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3 Pratiques de gestion de la biomasse aux seins des exploitations familiales mixtes d’agriculture-

3.2 Pratiques de gestion des parcelles ou gestion des apports de biomasses au sol et impacts

Les exploitations familiales sont constituées de diverses parcelles gérées différemment en raison de la disponibilité limitée des ressources essentielles tels que les biomasses, les éléments nutritifs et le temps travail (Giller et al., 2006). Ces différences de gestion des parcelles peuvent créer de l’hétérogénéité au niveau du sol en modifiant les propriétés physiques, chimiques et biologiques du sol (Fernandes et al., 1997), et en particulier les teneurs en matière organique du sol et en éléments nutritifs.

Le stock en matière organique du sol est fortement sensible aux pratiques des agriculteurs, et en particuliers aux pratiques impliquant des transferts de matières organiques au sol (e.g. effluents d’élevage, résidus de cultures, de compost végétal, d’engrais verts, déchets d'élagage) et/ou modifiant le taux de décomposition de la matière organique (e.g. Fernandes et al., 1997 ; McLatchey et Reddy, 1998 ; Nandwa et Bekunda, 1998 ; Palm et al., 1997). Ainsi, les teneurs en matière organique du sol peuvent être affectée par les pratiques qui (Fernandez et al., 1997) :

 modifient l'environnement du sol (e.g. labour, irrigation, mise en place de mulch, utilisation d'engrais organiques ou minéraux, chaulage), ce qui influe sur les processus biologiques de décomposition et la minéralisation ;

 déterminent la quantité et la qualité (composition chimique) des apports organiques au sol, ainsi que la date et l'emplacement (surface ou incorporation) de leur application, ce qui agit sur la synchronisation entre la libération des éléments nutritifs du la matière organique du sol et de la demande des plantes ;

 affectent les macro et microorganismes du sol (agents de décomposition) via le labour, mulch de surface, ou de l'utilisation des pesticides.

3.2.1 Modification de l’environnement par les pratiques

Les pratiques de mulch, de semis direct sous couverture végétale (SCV), d’agroforesterie ou de labour réduit, en maintenant des matières organiques en surface (mulch ou litière de débris végétaux) permettent de réduire l'érosion des sols, le taux d'évaporation de surface et la formation

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d’une croûte en surface du sol. De plus, en fonction du taux de recouvrement, le mulch peut limiter la croissance des mauvaises herbes (Douzet et al., 2010 ; Fernandes et al., 1997). Par ailleurs, avec ces pratiques d’accumulation de mulch ou de litière en surface, l'augmentation de la teneur en matière organique du sol se limite souvent à l’horizon de surface du sol. A la différence de ces pratiques, l’incorporation au sol des matières organiques, par des pratiques de labour par exemple, permet de modifier plus en profondeur les teneurs en matière organique du sol et autres propriétés du sol. Par ailleurs, l’incorporation au sol des matières organiques augmente le contact « matières organiques-sol », ce qui facilite leur décomposition et permet alors de libérer plus rapidement les éléments nutritifs (Fernandes et al., 1997).

Les pratiques d’agroforesterie ou de culture de pérennes (e.g. prairies, fourragères pérennes, jachère arborée ou arbustive) permettent de briser les couches compactes de sol ; les racines pivotante peuvent briser les couches compacts en profondeurs et les racines latérales, moins profondes celles proches de la surfaces (Bellows, 2001 ; Young, 1990). Ainsi, les effets des racines permettent de maintenir ou d'améliorer des propriétés physiques du sol tel la structure, la porosité, la capacité de rétention en eau et la perméabilité (Udawatta et Anderson, 2008 ; Young, 1990).

De plus, ces cultures à système racinaire profond, peuvent avoir accès à davantage d’eau et d’éléments nutritifs du sol que les cultures annuelles ; ceci les rend plus résistantes aux variations des conditions environnementales (Nandwa et Bekunda, 1998). La capture des éléments nutritifs du sol en profondeur et leurs transferts vers les parties aériennes de la plante permet d’accéder à ces éléments nutritifs de profondeur qui pourront alors être réutilisés par des transferts des biomasses aériennes (e.g. engrais vert, litière). De même, l’utilisation de légumineuses fixatrices d’azote comme engrais vert ou comme mulch permet apporter de l’azote d’origine atmosphérique au sol (Nandwa et Bekunda, 1998).

