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C HAPITRE 4 I MPACT SUR LES REVENUS ET SUR LA PAUVRETE D ’ UN PROGRAMME D E TRAVAUX PUBLICS AU L IBERIA

4.3. Présentation du programme

Le Libéria évoque pour beaucoup les deux guerres civiles atroces qui ont fait des dizaines de milliers de morts de 1989 à 1996 et de 2001 à 2003. Et pourtant le Libéria a vécu des périodes de prospérité. Le pays connaît une forte croissance économique au cours de la décennie 1960, croissance tirée par la production et l’exportation du fer et du caoutchouc. Avec un PIB par tête de $890 en 1980 aux prix de 1992, le pays est classé à cette période parmi les pays à revenus intermédiaires (FMI, 2006). La conséquence des deux guerres civiles mais aussi de choix de

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politiques économiques inadaptées entrainent le Libéria dans un déclin considérable (World Bank, 2007). Sur une période de 30 ans entre 1966 et 1996, le PIB par tête en valeur réelle est réduit de 90%. Malgré une reprise économique au cours des dernières années de la décennie 1990, cet agrégat représente en 2000 moins de la moitié de sa valeur de 1966 et moins du tiers de celle de 1979.

Parallèlement, les conditions de vie des ménages se détériorent puisque les populations ne peuvent pas exercer pleinement leurs activités du fait de la guerre et que les infrastructures sont détruites. Dans la période 1998-2001, plus de trois quart de la population vit en dessous du seuil national de pauvreté. Près de 15% des enfants de moins de 5 ans sont en situation de malnutrition (mesurée par un déficit de poids par rapport à leur âge). Le taux de mortalité infantile est de 149 pour mille pour une moyenne de 104 pour mille en Afrique subsaharienne et l’espérance de vie à la naissance est inférieure à 48 ans (World Bank, 2007a).

A la fin de la deuxième guerre civile, un gouvernement de transition est installé et des élections organisées en 2006 conduisent à la mise en place d’un gouvernement démocratique. Ces deux gouvernements entreprennent des réformes économiques afin d’améliorer la situation des populations. Sur la période 2003-2007, le pays enregistre un taux de croissance du PIB par tête de plus de 2% en moyenne annuelle, qui a pour conséquence probable une baisse de la pauvreté qui reste néanmoins massive. En 2007, avec un seuil de pauvreté national de 30223.74 LRD18, le taux de pauvreté est estimé à 63.8%. La malnutrition (mesurée par un déficit de poids par rapport à leur âge) restait élevée à près de 19%. Même si le taux de mortalité infantile est ramené à 72 pour mille et que l’espérance de vie à la naissance progresse, la situation reste fragile. Et c’est dans ce contexte qu’intervient la crise économique mondiale de 2008.

Cette crise se manifeste au Libéria par une augmentation de 48% des prix des produits alimentaires entre mars 2007 et mars 2008. Ce pays ne pouvait qu’être particulièrement exposé aux effets négatifs de la crise car il dépend sur une large mesure de produits alimentaires importés alors même que les dépenses alimentaires représentent à elles seules plus de la moitié

18 Un dollar US correspondait à cette époque à 72 LRD (dollar libérien). Le seuil de 30223 LRD correspondait donc

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des dépenses des ménages. Les populations sont donc vulnérables à une augmentation des prix des produits alimentaires au niveau mondial (Backiny-Yetna, Wodon et Zampaglione, 2011). A titre d’exemple, plus de 60% du riz consommé dans le pays est importé, le riz représentant 20% de la consommation totale des ménages et près d’un tiers de la consommation alimentaire. Selon Tsimpo et Wodon (2008) et Wodon et al. (2008), une augmentation de 25% des prix du riz pourrait entraîner un accroissement de la pauvreté de 3.2 points de pourcentage et une augmentation de 50% des prix de cette denrée conduirait à une hausse de 6 points de pourcentage. Cet impact est le plus élevé enregistré dans 12 pays d’Afrique de l’ouest et du centre. Or dans un pays post-conflit, la paix sociale pourrait encore être menacée par une grave crise économique. Dans l’objectif de limiter l’impact négatif de la forte augmentation des prix des produits alimentaires sur les populations, la réponse des autorités est de mettre en place ce programme de travaux publics intitulé « Cash for Work Temporary Employment Program » (CfWTEP) dont les bénéficiaires seraient les individus les plus pauvres.

Le projet, financé conjointement par le gouvernement et la Banque mondiale consiste à fournir 17 000 emplois temporaires correspondants à 680 000 jours de travail à des individus issus de ménages vulnérables, soit 8 semaines de travail par individu, l’emploi étant attribué au premier venu. La mise en œuvre du programme est confiée à un organisme expérimenté dénommé LACE (Liberia Agency for Community Empowerment). Le projet est conçu pour être exécuté sur deux ans, d’octobre 2008 à octobre 201019

. Le budget initial est de 3 millions de dollars dont 25% alloué à la gestion administrative, 65% aux bénéficiaires sous forme de salaires et 10% pour l’achat des équipements. Le projet est ainsi conçu pour que les bénéfices aillent en grande partie aux bénéficiaires. Les travaux retenus pour être réalisés dans le cadre du projet permettent de rendre des services aux communautés urbaines et rurales, par la réhabilitation des terrains ruraux, le nettoyage des routes, des caniveaux et des espaces publics.

