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Prévenir les discriminations et promouvoir la diversité : des problématiques disjointes

Chapitre 2. Actualité et raisons d’une popularité

3.2. Les logiques plurielles de la démarche diversité en entreprise

3.2.1. Prévenir les discriminations et promouvoir la diversité : des problématiques disjointes

Nous avons très largement retrouvé dans l’enquête l’idée devenue lieu commun selon laquelle lutter contre les discriminations est une approche « négative » et « contraignante », peu compatible avec la « culture de l’entreprise ». Comme le dit une des personnes rencontrées, « lutter contre les discriminations, ça fait association » : « Lutte contre la discrimination, ça

fait tout de suite association. Il y a une connotation qui n’est pas forcément liée à l’entreprise. On pense plus à une association qui va lutter contre la discrimination qu’à une entreprise. Lutte contre c’est pas positif, alors que manager la diversité, c’est beaucoup plus positif, c’est donc beaucoup plus mobilisateur » (entreprise d’électroménager).

Les entreprises perçoivent la problématique des discriminations comme une « approche culpabilisante », ce qui revient à nier la responsabilité qui leur incombe dans cette perspective. Comme le dit une autre des personnes rencontrées, l’entreprise a (et continue à avoir) du mal à « accepter qu’elle est discriminante ». L’une des particularités de son univers étant de se (re)présenter comme le lieu de la rationalité économique, les discriminations demeurent donc considérées irrationnelles et contre-productives (Bataille, 1997 ; De Rudder, Vourc’h, 2006).

« J’ai fait introduire dans les volontés de mon entreprise, la diversité individuelle qui est notre richesse collective. Mais au début, j’ai essayé de parler de discrimination. Et j’ai bien vu que ça n’allait pas fonctionner…

La discrimination, ça n’est pas encore accepté dans les entreprises. L’entreprise n’accepte pas qu’on croit qu’elle est discriminante. Elle ne l’accepte pas. » (DRH,

président FACE Lille Métropole)

Là où l’objectif de lutter contre les discriminations suscite des résistances, la diversité, à laquelle d’ailleurs on va souvent adjoindre la notion de « compétences »25, apparaît comme fonctionnelle à la « culture d’entreprise » :

« La « diversité » pourquoi? Parce qu’en entreprise, la diversité est un terme positif qui est accepté aujourd’hui par les actionnaires des entreprises, qui est accepté aujourd’hui par les dirigeants d’entreprise.

On pense que c’est positif pour l’entreprise. « Manager la diversité » c’est tout à fait marketing » (ibid.)

Un certain nombre de nos interlocuteurs ont aussi insisté sur le fait que la mobilisation du thème de la diversité est une démarche tactique, en ce qu’elle permet de séduire des acteurs réticents à la prise en compte des discriminations :

25 « Nos compétences font la différence » telle est par exemple l’accroche de l’association roubaisienne CLE, créée sous

« Quand je discutais avec X. (directeur FACE Lille Métropole), il me disait: « Il faut que tu parles des discriminations! ». Et j’ai répondu qu’il fallait que je parle aussi de diversité parce que mon objectif, c’est que ce soit accepté par l’entreprise et surtout que ça change. Ce qui est important pour nous, c’est que quel que soit le mot utilisé ça conduise à l’action. Nous, il n’y a qu’un terme qui nous caractérise, c’est agir. Donc moi, si ça concourt à l’action, c’est parfait. Indépendamment du terme utilisé. » (ibid.)

Au regard de ces extraits d’entretien sélectionnés parmi de nombreux témoignages, il apparaît que la diversité est aujourd’hui vue par l’entreprise comme une approche « en positif » de la

non-discrimination. C’est la croyance assez largement partagée, que nous avons recueillie

dans les entretiens, que « diversité » et « non-discrimination » sont synonymes. Qu’ils constituent les deux versants d’une même problématique, et qu’il suffit donc de « promouvoir la diversité » pour mettre fin aux processus discriminatoires. L’enquête nous invite toutefois, dans ce constat général, à introduire des nuances, quant à la manière notamment dont les entreprises envisageaient l’articulation et les liens à l’œuvre entre non-discrimination et diversité.

