• Aucun résultat trouvé

Chapitre 5 : Discussion générale

2 Limites méthodologiques

2.1 Hypothèses et simplifications

L’analyse globale de la durabilité à l’échelle des exploitations familiales d’agriculture-élevage a mobilisé un grand nombre d’informations touchant à divers domaines :

 détermination des structures et du fonctionnement des exploitations ;

 quantification des flux de matières ;

 détermination des teneurs en azote des éléments (e.g. fourrages, fèces, concentré, aliments) ;

 estimation des émissions gazeuses et autres pertes en azote ;

 caractérisation de la fertilité des sols ;

 quantification des flux financiers (entrées et sorties d’argent) ;

 détermination de la qualité de l’alimentation humaine (quantités consommées et apports énergétiques des aliments).

Cependant dans un contexte africain généralement peu documenté, cette analyse globale a impliqué des simplifications et des hypothèses lors de sa construction.

Estimations des données

La quantification de certains rendements et flux de biomasse a été approximée à partir d’informations collectées auprès des agriculteurs. En cas d’absence de données d’enquêtes ou de mesures, des estimations tirées de la littérature ont été utilisées. C’est le cas notamment des taux de perte d’azote par émission gazeuse, lixiviation ou érosion. Dans la plupart des cas, des taux moyens de pertes d’azote ont été utilisés, alors que les plages de variation de ces taux étaient généralement décrites comme très larges (Oenema and Heinen, 1999 ; Vayssières and Rufino, 2012).

Non prise en compte de certains flux

De même, certains flux d’azote liés à des transferts au niveau du sol ont été négligés. En effet, la déposition, la sédimentation, la fixation de N2 (symbiotique et abiotique), la dénitrification sont des flux d’azote qui n’ont pas été pris en compte dans cette étude. Certains de ces flux ont été estimés pour Madagascar au niveau national par Stoorgovel et Smaling (1990) avec des valeurs moyennes de 4, 8 et 3 kg N.ha-1.an-1 respectivement pour la déposition, la fixation et la sédimentation. La somme de ces flux entrants s’élève en moyenne à 38 kg N.ha-1.an-1 et à 19 kg N.ha-1.an-1 pour les rizières de bas-fond et les cultures de tanety (maïs, légumineuses, patates douces), respectivement (Stoorgovel et Smaling, 1990). Cependant Hofstra et Bouwman (2005) ont suggéré que la dénitrification dans les

Chapitre 5

rizières (zones humides) était plus élevée que dans les prairies ou dans les autres surfaces cultivées. Ainsi dans le contexte malgache, la dénitrification pourrait être estimée à environ 58 et 17 kg N.ha

-1.an-1 respectivement pour les rizières et les surfaces de tanety à faible fertilisation azotée. Ces valeurs de dénitrification étant proches de celles des flux d’azote entrants (déposition, fixation et sédimentation), il apparaît acceptable de négliger l’ensemble de ces flux d’azote. De plus, les flux d’azote liés à la fixation symbiotique de N2 par les légumineuses sont couramment déterminés en fonction des espèces cultivées et des surfaces emblavées (Liu et al., 2010 ; Stoorgovel et Smaling, 1990). Mais l’activité des nodules dépend aussi des conditions environnementales (Aranjuelo et al., 2007; Hungria et Vargas, 2000). Par ailleurs, les pertes d'azote par lixiviation pourraient être atténuées grâce à la récupération de l'azote par les cultures à enracinement profond, telles que le Brachiaria spp. ou le Pennistum purpureum (Van den Bosch et al., 1998). Les phénomènes d’érosion peuvent également entraîner des transferts d’azote d’une parcelle à une autre d’une même exploitation, difficilement quantifiables, et pouvant conduire à une surestimation des taux de perte (Schlecht et Hiernaux, 2005). Des investigations supplémentaires semblent ainsi nécessaires pour obtenir des estimations plus précises des différents taux de pertes d’azote dans les exploitations agricoles malgaches.