Le pays est divisé en six régions20 et chaque région, à l’exception de la capitale (Greater Monrovia) qui est en un seul bloc, comprend trois comtés. Le projet couvre les neuf comtés de

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Il faut souligner que l’objectif du projet de fournir 17 000 emplois a été atteint dès juin 2010. Compte tenu de ces résultats positifs, une deuxième phase a été instaurée pour la période 2010-2013.

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Les six régions du Libéria au moment du projet sont : Greater Monrovia, North Central, North Western, South Central, South Eastern A, South Eastern B.

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trois des six régions (North Central, North Western, South Central) qui concentrent plus de 53% de la population. Un premier ciblage du projet, outre l’auto-ciblage fixé par le niveau de revenu, a donc été géographique. Selon Andrews et al. (2011), eu égard aux objectifs du projet de procurer des revenus d’appoint aux populations les plus démunies pour faire face à la crise alimentaire, les critères de vulnérabilité ont été déterminants pour le ciblage. Ont été retenues les régions ayant le niveau de vulnérabilité alimentaire le plus élevé sur la base des résultats d’une enquête nationale sur la nutrition et la sécurité alimentaire menée en 2006. Les concepteurs du projet pensent que cette approche devrait réduire les erreurs d’inclusion, c’est-à-dire la participation des non pauvres au programme qui bénéficierait alors en priorité aux populations les plus démunies. Dans la mesure où l’insécurité alimentaire est corrélée à la pauvreté, ce choix peut effectivement contribuer à améliorer les performances du ciblage.

Un autre moyen de viser le même objectif aurait été de retenir directement les régions les plus pauvres. Seulement l’exercice est moins aisé qu’il le paraît car plusieurs indicateurs de pauvreté peuvent être retenus selon l’objectif que l’on vise ou selon la fonction de bien-être social que l’on envisage de maximiser. Une première possibilité est de chercher à diminuer le pourcentage d’individus pauvres, le P0 des indicateurs FGT, (Foster et al., 1984). On peut aussi chercher à ramener un grand nombre de personnes le plus proche possible du seuil de pauvreté, ce qui revient à minimiser le P1 des indicateurs FGT. Une troisième alternative est de minimiser plutôt la contribution de chacune des régions à la pauvreté.

Dans le cas du Libéria où la pauvreté est massive, le problème du ciblage est moins difficile au niveau des régions. Il y a clairement une région, la capitale qui avec un taux de pauvreté de 48.5% est moins pauvre que les autres (au sens du taux de pauvreté), et cette région est exclue du programme. Il convient de relever que parmi les cinq autres régions, si le critère qui a conduit au choix des régions bénéficiaires est de retenir celles ayant la plus forte prévalence de la pauvreté, alors le choix de la région South Central pose problème, car cette région avec une incidence de la pauvreté de 59%, enregistre respectivement 8 et 17 points de pourcentage de pauvreté de moins que les régions South Eastern B et South Eastern A. En revanche, du fait que la South Central est une des régions les plus peuplées (la troisième la plus peuplée du pays), sa contribution à la

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pauvreté est plus importante que celles des deux régions non choisies (à l’exception de Greater Monrovia). Il semble donc que le critère de la contribution à la pauvreté soit celui qui justifie de retenir ces trois régions. Le ciblage est bon dans ce sens puisque ces trois régions contribuaient en 2007 à près de deux tiers de la pauvreté nationale alors qu’elles concentrent 53% de la population.

Le taux de salaire retenu par le projet est de 3 dollars par jour et c’est plus de 2 millions de dollars qui ont été versés aux bénéficiaires sous forme de salaires. Comme on l’a vu dans la section précédente, si ce salaire est élevé, un grand nombre de non pauvres seraient attirés, le ciblage serait de qualité médiocre, l’erreur d’inclusion du projet (proportion de non pauvres qui bénéficient du projet) serait élevée, et l’impact sur la pauvreté serait moins important. Mais trois arguments ont été avancés pour retenir ce taux. D’abord c’est le niveau de salaire pratiqué par d’autres projets de même nature dans le pays. Ensuite si le projet fixe un taux de salaire bas, ne seraient attirés que les travailleurs les moins productifs et les travaux envisagés seraient mal faits, ce qui nuirait à l’objectif de dégager des bénéfices pour la communauté. Enfin le projet n’emploie des gens que pour 40 jours, il s’agit donc d’emplois temporaires et il est bon de fixer un niveau de salaire qui permet aux bénéficiaires d’investir dans d’autres activités génératrices de revenus. Quoi qu’il en soit les performances de ciblage du projet sont examinées à la section 6.