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32-L’accompagnement dans le cadre du dispositif de microcrédit social : Une approche par les compétences (Maryline Meyer)

Encadré 15- Principaux Résultats

33- Banquiers et solidaires : analyse des trajectoires et des rapports au travail (Pascale Moulévrier)

3.3.3. Un quotidien de banquier au service d’un idéal d’accompagnement social

3.3.3.1. Des pratiques bancaires

Comme nous avions pu le constater dans l’enquête précédente sur les institutions de microcrédit professionnel (Glémain (dir.), 2007), le quotidien des « banquiers solidaires » est largement occupé par le montage et le traitement des dossiers de demandes de prêts. En dehors de ces activités techniques bancaires, les responsables des dispositifs peuvent également consacrer une part importante de leur temps à la recherche de partenariats (avec les associations, les institutions

publiques d’action sociale, les collectivités territoriales, voire les autres groupes bancaires) afin de s’assurer de la captation d’emprunteurs potentiels. Ces managers sont ponctuellement occupés, et ce dans la mesure où leurs équipes s’étoffent, à la gestion du personnel, à l’animation et l’organisation du travail.

Pour autant, les situations varient d’une structure à l’autre. Dans certains cas (comme pour le Parcours Confiance Pays de la Loire), les conseillers ne rencontrent jamais le demandeur et assurent principalement la gestion financière du dossier, le montage ayant été opéré par un des partenaires sociaux en amont. Ici, le travail assimile le service à celui qu’on nomme plus classiquement dans les sièges centraux des groupes bancaires le « service des engagements » où les salariés, après analyse du risque, octroient ou non le prêt, en ayant si besoin demandé auparavant aux collègues des agences (ici plus souvent des travailleurs sociaux prescripteurs) quelques précisions sur les ressources, les charges et la genèse du projet de financement.

Lorsqu’en revanche la banque est le prescripteur le plus important de son propre dispositif de microcrédit, les « banquiers solidaires » peuvent être amenés à relayer leurs collègues des agences pour le montage du dossier, sans que pour autant la pratique soit systématisée. Dans ce cas, au traitement financier s’ajoute la rencontre avec le demandeur, le montage supposant des échanges concernant la viabilité du projet et par extension le contexte familial et professionnel dans lequel il s’inscrit.

Un animateur d’un Point Passerelle donne les détails de la procédure privilégiée par le dispositif du Crédit Agricole et sa description reflète le flou récurrent dans le partage des tâches entre les différents acteurs pris dans les dispositifs :

« C'est un processus. L'agence précise au demandeur du prêt de fixer un rendez-vous avec le Point Passerelle et d'apporter les documents nécessaires, et Point Passerelle reçoit le client en priorité dans ses locaux. Point Passerelle lui explique les conditions d'accompagnement. Point Passerelle apprécie la volonté de s'en sortir. Il établit le diagnostic budgétaire approfondi et détermine sa capacité de remboursement. On donne un avis. On a une espèce de fiche de liaison pour donner notre avis sur le dossier au niveau de l'agence, mais c'est l'agence qui va faire la rédaction du dossier. Le pouvoir de décision finale est bien du niveau de la banque. Nous, on donne un avis, mais c'est la banque qui va accepter en dernier ressort ou refuser le crédit. »

Il met en avant le travail d’accompagnement qu’il définit comme social mais au sein duquel il injecte son expérience bancaire :

« Alors l'accompagnement... Nos compétences, au départ, on vient du milieu bancaire. Je n'ai pas de compétences d'assistante sociale. Je n'ai pas de compétences de culture sociale. Je ne me la fais sur le terrain, bien évidemment, mais je n'ai pas ces compétences là ou ces diplômes là. Notre compétence, nous, on est sûr qu'on a amené un plus sur le marché, c'est toute les notions de connaître les circuits bancaires, expliquer aux gens du fait de notre passé bancaire. [...] On connaît tous les rouages bancaires. On négocie, on prend le téléphone, on va appeler tel organisme et, du fait de notre culture, on va

négocier. On sait qu'il y a une marge de négociation. Ca va être aussi par rapport au problème de harcèlement qu'il peut y avoir des services contentieux. On va les harceler. On va appeler chez le voisin, chez l'employeur. Il y a vraiment des gens qui sont, du fait de leur situation de difficulté financière, dans une forme d'incapacité, dans un sentiment de honte et puis, d'incapacité de se battre par rapport à ces difficultés, on n’ouvre plus son courrier, parce que ce n'est que des mauvaises nouvelles. Ce qui fait que quand ils entrent ici, on va faire en sorte de les remettre dans l'action. De dire « vous avez ce problème là, mais vous allez faire ça. On va faire ça avec vous, on va vous aider. »

On comprend que, plus les partenariats avec les institutions à vocation sociale du territoire sont denses et opérationnels, plus le travail des conseillers « microcrédit » des banques se limite à l’exécution comptable de la demande. En effet, ce qui se joue ici c’est la division du travail sur un marché où se côtoient deux types de professionnels : des banquiers et des travailleurs sociaux, chacun cherchant à conforter sur son espace les compétences inhérentes à l’exercice traditionnel de leurs métiers respectifs. Les animateurs des Points Passerelles qui travaillent à 60% environ avec des clients envoyés par le Crédit Agricole et en collaboration avec les commerciaux des banques prennent en charge la facette la plus sociale du microcrédit, dans la mesure où l’activité technique bancaire sur ces prêts est la plupart du temps laissée aux collègues des agences.