Non prise en compte d’autres éléments nutritifs majeurs

L’azote est généralement considéré comme un des principaux facteurs limitant des cultures. Cependant, une étude du bilan azoté sur riz pluvial sur les hauts plateaux malgaches indique que les plantes prélèvent peu d’azote par rapport à la quantité disponible dans le sol, suggérant ainsi l’existence d’un facteur limitant autre que l’azote (Rakotoarisoa et al., 2010). Par ailleurs, le phosphore a souvent été reconnu comme un facteur limitant majeur des cultures dans les sols ferrallitiques africains en raison de sa fixation par le fer et/ou l’aluminium du sol (Sanchez et al., 1997 ; Sanchez et al., 2003). Les applications de fumier pourraient permettre d’augmenter la disponibilité du phosphore du sol pour les plantes, soit directement par des apports de phosphore, soit indirectement, par des apports de composés humiques qui limitent les effets fixateurs des sols ferrallitiques (Giller et al., 1997; Palm et al., 1997). L’effet positif de la fertilisation organique sur les teneurs en phosphore du sol a aussi été révélé dans cette étude. Cependant, seulement une faible part de la variabilité des teneurs en phosphore du sol a pu être expliquée (Chapitre 3). La réponse des cultures aux apports d’azote (urée ou fumier) pourrait être alors plus limitée si le phosphore est un facteur limitant. De plus, cette réponse pourrait être différente selon l’origine de l’azote employé (minéral ou fumier). Ceci pourrait encore augmenter l’intérêt économique (marge brute) et environnemental (e.g. efficience azotée globale) des pratiques de complémentation associées à l’amélioration des pratiques de gestion des effluents par rapport aux pratiques de fertilisation minérale.

Non linéarité des processus

Les calculs et les simulations s’appuient sur l’hypothèse de linéarité des processus biophysiques. En effet, tout comme le modèle statique NUTMON utilisé au Kenya pour le calcul des bilans en éléments nutritifs des exploitations (de Jager et al., 1998), ou la détermination des bilans complets d’éléments nutritifs pour divers pays d’Afrique (Aticho et al., 2011 ; Lesschen et al., 2007 ; Stoorvogel et Smaling, 1990), les calculs effectués dans cette étude ne tiennent pas compte de la non-linéarité des processus biophysiques (e.g. augmentation des rendements en fonction des éléments nutritifs apportés, production de lait en fonction de l’alimentation, augmentation en éléments nutritifs dans le sol en fonction des apports de matière organique). Ce problème de non-linéarité se pose en particulier lors du changement d’échelle (Bockstaller et al., 2008 ; Cobo et al., 2010). Ainsi, le calcul

Discussion générale

des flux à l'échelle de la parcelle, puis l'agrégation de ces résultats parcellaires pour obtenir des flux à l'échelle de l'exploitation peut être une source d'erreur. Par exemple, comme mentionné précédemment, un flux d'azote sortant d’une parcelle telle l'érosion peut être un flux entrant d’azote, telle la sédimentation, pour une parcelle de la même exploitation. De même, les pertes d'azote des élevages ne sont pas proportionnelles à la densité animale (Dalgaard et al., 2011) ; par exemple, un élevage de six animaux pour 40 m2 n'entraînera pas deux fois plus de pertes d’azote qu'un élevage à trois animaux pour 40 m2. Selon Cobo et al. (2010), les méthodes de changement d’échelle par agrégations linéaires peuvent générer des erreurs plus importantes que celles liées aux estimations des flux à l’échelle de unité (e.g. parcelle, animal). De plus, les effets et les interactions à long terme au sein des exploitations d’agriculture-élevage (par exemple l'accumulation de matière organique dans les sols induite par l'épandage de fumier) n’ont pas pu être pris en compte dans cette étude, qui n’a considéré qu’un cycle annuel pour les observations et les calculs de transferts de nutriment.

Ainsi, la modélisation et les analyses spatiales (« mapping ») pourraient permettre de surmonter les difficultés liées à la non-linéarité des processus, aux changements d’échelle et à la dynamique des échanges des éléments nutritifs sur le long terme (Cobo et al., 2010 ; Dalgaard et al., 2011). Cependant, malgré ces limites méthodologiques et l’incertitude des données, la détermination des flux et le calcul des bilans d’éléments nutritifs se sont révélés être des méthodes utiles pour l’analyse de la gestion des ressources naturelles en Afrique (Cobo et al., 2010).

