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CHAPITRE 2. LE CADRE CONCEPTUEL

2.1 Le choix du concept de dignité et ses valeurs dans une perspective bioéthique

2.1.1 Les complexités théoriques liées à la notion de dignité humaine

L’objectif d’une approche conceptuelle de la notion de dignité se concentre sur une cartographie des notions qui nourrissent la dignité : la hiérarchie et l’égalité, la liberté et le déterminisme, la personne et l’humanité (Bioy, in Gaboriau, 2004). Le même auteur poursuit :

« La dignité n’a pas de contenu propre : par principe elle n’est que valorisation relative d’une entité par rapport à une autre fonction d’un principe de discrimination qui change selon les sociétés et qui peut se décliner selon les titulaires auxquels on accorde cette préséance » (Bioy, in Gaboriau et Pauliat, 2004).

Suivant la réflexion de Bioy, la dignité de la personne humaine n’est pas quelque chose d’absolue, elle se comprend dans cet esprit comme la synthèse de la valeur de l’humanité et de l’objectif de la personne, ce qui peut varier d’une culture à une autre. Or, la place de la dignité humaine est devenue centrale dans les débats de notre temps, étant invoquée dans les grandes causes à titre d’argument ou de référence ultime dans des situations où la question de l’être humain se pose, que ces situations soient médicales, juridiques, religieuses ou culturelles (De Koninck, 2005). Mais, attardons-nous d’abord à rechercher l’existence d’un consensus philosophique sur l’utilisation de ce concept.

2.1.1.1 La diversité dans l’usage du concept de dignité humaine

Hottois (2009) dans son ouvrage « Dignité et diversité des hommes », atteste que la notion de dignité est étroitement associée à l’idée de nature humaine. Il la définit comme une notion qui soulève de nombreuses questions philosophiques, et dont les usages dans le domaine de la bioéthique et du biodroit suscitent autant de réserves que de critiques justifiées (Hottois, 2009). Le concept de dignité humaine s’est substitué à celui de la « sacralité de la

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vie » qui a longtemps joué un rôle important en biomédecine, mais qui s’avère d’application moins rigide (Goffi, 2008). Toutefois son affinité avec le respect des libertés individuelles et avec la reconnaissance de la diversité et du pluralisme entre en conflit avec l’autonomie kantienne, en tant que fondement de la protection due aux êtres humains (Hottois, 2009).

La notion de dignité humaine revêt des dimensions multiples, religieuses, philosophiques et juridiques. C’est un concept très large. Selon la dimension avec laquelle on utilise, elle prend une signification vague ou ambigüe, ce qui encourage l’usage inflationniste dont elle fait parfois l’objet (Andorno, 2005). Il arrive qu’elle soit évoquée dans le but de soutenir des revendications contradictoires ou opposées, comme cela est le cas dans les débats sur l’euthanasie, l’avortement, et le clonage (Thiel, 2013 ; Hirt, 2012 ; Feldmann, 2010 ; Ferry, 2010 ; Hottois 2009 ; Trépanier, 2006 ; Khan, 2000). En effet, tous les protagonistes font appel d’une façon ou d’une autre à la notion de dignité humaine pour défendre leur position. Ainsi, cet appel à la dignité revêt un caractère paradoxal et aboutit à des attitudes fort contrastées dans la société (Thiel, 2013). Selon Hottois (2009), pour de nombreuses questions relatives à la dignité humaine, il est possible de s’entendre et de s’accorder sur des règles consensuellement. Mais sur les fondements, il n’est pas possible de s’entendre, et cette mésentente est une preuve de l’existence de la liberté de pensée. La notion de dignité humaine demeure cependant une notion importante.

2.1.1.2 La dignité humaine : un concept ambigu ?

Macklin (2003), dans un article publié dans le « British Medical Journal », affirme que les appels à la dignité humaine peuplent le paysage de la déontologie médicale. En l’absence de critères permettant de connaître le moment précis où la dignité est violée, la notion reste

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désespérément vague et même ambigüe selon cette auteure. La dignité humaine est un « concept inutile » en bioéthique parce qu’elle ne signifierait pas autre chose dans la pratique médicale que le respect de l’autonomie des personnes (Macklin, 2003). Elle ajoute que les revendications abondent dans le cadre du développement en technologie génétique et de reproduction accusant certaines caractéristiques de la recherche médicale ou la pratique elle- même de violer ou de menacer la dignité humaine (Macklin, 2003).

La dignité humaine est-elle bien une notion utile pour analyser éthiquement les activités médicales ? Les philosophes ne font pas de consensus non plus au sujet de la hiérarchie qui est attribuée à la dignité humaine. Les arguments de certains auteurs qui font référence à la dignité ne font pas une analyse de ce concept ou de la manière dont ce concept se rapporte à des principes éthiques tels que le respect des personnes (Macklin, 2003). La dignité humaine étant considérée un principe et non pas une règle, sa valeur est certes absolue mais son sens devrait être suffisamment univoque pour être applicable (Hottois, 2009).

Le doute entourant la notion de dignité humaine provient « des conceptions dualistes, universalistes, essentialistes, idéalistes, spiritualistes et religieuses chrétiennes » (Hottois, 2009). Si tant d’articles et de rapports font appel à la notion de dignité humaine, la seule explication possible se résume en de nombreuses sources religieuses qui font référence à la dignité. La croyance en l’existence de Dieu et de l’âme ou encore en un plan finalisé de la nature, abonde dans les débats sans pour autant réussir à expliquer comment et pourquoi la dignité s’est glissée dans la littérature en éthique (Macklin, 2003). Faire référence à la notion kantienne de la dignité est aussi un parti pris spiritualiste et dogmatique déclare Hottois (2009). Il explique que cela relève d’un parti pris philosophique caractéristique de l’idéalisme

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universaliste et essentialiste proche du spiritualisme chrétien et des traditions philosophiques du droit naturel (Hottois, 2009). Ces différentes réflexions mettent en évidence toute la complexité de cette notion comme outil d’analyse des pratiques culturelles traditionnelles.

Néanmoins, le fait que la dignité humaine soit une exigence antérieure à toute formulation philosophique et qu’elle précède les doctrines vient attester du rôle d’idée directrice que cette notion peut jouer dans la protection de tout être humain, du seul fait qu’il est humain (De Koninck, 2005 ; Ricœur, 1988). La dignité humaine illumine, ou mieux, devrait illuminer toute pratique dans la société. Certes, en raison de sa généralité, elle est incapable à elle seule de résoudre les problèmes éthiques posés par les actions humaines. Cependant, en dépit de son caractère apparemment vague et le manque de consensus sur ses fondements, la notion de dignité humaine peut fixer des balises à nos pratiques dans la société, et au bout du compte, parvient à leur donner un sens ultime (Andorno, 2005). C’est pourquoi, il faut définir les contours et les articuler pour assurer la réalité et l’efficacité de l’usage de cette notion.

2.2 Le fondement théorique du concept de dignité humaine