Pour certains de nos interlocuteurs, d’abord, il existait une difficulté plus ou moins nette d’admettre l’existence de discriminations en entreprise (rappelons ici au passage la composition de l’échantillon enquêté), étant donné notamment qu’ils adhéraient à la croyance déjà soulignée en la rationalité économique de son projet, croyance en vertu de laquelle les compétences seules seraient ici sanctionnées. Dans cette perspective, l’engagement pour la diversité était tendance à être perçu comme « une bonne cause », épousée au nom de la « responsabilité sociale de l’entreprise », et non pas comme un instrument visant à remédier à des carences propres aux entreprises :

« Vous savez, nous on est une entité régionale, on est quand même beaucoup gérés par

le siège. Moi à mon niveau, je n’ai pas fait de rapport. Mais, par contre moi, personnellement, je vous l’avouerais, je n’ai jamais vu une discrimination, du tout. A l’embauche, que ce soit un homme ou une femme, c’est exactement la même chose, au niveau du salaire, c’est exactement la même chose également. Il n’y a pas du tout de discrimination. » (gestionnaire RH, grande entreprise industrielle)

Pour d’autres entreprises, « diversité » et « non-discrimination » étaient vus comme les revers d’une seule et même problématique : la promotion de la diversité était synonyme de lutte contre les discriminations ; la diversité était en quelque sorte la garantie de la non- discrimination. C’est là la façon d’envisager les choses qui, au regard de l’enquête, est apparue comme l’attitude majoritaire et dominante26.

« Q : Avez-vous été saisis par la Halde ?

Jamais. Alors, j’ose espérer que c’est parce qu’on a une politique qui est- comment je peux dire -satisfaisante en la matière. On parlait par exemple tout à l’heure de la photo de Villiers (photo collective de l’ouverture du magasin) où c’est effectivement très coloré. J’ai remarqué aussi, et je trouve ça génial, donc j’ose espérer qu’on n’a pas de difficultés en la matière. Maintenant, on n’en sait pas plus. On n’a pas de diagnostic national. » (enseigne d’électroménager)

26 C’est une lecture que l’on retrouve aussi du côté des pouvoirs publics, exprimée par exemple dans le rapport Versini sur « la diversité dans la fonction publique » (Versini 2004 ; Tandé, 2008)

Chez nos interlocuteurs les plus acculturés à ces nouvelles problématiques en entreprise, la pertinence et la légitimité, voire une certaine complémentarité des deux questions, pouvait être reconnue. Dans les pratiques cependant, c’est une approche disjointe qui était à nouveau favorisée : lutter contre les discriminations était nécessaire pour l’entreprise, mais ne suffisait pas pour son développement, compte tenu de son « business case ». Lutter contre les discriminations et promouvoir la diversité pouvaient aussi être vus aussi comme les étapes d’un processus évolutif, où « après avoir résolu la question des discriminations », l’entreprise s’engageait dans une politique pro-diversité. C’est par exemple l’une des conclusions de l’audit conduit par l’IMS à La Redoute : « La Redoute, une entreprise qui n'en est pas au

stade de limiter les discriminations dans l'entreprise. »

« Vous savez qu'il y a plusieurs stades sur l'approche de la diversité, vous avez la discrimination, vous avez les entreprises qui travaillent à corriger ce qui pourrait être source de discrimination dans l'entreprise, et vous avez un dernier stade qui est la gestion de la diversité de l'entreprise. Donc la conclusion de l'IMS, c'était que l'entreprise La Redoute en était aujourd’hui au stade de comment gérer, comment faire évoluer la diversité dans l'entreprise. » (DRH adjointe, directrice du développement

social et « correspondante diversité » groupe)