Enfin, l'ombre apportée par le feuillage et/ou la couverture du sol par la litière ou le mulch permettent la modification des conditions de température du sol (Young, 1990). Cette modification de la température pourrait agir sur les processus de volatilisation, dénitrification et nitrification. Cependant, certaines études montrent que l’utilisation d’une couverture végétal ou les pratiques de SCV peuvent augmenter les pertes de N par volatilisation, dénitrification et lixiviation ; d’autres rapportent le contraire ou qu’il n’y a aucun effet (e.g. Jian-She et al., 2011;; Mkhabela et al., 2008; Rochette et al., 2009; Yadvinder et al., 2005).

3.2.2 Gestion de la qualité, de la quantité, du moment et de l’emplacement des apports en matières organiques

Les transferts de biomasse au sol peuvent être réalisés sous forme d’effluents d’élevage, de résidus de cultures, de compost végétal (déchets ménagers), d’engrais verts, de litières végétales (feuilles mortes), déchets d'élagage, etc. Ces matériaux ont des formes (e.g. résidus entiers, fragments grossières, lisier) et des compositions chimiques différentes selon leur origine et les traitements reçus (découpe, broyage, compostage). De plus, selon leurs disponibilités, ces transferts de biomasse varient en quantité (Nandwa et Bekunda, 1998).

En fonction de la forme et de la taille des matières organiques incorporées au sol, leur décomposition peut être plus ou moins rapide. Par exemple, de grands fragments de résidus de culture ont généralement un taux de décomposition plus lent que des fumiers ou lisiers (Fernandes et al., 1997 ; Yadvinder et al., 2005).

Les processus de décomposition et d’immobilisation dépendent également de la composition chimique des matières organiques incorporées (i.e. teneurs en N, en lignine, en polyphénol, rapport

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C/N). Le choix des variétés végétales utilisées est donc primordial afin de prévoir la composition chimique des biomasses végétales qui seront transférées au sol (Fernandes et al., 1997). La composition chimique des effluents d’élevage est influencée par les pratiques de conduite des animaux, d’alimentation des animaux et de stockage des effluents d’élevage (Fernandes et al., 1997 ; Lekasi et al., 2003). L’incorporation des matières organiques ayant un rapport C/N élevée (≥25) tels des résidus de riz, de blé, d'orge ou de maïs peut entraîner, à court terme, l’immobilisation (i.e. absorption par les microorganismes du sol) du N et du P. En utilisant les éléments nutritifs du sol comme source d’énergie pour décomposer les matières organiques, les microorganismes peuvent alors rentrer en compétition avec les cultures. Si l’immobilisation se déroule pendant des phases critiques pour les plante, ceci peut nuire rendement des cultures. L'ajout de N via des pratiques de fertilisations minérales sur ces matières organiques en décomposition permet de compenser une partie du processus d'immobilisation. Les biomasses issues de légumineuses ont généralement une plus forte teneur en N et des rapports C/N plus faibles que les biomasses non-légumineuses, ce qui favorise une rapide minéralisation de l'azote lors de leur incorporation au sol. Cette décomposition rapide pourrait être aussi à l’origine de l'augmentation du pH du sol et d’une diminution de l'adsorption de l’aluminium et des anions (i.e. fixation de ces molécules présentes dans la solution aqueuse du sol sur une surface solide) observées à court terme après l'addition d’importantes quantités de biomasses issues de légumineuses. De même, en plus d'être une source en éléments nutritifs, les effluents d’élevage permettent de réduire l'acidité du sol (Fernades et al., 1997). Des teneurs importantes en lignine et/ou en polyphénol par rapport aux teneurs en N des matières organiques incorporées peuvent diminuer à court terme le taux de décomposition et le N du sol disponible. (Fernandes et al., 1997 ; Yadvinder et al., 2005). Palm et al. (2001) ont développé un outil d’aide à décision afin de déterminer le mode de gestion des apports de biomasses au sol en fonction de leur composition chimique (teneur en N, en lignine et en phénol).