2.2 Vulnérabilité des exploitations les plus pauvres, instabilité extérieure et aversion aux

risques

L’étude de la durabilité des systèmes familiaux d’agriculture-élevage doit aussi prendre en compte des contraintes qui ne sont pas directement liées aux pratiques de gestions des biomasses, telles que des enjeux cachés, une aversion aux risques, un contexte politique ou économique instable. Ces contraintes n’ont pas pu être prises en compte et pourraient remettre en cause la faisabilité des pratiques simulées.

Vulnérabilité de l’Exploitation 4, exploitation la plus pauvre, et problème de durabilité

Par exemple, la question de la durabilité économique se pose pour l’exploitation la plus pauvre, qui présente un fonctionnement de subsistance. En effet, cette exploitation présente une marge brute agricole réduite, un revenu global négatif et un ratio d’autosuffisance alimentaire proche de 1, ratio qui indique que l’ensemble des productions est juste suffisant pour couvrir les besoins alimentaires de la famille en termes d’énergie (Chapitre 2, Chapitre 4). Or, dans cette exploitation, une partie des productions est destinée à la vente. Cet état critique qui en découle, associé à la crise de la filière laitière depuis 2009, s’est traduit par le déstockage important d’animaux bovins entre 2009 et 2011. Il n’est pas impossible d’envisager que dans un tel contexte, des aides financières extérieures (aide d’un proche de la famille) aient pu échapper à l’analyse.

L’impact sur la marge brute agricole de l’amélioration des pratiques de stockage et d’épandage du fumier est particulièrement faible dans cette exploitation la plus pauvre (Chapitre 4). Ceci est probablement lié au fait qu’une grande partie de l’azote excrété (environ 94 %) est perdue avant l’étape du stockage. L’amélioration de la gestion des effluents d’élevage devra donc mettre l’accent sur cette première étape, en améliorant la structure du sol de l’étable, en changeant le type de litière, en renouvelant la litière usagée plus fréquemment (Beauvais, 2010 ; Rufino et al. 2006).

Chapitre 5

Cependant, les coûts des techniques à mettre en place pour limiter les émissions d’azote pourraient parfois être supérieurs à la valeur de l’azote « économisé » en termes d’engrais (Rotz et al., 2006). Par ailleurs, la simulation d’une utilisation accrue des aliments concentrés pour l’alimentation des vaches laitières a suggéré une très nette amélioration de la marge brute agricole de cette exploitation. Cependant ce changement dans le mode d’alimentation de l’élevage bovin nécessite d’avoir une capacité de trésorerie suffisante pour « amorcer ce cercle vertueux », ce qui semble difficile à réaliser dans le cas de l’exploitation la plus pauvre d’après le bilan négatif de trésorerie en 2009 (Chapitre 2). De plus, la réponse des vaches laitières, en terme de production de lait, à une amélioration de la ration alimentaire, dépendra de nombreux facteurs et notamment du stade physiologique de l’animal (début ou fin de lactation, gestation). Il est donc possible que cette réponse soit faible pour une exploitation comme celle-ci, où les animaux sont nourris majoritairement de fourrages à faibles valeurs nutritives (bozaka et paille de riz). Ainsi selon Aticho et al. (2011), les propositions d’amélioration des pratiques pour une agriculture durable et la sécurité alimentaire des exploitations familiales doivent être adaptées au niveau de la richesse des agriculteurs ; ceci en lien avec le prix des intrants.

Instabilité extérieure et fluctuation des prix

Les exploitations familiales africaines sont couramment exposées à toutes sortes de risques mettant en péril la sécurité alimentaire de la famille : aléas climatiques, maladies ou épidémies (humaine ou animale), pestes, ravageurs, instabilités économiques et/ou politiques. Les exploitations familiales les plus pauvres sont aussi les plus vulnérables (Rufino, 2008). Les prix des intrants payés par les agriculteurs africains sont généralement très élevés et fluctuants (Sanchez et Swaminathan, 2005 ; Morris et al., 2007). A Madagascar, le prix des engrais a été multiplié par deux entre 2008 et 2009, alors que dans le même temps, le prix du lait vendu à Antsirabe passait de 600-500 Ar.L-1 à 150-100 Ar.L-1 suite à la cessation d’activité de la principale entreprise de transformation. Or, les prix des différents intrants (urée, concentrés) et les prix des productions (riz, lait) sur les marchés sont des facteurs qui conditionnent l’avantage économique que peuvent induire les pratiques de complémentation ou les pratiques de fertilisation minérale.

