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32-L’accompagnement dans le cadre du dispositif de microcrédit social : Une approche par les compétences (Maryline Meyer)

Encadré 15- Principaux Résultats

33- Banquiers et solidaires : analyse des trajectoires et des rapports au travail (Pascale Moulévrier)

3.3.3. Un quotidien de banquier au service d’un idéal d’accompagnement social

3.3.3.2. L’idéal de l’accompagnement

Les quotidiens d’un chargé de clientèle bancaire et d’un conseiller microcrédit – social ou professionnel – sont donc loin d’être étrangers l’un à l’autre et lorsque l’on s’attache à lister les tâches et les compétences de chacun, on parvient à les classer ensemble dans les « gens de la banque » (Grafmeyer, 1992). Ce qui les distingue relève sans doute moins de la logique de métier, que des publics, des clients différents auxquels ils sont potentiellement confrontés. Mais ce qui nous intéresse ici, ce n’est en aucun cas de prendre ces banquiers solidaires en défaut, mais plutôt de comprendre ce qui, alors même que la majeure partie de leurs activités les maintient du côté de la profession bancaire, les incite à envisager leur métier « autrement ».154

Ainsi, alors que les banquiers du microcrédit professionnel venaient majoritairement du secteur associatif, des métiers de l’éducation et du social, souvent même de la fonction publique, et que la banque, même solidaire devenait pour eux un nouvel espace professionnel économique plus que social ; les banquiers du microcrédit social ont, au sein des groupes bancaires dont ils sont salariés, la « vocation » du social, l’envie d’être du côté de ceux qui accompagnent, plutôt que du côté de ceux qui sanctionnent, même positivement. Les discours sont unanimes quant à la mission de prise en charge des emprunteurs qui dépasse le seul octroi d’un prêt, quant à la nécessité de l’accompagnement qui elle seule fait la différence avec un rapport traditionnel banquier/client. Cet objectif fonctionne comme idéal et permet aux conseillers microcrédit de dessiner les contours de ce qu’ils veulent voir devenir leur nouveau métier.

153 Les salariés d’un Crédit Municipal, en charge du dispositif microcrédit et de son déploiement sur un territoire, relatent

les expérimentations au sein des 14 associations ou institutions publiques partenaires. Ils relèvent que les seules réalisations concrètes en termes d’accompagnement correspondent aux relances téléphoniques pour le montage du dossier et dans un second temps si besoin pour les problèmes d’impayés.

154 Maryline Meyer a montré dans le point précédent de ce rapport la manière dont la Loi Borloo avait impulsé la

définition et la mise en œuvre de pratiques d’accompagnement dans le microcrédit social. Elle repère de façon assez systématique que ce sont surtout les travailleurs sociaux qui, forts de leurs compétences historiquement acquises et assurées par le diplôme et l’expérience, qui décrivent et développent ce qui relève de l’accompagnement. Notre analyse montre que, pour les « banquiers solidaires », accompagner prend des formes plus hésitantes, plus difficiles aussi du fait de la non systématicité de la rencontre avec l’emprunteur.

Le long extrait d’entretien qui suit fonctionne comme un cas exemplaire de ce que les acteurs du microcrédit social expriment quant à leur volonté d’inscrire l’octroi du prêt dans une perspective plus global de prise en charge d’un projet. Les termes « confiance », « besoin », « écoute », « conseil », « croyance », « humain » sont récurrents et s’apparentent à un socle sémantique commun. Même si la « cohésion » de l’espace de la micro-finance ne peut être attribuée à ce que Max Weber appelle notamment « la communauté de compréhension », l’usage d’un langage commun, d’une terminologie de la « finance solidaire » participe à rassembler les individus derrière l’idée du « travailler autrement », du « travailler ensemble », « pour les autres ».

Vous regardez quoi pour l’accord du prêt ?

« Quel est le besoin ? Quel est le problème ? Est-ce que la proposition d’un microcrédit correspond vraiment à ça ? Donc, je suis très attentif à l’histoire de vie. Où en est la personne ? Où est-ce qu’elle va ? Et est-ce qu’on répond vraiment au besoin à travers le microcrédit ? [...] C’est toutes ces questions, qui relèvent plus du social, que du financier, que je me pose et à force de tanner mes partenaires pour qu’ils orientent les dossiers dans ce sens, d’une manière générale, les dossiers sont présentés comme ça. C’est-à-dire qu’on sait qu’à Parcours Confiance, il faut vraiment se situer sur le besoin, sur l’objet social, et que l’analyse budgétaire, elle est importante, mais que ce n’est pas là-dessus, qu’on va les titiller.

Et alors, le fait d’avoir la décision du prêt, même si elle est discutée et de ne pas rencontrer l’emprunteur ?

« C’est frustrant. [...] Et c’est problématique, parce que dans quelques cas, qui sont restés marginaux, je ne comprenais pas les réponses des partenaires ou je pensais qu’ils n’étaient pas allés assez loin et j’aurais bien aimé, moi, entendre les familles. »

Vous sentez que vous n’êtes pas récompensé en quelque sorte ?