Ainsi selon les disponibilités en matières organiques ou en fertilisants minéraux, les apports en matières organiques ou fertilisants peuvent être « ciblés », c'est-à-dire que l’agriculteur concentre préférentiellement ces apports sur certaines parcelles (e.g. des parcelles proches de l’habitation) ou cultures (e.g. cultures maraîchères, culture de rentes). Le choix des parcelles ou cultures à fertiliser en préférence est motivé généralement par la conviction que ces sites peuvent offrir un retour sur investissement supérieur aux autres en termes financier (cultures à forte valeur ajoutée), de temps de travail (parcelles proches) et/ou de rendement (parcelles considérées comme fertiles) (Fernandes et al., 1997). Cette pratique de fertilisation ciblée peut induire de l’hétérogénéité dans la fertilité du sol et par exemple créer des gradients de fertilité du sol (Giller et al., 2006, Tittonell et al., 2005 ; Tittonell et al., 2007b ; Zingore et al., 2007).

3.2.3 Pratiques impactant les activités biologiques du sol

La macrofaune du sol (e.g. termites, vers de terre) est sensible aux perturbations du sol et à l’utilisation de pesticide. Ainsi il a été noté une diminution de la macrofaune du sol dans les systèmes agricoles mécanisés, à fort niveau d’intrants (Fernandes et al., 1997). De même, les pratiques de cultures sur brûlis entraînent une importante réduction de la macrofaune du sol (Omotayo et Chukwuka, 2009 ; Palm et al., 1996). Les populations de vers de terre diminuent aussi dans les systèmes pastoraux surexploités où la densité du sol augmente (Fernandes et al., 1997).

Au contraire, l’accumulation de matière organique en surface par les pratiques de mulch, de labour réduit, de SCV ou d’agroforesterie favorisent l’activité et la sélection de macro et microorganismes adaptés à des milieux riches en matières organiques (Fernandes et al., 1997). Pour les pratiques d’agroforesterie ou d’engrais vert, l’utilisation de plantes mycorhiziennes (i.e. en association avec des

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mycorhizes) telles Cajanus cajas ou Tithonia diversifolia permet d’accroitre la disponibilité en P du sol (Cardoso et Kuyper, 2006).

3.2.4 Conséquences des pratiques en termes de teneur en SOC et en rendement

Les effets des pratiques sur l’augmentation des teneurs en SOC ont fait l’objet de nombreuses études (Tableau 2).

Tableau 2 : Pratiques agricoles ayant des effets positifs sur le stock de carbone organique du sol

Pratiques favorables à l'augmentation du stock de SOC

Références*

Cultures pérennes / Pâtures Conant and Paustian, 2002

Feller, 1995 IPPC, 2006 Lal, 2008 Li et al., 1997

Bois / Agroforesterie / Jachères Albrecht et Kandji, 2003

Manlay et al., 2002 Zéro-labour / Labour réduit / Mulch / SCV Bernoux et al., 2006

Carvalho et al., 2010 Farage et al., 2007 Lal et al., 2007 Scopel et al., 2005 Razafimbelo et al., 2008

Fertilisation organique / Apport fumier Ammann et al., 2009

Lal, 2008 Palm et al., 1997

SOC : carbone organique du sol ; SCV : Semis direct sous couverture végétales ; * : liste non exhaustive

Grâces aux multiples interactions entre les propriétés biologiques physiques et chimiques du sol (Figure 1), l’augmentation des teneurs en SOC peut s’accompagner de (1) une amélioration de la structure et du régime hydrique du sol ; (2) une augmentation des organismes du sol et de l’activité biologique du sol ; (3) une augmentation de la libération des éléments nutritifs par décomposition. Ceci pourrait expliquer en partie l’augmentation de la productivité des cultures observée (surtout à long terme) pour les systèmes d’agroforesterie (e.g. Bationo et al., 1998 ; Glover et al., 2012) ; de SCV (e.g. Djigal et al., 2012 ; Giller et al., 2006 ; Scopel et al., 2005) ; l’utilisation d’engrais vert (e.g. Giller et al., 1997 ; Omotayo et Chukwuka, 2009 ; Sanchez et al., 1997 ; Tejada et al., 2008) ; l’utilisation de résidus de cultures (e.g. Bationo et Buerkert, 2001 ; Bekunda et al., 1997 ; Yadvinder et a., 2005) ; l’application de fumier (Bationo et al., 1998 ; Bationo et Buerkert, 2001 ; Bekunda et al., 1997 ; Mando et al., 2005). Cependant, ces améliorations des conditions de sol n’entraînent pas systématiquement une augmentation des rendements car d’autres facteurs peuvent intervenir tels l’immobilisation du N par les microorganismes du sol, la libération de composés toxiques, le développement de maladies fongiques (Fernandes et al., 1997 ; Yadvinder et al., 2005).

