 1/3 des filles sont devenues sourdes, muettes, aveugles et les 2/3 qui ont survécu sont devenues stériles. Et puis l’excision a été bannie » (AEN, 2004).

Les villages avoisinants ont aussi abandonné ces pratiques suite à cet incident. Par contre, elles existent parmi les populations des autres cercles de Tombouctou. Dans les recherches de Sanogo et Giani (2009), au Sud du Mali cette fois-ci, un récit similaire fait ressortir la légende des trois filles excisées transformées en collines. En effet, lors des débats pour savoir si les acteurs qui travaillent sur le terrain de sensibilisation - dans les localités de Zégoua et Kadiolo, région de Sikasso- avaient rencontré des éléments culturels qui pourraient être utilisés comme porte d’entrée pour l’abandon des excisions et des infibulations, les participants ont relaté ce récit :

« Selon la légende, trois jeunes filles ont été transformées en trois collines : les exciseuses, pour une fois qu’elles n’ont pas eu la bénédiction des vieux, qui s’asseyaient à la sortie du village sur leur passage, ont eu des problèmes avec les jeunes filles excisées, dont trois sont mortes à cause d’une hémorragie massive. Pour ne pas ramener les filles mortes au village, les vieilles les ont transformées en collines ».

L’analyse de ces légendes nous fait penser aux récits mythologiques qui expliquent l’origine et le maintien des excisions et des infibulations dans certaines localités. Dans cette perspective mythologique, peut-on penser, à travers ces données, à des fondements légendaires qui expliqueraient l’origine de l’abandon ou le refus de perpétuer ces pratiques traditionnelles à cause des risques et des complications qu’elles comporteraient ?

Nous retenons ici que les excisions et les infibulations sont donc finalement quasi systématiques sur l’ensemble du territoire malien : seules quelques régions et les zones très localisées ou peu peuplées ne les pratiquent pas. On ne peut comprendre cette répartition que

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par le croisement des facteurs géographiques et ethniques, notamment en ce qui concerne les régions du Nord du Mali où les pratiques suivent plutôt une répartition spatiale que strictement ethnique (Latoures, 2008).