Dans le cas des Parcours Confiance, les agences et leurs commerciaux sont peu impliqués dans le dispositif et les prescripteurs sont majoritairement des travailleurs sociaux. Là, la répartition des tâches est différente et l’accompagnement est légitimement laissé aux professionnels de l’action sociale, le dossier financier aux professionnels de la banque.

Un responsable d’un Parcours confiance et une de ses collègues conseillère décrivent leur travail :

Quand vous recevez une demande d’un partenaire concernant un emprunteur potentiel, quel travail faites-vous ?

Le responsable : « Concrètement, ouvrir les comptes, créer les dossiers, envoyer un mail

au partenaire pour dire qu’on fait le dossier ou alors, envoyer un mail au partenaire pour lui dire qu’on a tel et tel problème dans le dossier. C’est toutes ces choses là, que je commence à passer aux deux personnes recrutées. »

Donc, en fait, les deux femmes qui sont là, le gros de leur travail, c’est la gestion des dossiers, la gestion administrative et financière des dossiers ?

Le responsable : « Complètement. C’est plutôt Mme C. qui va, progressivement, passer

sur une approche, aussi, de type expertise et qui a vraiment la relation avec les partenaires au téléphone, parce qu’on a énormément d’échanges téléphoniques et mails. Et Mme D., dans un premier temps, sur les charges administratives un peu de bases et puis, à terme, on verra en fonction de ses compétences si elle peut évoluer, elle aussi, sur une approche de type expertise, mais on est plutôt, pour elle, sur une base de type bac office, c’est-à-dire qu’il y a les photocopies à faire, il y a pleins de choses à organiser. Donc, c’est plutôt elle, qui va faire ça dans un premier temps. »

Question adressée à la conseillère :

Et donc, si on entre un peu dans le détail de ce que vous faites ici, l'intitulé de votre poste, c'est quoi ?

« C'est conseiller Parcours Confiance. Ma partie est plus une partie administrative de gestion de dossiers, moi, ce qui me permet d'être concentrée. Je commence ma journée en sachant ce que j'ai à faire. Je ne pars pas tant que ce n'est pas terminé, donc fonctionner de cette manière là, ça m'intéresse, parce que je peux m'investir. C'est une partie qui est essentiellement administrative, mais qui est essentielle. Elle est incontournable. On n'a pas le contact avec les demandeurs de microcrédit. Enfin si, on va avoir des contacts ponctuellement pour peut-être demander des documents ou avoir des précisions sur les déblocages de fonds, éventuellement s'il y a des difficultés de règlements, contacter les personnes et puis savoir si c'est ponctuel, si on peut trouver une solution avec eux. »

Mais ce n'est pas le gros de votre activité ?

« Non. On n'est pas non plus en contact avec des demandeurs. Moi, je sais que j'aurai du mal à gérer cette partie là. »

Donc, en fait, vous êtes en contact avec qui pour monter ces dossiers là ?

« Avec personne, parce qu'on reçoit une demande. Ce sont les partenaires qui rencontrent les personnes. Voilà, là [elle montre un dossier en cours] c'est l'UDAF, donc on a 33 ou 35 partenaires. [...] J'ai quand même des contacts avec les partenaires, mais s'il n'y a pas lieu de demander des informations... Ils nous adressent les dossiers par courrier ou par fax, s'il y a une urgence. Donc, nous on va connaître la situation de la personne au vu des informations qui nous sont communiquées. »

Et donc, vous qu'est-ce que vous faites ? Vous vérifiez les informations ?

« Non, on ne vérifie pas, par-contre on va avoir une vision du demandeur et de sa situation qui va nous permettre de nous positionner par-rapport à une demande et savoir si on accorde ou pas. »

Vous, finalement, vous montez le dossier financièrement, en fait ? Vous regardez si c'est viable financièrement ?

« Oui. »

Mais quelles que soient les modalités effectives de l’accompagnement du prêt et de son demandeur par les agents bancaires du microcrédit, il convient tout de même de rappeler en quoi consiste le travail d’un conseiller commercial en agence bancaire, et plus précisément de quoi est constituée la relation bancaire dans l’espace traditionnel de la banque. Des enquêtes régulières auprès de ces chargés de clientèles (Moulévrier, 2002, Moulévrier, 2004, Lazuech, Moulévrier, 2004), notamment dans les banques coopératives communément appelées « banques à réseaux », a permis d’effectuer des comparaisons avec ce qui s’observe dans le microcrédit. Dans une banque classique, et même si depuis quelques années il est de plus en plus courant d’obtenir un crédit à la consommation via internet, la plupart des prêts suppose une rencontre avec son « banquier » pendant laquelle seront exposées les finalités de la demande et passés en revue les charges et les ressources du demandeur. En fonction des difficultés inhérentes à l’octroi du prêt (ratio de risque élevé, projet fragile, client dépensier, etc.), le banquier pourra être amené à revoir son client afin de préciser

certains aspects de la demande. En dehors de ce face à face, la décision finale supposera un temps conséquent passé au montage administratif et financier du dossier et aux sollicitations des services centraux. Les observations et les entretiens conduits auprès des banquiers solidaires font état d’activités similaires, le temps de rencontre avec le demandeur étant systématiquement plus court que le temps passé au traitement de sa demande. Ce que l’on nomme dans le jargon et le quotidien bancaire la relation clientèle devient dans la réalité du microcrédit l’argument de la différenciation : l’accompagnement, sans que pour autant le contenu des activités en soit modifié.153