3.2.5 Conséquences des pratiques en termes socio-économiques

Les pratiques de SCV ont largement été adoptées par des exploitations agricoles intensives et mécanisées en Amérique du Nord, en Australie et au Brésil, en particulier grâce aux économies en carburant et en temps de travail engendrées par l’arrêt du travail du sol (FAO, 2001). Toutefois, la

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rentabilité financière de ces pratiques reste incertaine et est susceptible de varier considérablement d'un site à l'autre (FAO, 2001).

Ainsi, ces pratiques ont rarement été adoptées par les exploitations familiales des pays en développement (Affholder et al., 2010). Dans les systèmes agricoles familiaux, l’augmentation des coûts et les charges de travail générés par les systèmes SVC sont présentées comme des contraintes majeures à leur adoption (Erenstein, 2003 ; Giller et al., 2009). Les agriculteurs des exploitations familiales doivent faire face à des contraintes de sécurité alimentaire et de production à court terme. Pour cela, ils accordent souvent plus d’importance aux coûts et bénéfices réalisés à très court terme au détriment des bénéfices qui pourraient être engendrés à long terme par des pratiques de SCV (Giller et al., 2009).

Au Vietnam, l’adoption des systèmes SCV est principalement freinée par des contraintes économiques (l’achat d’intrants) et de temps de travail (mise en place du mulch). Par rapport aux systèmes conventionnels, les besoins de travail et de liquidités supplémentaires rendent les systèmes SCV souvent moins économiquement intéressants pour les exploitants (au moins la première année). La mise en place de subventions encouragerait les exploitants vietnamiens à l’adoption des systèmes SCV, à condition qu’elles s’élèvent à 10-40% de la marge brute moyenne de ces exploitations (Affholder et al., 2010). En Afrique, où la disponibilité en biomasses est souvent limitée, un mulch ayant un taux de recouvrement du sol trop faible peut mettre en cause l’effet de lutte contrôle des mauvaises herbes présenté avec des systèmes SCV. Ceci entraîne fréquemment une augmentation de la main-d'œuvre (féminine) nécessaire au désherbage. A court terme et sans l'utilisation d'herbicides (le cas dans des systèmes d’agriculture familiale), les pratiques de SCV ne parviendraient donc pas à entraîner des diminutions de la charge totale de travail. A long terme, et avec l'utilisation d'herbicides une diminution de la charge totale de travail semblerait possible (Giller et al., 2009). Dans des exploitations familiales d’agriculture-élevage du Brésil, Alary et al. (2010), soulignent que l’adoption des pratiques de SCV serait principalement due à la mécanisation du semis de maïs (semoirs à traction animale) proposée avec les systèmes SCV. Ces semoirs à traction animale permettent des économies de main-d'œuvre par rapport au semis manuel en système conventionnel.

En raison de l’augmentation de la charge de travail pour la coupe et le transport de la biomasse sur les parcelles, l'utilisation des déchets de l’élagage des arbres (systèmes d’agroforesterie) ou d’engrais verts en tant que sources d'éléments nutritifs ne seraient rentables qu’avec des cultures à forte valeur ajoutée (Sanchez, 2002). En agroforesterie, l’association d’une culture de maïs avec des haies arborées (légumineuses utilisées comme fourrage ou engrais vert) nécessitent 22 à 31% de plus de main d’œuvre que les systèmes de maïs en monoculture sans fertilisation. Cette augmentation de la main d’œuvre est principalement due à la gestion des haies arborées et à l’élagage et/ou l’application de fumier. Seul le système où la biomasse produite par les haies était à but fourrager a présenté un intérêt économique par rapport à la monoculture de maïs (Mathuva et al., 1998).