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Pratiques performatives (reproduction, documentation, aura)

Objet sonore ? Événement sonore ! Idéologies du son et biopolitique de la musique 23

6. Pratiques performatives (reproduction, documentation, aura)

6. Pratiques performatives (reproduction, documentation, aura)

La plupart des pratiques créatives portant sur l’expérience du son comme événement ne se traduisent pas dans des objets techniquement reproductibles. Dans cette perspective, les façons de présenter ainsi que les moyens de mise en présence sont plus importants que les manières de représenter. Plusieurs exemples d’installations sonores (depuis Max Neuhaus et Bill Fontana, dans les années 1960 et 1970, à la très grande variété des approches plus récentes) peuvent seulement être personnellement expérimentés ou simplement documentés ; ils ne sont pas destinés à être reproduits et ne peuvent tout simplement pas l’être (les techniques de field re-cording et de diffusion sonore multicanale ne sont pas véritablement utiles). De même pour les pratiques d’« écologie profonde », bien entendu, comme dans le cas des soundwalks (promenades sonores) et autres interventions en plein air. Il en va de même pour certaines des œuvres de John Cage ainsi que pour des approches du live electronics actuelles montrant une vision écosystémique de la relation sonore entre les performers, les appareils, et de l’espace (Waters, 2007 ; Di Scipio, 2003 et 2011).

Dans ce contexte, nous devons aussi penser à l’œuvre d’Alvin Lucier et à d’autres

30 Dans un certain sens, le premier pas vers une biopolitique de la musique a été effectué dans le trajet de John Cage de la chambre anéchoïque de l’Université Harvard à la composition de 4’33" (1951-1952).

31 Barry Truax a récemment examiné quelques de ces critiques (Truax 2013).

Objet sonore ? Événement sonore ! Idéologies du son et biopolitique de la musique 43 artistes, comme Nicolas Collins ainsi qu’à plusieurs jeunes artistes (Waters, 2011).

Nous pouvons penser également à des cas d’improvisation radicale, soit avec des collectifs comme Nuova Consonanza (à Rome) ou AMM (à Londres), dans les an-nées 1960, soit avec des pratiques plus contemporaines à la frontière de la noise (Mattin-Iles, 2009).

Pensons encore à une musique instrumentale faite de masses sonores très épaisses, peut-être avec des sources sonores dispersées de façon aléatoire dans la salle de concert (par exemple, la pièce orchestrale de Iannis Xenakis intitulée Terre-tektorh). Pensons à des œuvres d’art sonore présentant très peu de sons, des sons faibles, presque inaudibles (par exemple, aux nombreuses installations de Rolf Ju-lius). Celles-ci sont également des œuvres dont le sens serait largement perdu dans un enregistrement. Des chefs-d’œuvre historiques de l’art multimédia, comme le Poème électronique (Le Corbusier-Varèse) ou les polytopes de Xenakis, avec leur mélange de son multicanaux, d’architecture, d’images et de lumières, constituent des œuvres qui ne peuvent évidemment survivre à leur temps spécifique que dans divers matériaux hétérogènes et dans différents médias : elles peuvent uniquement être documentées (quoi que cela signifie), étant donné qu’il semble impossible de les recréer à nouveau à partir de zéro. En tant qu’œuvres d’art profondément médiati-sées, elles ne peuvent que faire l’objet d’une nouvelle médiation, d’une re-médiation (je prends le concept de re-médiation de Bolter-Grusin, 2000 et de Manovich, 2001).

Pensons à des projets artistiques qui consistent en la formation de petites communautés ou en actions sonores collectivement poursuivies par les visiteurs.

Pascale Criton a, parmi ses compositions, des œuvres de cette nature. Le son peut être « un dispositif pour établir des connexions sociales » (LaBelle 2010). Devons-nous considérer des œuvres de ce type comme des instances d’une esthétique rela-tionnelle (Bourriaud, 1998) ?