Plus généralement, les actions entreprises pour prévenir les discriminations – la formation des managers et des recruteurs, la révision des procédures de recrutement et de gestion des carrières – apparaissent de manière assez significative comme déconnectées de la vision et des programmes que les entreprises souhaitaient développer en matière de « diversité ». Toutes ces actions nous sont parus fort circonscrites dans leur contenu et dans le temps – les formations des recruteurs et des managers peuvent durer une demi-journée (« on n’y passe

pas cinq heures !»)27, alors que la révision des procédures RH est souvent réduite à une mise

en conformité des offres d’emploi. Elle était aussi souvent « déjà faite » au moment de l’enquête. Ces actions sont la plupart du temps intégralement pilotées par la direction des ressources humaines qui en toute autonomie, et indépendamment du responsable diversité, les traite « en interne », conservant une forte « préséance » dans la prise de décision. Comme le dit une des personnes rencontrées, « coordinatrice diversité », « tout ça c’est la file

recrutement »:

« Oui, il y a des choses qui ont été revues (dans les procédures RH), déjà notre site internet de recrutement a été revu, on y affiche clairement notre politique de diversité. On a changé les photos, on a mis de la diversité dans les photos, pas que des hommes blancs de trente ans: on a mis un peu plus de femmes, on a mis des Noirs, des personnes d'origine maghrébine, hommes et femmes, et puis on affiche clairement notre politique de diversité. Vous pourrez aller voir sur le site, on parle de notre politique par rapport à l'apprentissage, par rapport aux personnes handicapées, on parle de la signature de la charte de la diversité. Ça, c'est quelque chose qui a été fait l'été dernier, mais c'est affilié au recrutement, pareil, ce n'est pas moi qui l'ai fait, j'ai relu le contenu sur la page diversité, je l'ai retravaillé, mais ceci dit, c'est la file recrutement et donc la responsable recrutement groupe qui décidé de le faire » (entreprise de grande distribution)

27 La « formation » - il vaut mieux en ce sens parler plutôt de « sensibilisation »- la plus longue que nous avons identifiée

dans l’enquête durait une journée et demi. Chez Auchan qui a formé 5500 cadres « one shot » en 2006-2007 à « manager la diversité », cette « formation » dure quatre heures avec une pièce de théâtre de 25 minutes. La coordinatrice diversité souhaite qu’elle soit intégrée dans le cursus « prise de fonction » des nouveaux cadres, ce qui est en discussion avec la direction du personnel.

« Le recrutement, ça ne se gère vraiment que dans quelques sphères nationales, ça ne se gère jamais en local. Toutes les notions de la HALDE, oui tout ça est intégré, bien sûr. Les gens ont été sensibilisés sur ces questions, mais vraiment en interne RH, je ne peux pas vous en parler, il faut aller voir les RH. Globalement, ils savent ce qu'ils doivent faire, mais ils ne savent pas forcément ce que c'est qu'une Mission locale. Q: C'est vous qui avez cette « compétence sociale »…

Oui mais on ne m'appelle pas, alors bon. » (Animateur territorial « Ville, solidarité,

handicap et diversité », GDF)

Dans beaucoup des entreprises rencontrées, la question des discriminations et plus particulièrement le suivi des saisies éventuelles de la Halde, et la promotion de la diversité étaient prises en charge par des personnes différentes. Au moment de l’enquête, une seule des entreprises rencontrées était saisie par la Halde pour discrimination (Auchan). Auchan avait fait l’objet de quatre plaintes pour discrimination « liée à l’origine » : dans trois d’entre elles la Halde n’avait pas donné suite, la dernière était en cours d’instruction. Certains de nos interlocuteurs cependant, notamment en région, ne savaient pas si leur entreprise avait fait l’objet d’une telle procédure. D’autres, notamment des gestionnaires de ressources humaines, connaissaient peu la Haute autorité, voire pouvaient ignorer l’existence de la Halde