Le déstockage de bovins (observé dans deux exploitations étudiées) peut être utilisé comme une stratégie d'adaptation à une crise sur le long terme (Rufino, 2008). Cependant, recréer le stock de bovins peut s’avérer difficile pour des raisons de trésorerie. L’intérêt pourrait donc se porter sur l’achat de petits animaux, tels que les petits ruminants ou les monogastriques, moins coûteux et plus facilement mobilisables. L’exemple de la trajectoire de l’exploitation la « plus intensive » suggère un rôle primordial de l’activité porcine (naisseur-engraisseur) lors de l’installation et le financement de l’élevage bovin. La proximité des marchés pourrait avoir un rôle dans la rapidité d’adaptation des exploitations face à la crise laitière de Madagascar. En effet les deux exploitations ayant vendu des vaches laitières sont aussi celles qui étaient le plus enclavées. Les deux exploitations n’ayant pas déstocké le troupeau laitier sont l’Exploitation 1 et l’Exploitation 3 : la première, la plus intensive, avait déjà organisé la vente de ses propres produits laitiers (en bord de route nationale) et la seconde, située en bord de nationale, avait attendu une quinzaine de jour avant de retrouver un acheteur régulier, une coopérative laitière situé à proximité. La proximité des marchés, le regroupement des exploitations en organisation paysanne ou l’appartenance à une coopérative laitière pourraient être des facteurs de consolidation des exploitants face aux instabilités extérieures fréquentes. Cependant, les contraintes de la sécurité alimentaire de la famille poussent les agriculteurs à développer une aversion aux risques.

Discussion générale

Aversion aux risques

La gestion du risque est inhérente à la prise de décisions des exploitations familiales. L’adoption de nouvelles technologies est conditionnée par la capacité de prise de risque de l’exploitant face à un échec potentiel de la technologie (Dercon et Christiaensen, 2011). Les enquêtes auprès des agriculteurs ont révélé une tendance à la fertilisation préférentielle des « meilleures » parcelles de tanety, dans le but « d’assurer une bonne récolte » (à dire d’agriculteur). Ces pratiques relèvent d’une possible aversion aux risques chez les agriculteurs et peuvent contribuer à l’accentuation de l’hétérogénéité des niveaux de fertilité des sols. Au Zimbabwe, les pratiques de fertilisation des agriculteurs ont engendré un gradient de fertilité des sols : les parcelles les plus fertiles et les plus souvent fertilisées sont celles qui sont les plus proches des habitations (Zingore et al., 2007a). En conséquence, pour augmenter l'efficacité des apports d’éléments nutritifs, Zingore et al. conseillaient de procéder à des applications ciblées d’engrais minéraux et de fumier qui prennent en compte l’hétérogénéité du sol et, en particulier, la gestion passée des parcelles (Zingore et al., 2007b).

Le contexte économique de la zone d’étude et son éventuelle instabilité peuvent donc jouer un rôle déterminant dans l’adoption des pratiques de gestion des biomasses et les processus d’intensification durable. Selon, McDermott et al., (2010), l’intensification durable des exploitations d’agriculture-élevage doit passer par la production de valeur ajoutée afin de faire face à leur majeure contrainte qu’est le prix élevé des intrants. La mise en place de politiques et d’infrastructures pour la création de marchés et l’amélioration de leur accès aux exploitations sont indispensables à l’adoption de nouvelles technologies (Tittonell, 2007). L’organisation de la filière laitière (e.g. organisations paysannes, coopératives) pourrait être un facteur de stabilisation face aux risques de crises économiques et des aléas climatiques. Cette structuration de la filière pourrait contribuer alors à diminuer l’aversion aux risques qui est présentée comme une des causes du maintien de la pauvreté des exploitations (Dercon et Christiaensen, 2011). En effet, les exploitations les plus pauvres n’ayant aucune assurance en cas d’échec, éviteraient pour cette raison tout risque lié à la mise en œuvre de nouvelles technologies, et préfèreraient maintenir des niveaux de productivité limités.