En bref, et indépendamment de directions esthétiques particulières, plusieurs projets artistiques semblent se matérialiser dans des circonstances performatives inséparables de l’espace-temps de leur expérience vécue. Sommes-nous donc en présence de formes artistiques qui défient la théorie bien connue de Benjamin sur

« l’art à l’époque de sa reproduction mécanisée » ? Ce serait certainement une affir-mation problématique. Dans un sens, oui, bien entendu : des œuvres comme celles-ci sont conçues dans un monde où la « reproduction mécanique » est facelles-cile et habi-tuelle, mais elles provoquent des situations sonores qui peuvent difficilement être (mécaniquement, analogiquement, numériquement) reproduites. Cependant, plu-sieurs questions doivent être abordées afin que cette affirmation puisse reposer sur des bases solides. Ce n’est pas notre tâche ici. En abordant notre conclusion, nous pouvons seulement ajouter quelques observations peut-être utiles dans la poursuite des travaux.

Est-il approprié de considérer encore la maxime de Benjamin (1935-36) comme le paradigme actuel de tous les arts électroniques et des arts sonores en par-ticulier, à ce jour ? Et devrions-nous alors raviver la notion d’aura ? Certains criti-ques se sont penchés sur la criti-question de l’aura à la lumière de certaines activités artistiques récentes (Rüth, 2008 ; Mersch, 2002). D’autres proposent une esthétique de l’atmosphère, à partir d’une confrontation avec la question benjaminienne de l’aura (Böhme, 1993 : p. 116-118). Une étude récente (Distaso, 2013) nous rappelle qu’Adorno, dans un article de 1963 sur l’art radiophonique, avait semblé envisager une nouvelle sorte d’aura dans la musique de son temps. Bruno Latour a développé la notion d’« aura de second ordre » (ma reformulation) dans son discours sur cer-taines reproductions numériques récentes et ultra-raffinées de peintures anciennes

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(Latour-Lowe, 2011). Ce qui est intéressant, dans toutes ces propositions, ce n’est pas tant le retour (im)possible d’un art de caractère auratique connu (ce serait un geste nostalgique, étant donné le contexte historique profondément différent), mais la possibilité que de nouvelles formes artistiques peuvent clarifier et aussi étendre l’idée d’aura dans de nouvelles perspectives. Pour paraphraser Adorno, de même que ses matériaux, les éléments immatériels de l’art sont également historiquement déterminés.

En outre, se pose la question des pratiques sonores contextualisées, qui peu-vent (ou doipeu-vent) être documentées, comme nous l’avons noté plus haut. La docu-mentation et la reproduction sont connectées, mais elles ne constituent pas la même chose. Certains artistes conçoivent intentionnellement leurs actions contextualisées ou « situées » (in situ) afin de les documenter. Dans quels cas, dirons-nous que le rôle de la documentation passe de celui de moyen à celui de but ? En quel sens peut-on parler d’aura par rapport aux œuvres speut-onores qui speut-ont éphémères, mais qui speut-ont délibérément conçues pour être documentées ? Faut-il considérer la documentalité (Ferrari, 2008) comme une dimension distincte de notre relation intime et partagée pour le son ? Si tous les documents sont aussi des monuments (en fait des mémo-riaux), à quelle fin la pratique documentaire est-elle nécessaire dans l’expérience auditive en tant que processus de perception incarnée ? Que signifie l’idée que

« l’enregistrement sonore est une extension de l’éphémère, pas sa perte » ? (Sterne, 2009 : p. 58, je traduis).

Peut-être que ce n’est pas par hasard que ces interrogations finales portent également sur des questions de temps (durée, durabilité, caractère éphémère, éven-tualité). C’est probablement parce que, dans une prise de conscience écologique nécessaire, les questions de temps pourraient être reprises dans leurs relations inti-mes aux questions de l’espace et de l’environnement.

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Sons désirables et sons indésirables : une dichotomie avec plusieurs extensions

Kostas Paparrigopoulos

Kostas Paparrigopoulos est musicologue. Il a étudié au département de musique de l’université Paris 8 et au département d’urbanisme de l’institut français d’urbanisme-Paris 8, et a obtenu son doctorat en musicologie au département d’études musicales de l’université d’Athènes. Il enseigne au département d’ingénieurs de technologie musicale et acoustique de l’Institut technologique et éducatif de Crète. Ses recherches portent principalement sur la musique du milieu du XXe siècle à nos jours, en particulier sur la musique de Iannis Xenakis et John Cage. Ses intérêts récents touchent à la dimension interdisciplinaire de la musique en se concentrant sur ses liens avec les questions sociales et écologiques. Dans cette direc-tion, il a publié des articles de recherche, a participé à des conférences et programmes scientifiques et a été membre de comités organisateurs, scientifiques et éditoriaux. Il est président de la société hellénique d’écologie acoustique (HSAE), organisation affiliée au forum mondial pour l’écologie acoustique (WFAE).