« Non, ce n’est pas moi. C’était qu’elles comprennent bien que c’était elles qu’on accompagnait et que ça devait les remobiliser et parfois je le mets dans mes mails « merci de bien expliquer à cette famille, que c’est un vrai pari qu’on fait sur elle, que c’est un accompagnement, que c’est un choix qu’on fait, alors que d’un strict point de vu financier, on ne devrait peut-être ne pas le faire » et je me dis, est-ce que vraiment ça va leur être expliqué comme ça ? Ce n’est pas pour moi, enfin quelque part, un peu si. Voilà. C’est que ces familles, c’est la notion du microcrédit-accompagnement de projets, pour que ces familles puissent rebondir sur cette confiance qu’on leur fait. On a eu à deux reprises des coups de fils de personnes qui pleuraient moitié au téléphone en disant « c’est formidable, grâce à vous je vais pouvoir acheter ma voiture. Alors, c’est gratifiant, OK, mais c’est cette notion de faire confiance pour montrer à ces personnes, qu’elles sont tombées très loin dans leurs difficultés, mais je voudrais qu’elles ressentent notre accord comme « on a confiance en vous, allez-y » et si notre partenaire ne le dit pas, peut-être que ces familles ressentent ça comme un outil un peu automatique, qui n’a pas plus de signification que ça. »

Comme une prestation de plus ?

« Voilà, alors que dans notre esprit, ces dossiers là, ce n’est pas comme ça qu’on les a fait. On les a vraiment faits, comme une forme de croyance dans leur démarche. Et c’est, là, la frustration, c’est que j’aurais voulu être, moi, là, auprès des familles, pour leur dire

« on va vous accompagner, mais voilà pourquoi on va vous accompagner, pour telle et telle raison, parce qu’on croit en votre projet. Aujourd’hui, vous êtes en difficulté, mais que pour telle et telle raison, on a envie que vous arriviez à ». Je ne suis pas certain que ça a été présenté comme ça. »

Vous avez le sentiment d’être quoi en fait ? »

« C’est la question qu’on se pose, c’est : où est-ce qu’on se situe dans tout ça ? C’est une vraie question, un peu existentielle, mais qui est importante. Elle n’est pas qu’existentielle, dans le sens où c’est elle, aussi, qui va conditionner notre développement, c’est : où est-ce qu’on va être demain ? Quand je vous disais, en 2006, on s’est posé ces questions, c’étaient des questions intellectuelles à l’époque, aujourd’hui, elles sont un peu moins intellectuelles, parce qu’aujourd’hui, on est dedans. C’est effectivement, comment on se situe demain ? Est-ce qu’on est des prestataires ? Sûrement pas uniquement, en tout cas, parce qu’on est dans un contexte associatif, donc on n’est pas sur le secteur marchand, mais pour autant, on n’est pas des travailleurs sociaux. On connaît aussi nos limites, parce qu’on aurait pu aussi embaucher des travailleurs sociaux, après tout, il y a une évaluation sociale à faire, on peut la faire. Donc, on est bien, sur un partage d’expertise, je suis très attentif aux partenaires que je rencontre, au CCAS, il n’y a pas de questions à se poser, ils ont beaucoup de travailleurs sociaux, mais, moi, j’ai une expertise financière, mais je pousse mes partenaires dans leurs retranchements, quand j’estime que leur présentation de dossier, n’est pas suffisamment étoffée, sur tout l’aspect accompagnement du besoin et du projet. Alors, je n’apporte pas de réponse à votre question, parce qu’aujourd’hui je n’en n’ai pas. On est sur un entre-deux, mais sans pour autant se tromper. Nous ne sommes pas des travailleurs sociaux. »

Il est important de noter que les représentations de ce qu’est le microcrédit social et, a

fortiori, de ce qu’il doit être se nourrissent, non seulement des trajectoires des individus chargés de le

développer, de l’expérience pratique qu’ils accumulent dans la proximité des publics et des partenaires, mais également du cadre institutionnel et politique qui s’impose à eux. En effet, depuis le lancement des dispositifs, consécutifs au processus d’application de la Loi Borloo, les élus nationaux et territoriaux n’ont eu de cesse de rappeler aux institutions concernées et liées à eux notamment financièrement, la nécessité de l’accompagnement, qui figure qui plus est dans les textes juridiques. Les discours politiques s’apparentent à des formes d’injonction permanente aux « bonnes manières de faire », dont les acteurs sont amenés à s’emparer pour asseoir une définition encore floue de leurs activités professionnelles.

Comme le rappelle ce chargé de mission microcrédit dans un Crédit Municipal, « l'idée sur le microcrédit n'est pas nouvelle. Mais, le maire [de la ville] s'est dit que ce serait bien de faire du microcrédit ici. Donc, c'est son idée de faire du microcrédit. Ensuite, son cabinet m'a demandé ce qu'on pouvait faire par rapport à ça. C'est là où on a conçu le dispositif en dialogue avec, à la fois le cabinet du maire, qui nous a poussés dans cette affaire, et avec, d'une part, les services sociaux et d'autre part, en s'appuyant sur les expériences existantes. Mme J. est arrivée la première, on est arrivé

ensemble. Elle a vu les tous premiers débats du dispositif. On a été ensemble en Poitou-Charentes. On a été à Nantes. On a demandé à Lyon, on a demandé à chacun. On a vu Parcours Confiance, on a vu le Crédit Agricole. On a vu tous les trucs existants. On a touillé ça et puis, on a monté le dispositif. » La décision politique, au-delà de la concrétisation des dispositifs, participe également à accélérer le processus de légitimation des pratiques et à conforter le socle des « croyances solidaires » partagées par des pionniers disposés.

34-Quel ancrage territorial des dispositifs de microcrédit social en région Pays-