Abstract. La question des sons désirables ou indésirables pour l’oreille humaine est posée, en particulier en musique, depuis très longtemps. Dans ce texte, l’attention portera sur la relance de la question dès la fin des années 1960, telle qu’elle apparaît sous le prisme de l’écologie du son. Ici, la question ne se limite pas à la pratique et à l’esthétique musicale, mais elle acquiert une dimension multidisciplinaire qui em-brasse l’architecture, l’urbanisme, la psychologie, la sociologie, l’acoustique, etc. Cette nouvelle dicho-tomie entre sons désirables et indésirables est proposée dans les années 1970 par Murray Schafer, qui introduit en même temps le dipôle paysage sonore de basse fidélité « lo-fi » et paysage sonore de haute fidélité « hi-fi ». Ces concepts sont exprimés en des termes empruntés à la théorie de l’information, en tant que rapport signal sur bruit, dans le but de les rendre également mesurables. Dans un paysage sonore lo-fi, le rapport de signal sur bruit est bas ; des sons forts masquent les sons faibles. Au contraire, dans un paysage sonore hi-fi, le volume sonore est équilibré et on peut entendre pratiquement tous les sons. Ce-pendant, une tendance critique s’élève sur l’utilité et la pertinence de ces concepts, émanant notamment de chercheurs, de compositeurs ou d’artistes sonores. Ces critiques ont des colorations musicologiques, esthétiques, mais aussi socio-politiques et éthiques. Elles touchent à la question de la subjectivité et de la liberté dans l’art, de la relation entre son et quotidien, et se prolongent vers la réflexion de Felix Guattari et l’écologie du social. Ce texte porte précisément sur ces tendances qui, par leur présence et leur conte-nu, polyphonisent et enrichissent le champ de l’écologie du son.

1. Introduction

La question des sons désirables ou indésirables est posée, en particulier en musique, depuis très longtemps. Elle a même servi jadis à distinguer ce qui est

« musical » de ce qui est « non musical ». Outre son importante dimension histori-que, cette question recèle une certaine dimension esthétique. Dès le début du XXè-me siècle, les sons qualifiés autrefois de « non musicaux » entrent en musique et l’on constate, en effet, qu’une partie importante de la musique de ce siècle, et du nôtre, est intimement liée à ce qu’on appelle le « bruit » (M. Solomos, 2013). Avec l’arrivée de la technologie électronique, la quasi-totalité de l’environnement sonore (enregistré ou synthétisé – bruyant ou pas) s’offrira entièrement ou presque à la création artistique.

Cependant, toutes ces sonorités « bruyantes » de la modernité prendront pro-gressivement une connotation plutôt négative, vues à travers le cadre d’une

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« écologie du son ». R. Murray Schafer a reformulé la question (des sons désirables ou indésirables) en introduisant une dichotomie « écologique » entre paysage sonore de haute fidélité « hi-fi » et paysage sonore de basse fidélité « lo-fi » (R. Schafer, 1993/1977). Ces concepts sont exprimés en des termes empruntés à la théorie de l’information, en tant que rapport signal sur bruit, dans le but de les rendre égale-ment mesurables. Ici, on ne traitera pas seuleégale-ment des sons désirables ou indésira-bles, mais également, et surtout, des ensembles de sons, des paysages sonores, quali-fiés de désirables ou d’indésirables.

La formulation du concept de paysage sonore hi-fi nous éloigne de la ville

« bruyante », industrielle et post-industrielle, en nous ramenant à la nature paisible.

Le paysage sonore hi-fi devient en quelque sorte, un « idéal » acoustique à recher-cher, bien prometteur, qui rendra aussi service à la lutte contre la « pollution sono-re » dans les villes. Ici, il semble que la ville « idéale » sono-recherchée doive sono-ressembler, acoustiquement au moins, à la campagne. Nous entrons dans une sensibilité qui a tendance à privilégier l’élément apollonien au détriment du dionysiaque.

Examinons maintenant certaines tendances critiques qui se sont élevées par des chercheurs, compositeurs ou artistes sonores sur l’utilité et la pertinence des concepts hi-fi/lo-fi, désirables/indésirables, et leurs éventuelles extensions.