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C HAPITRE 4 I MPACT SUR LES REVENUS ET SUR LA PAUVRETE D ’ UN PROGRAMME D E TRAVAUX PUBLICS AU L IBERIA

4.6. Impact du programme

4.6.1. Performances du ciblage du projet

Quand on dispose d’un budget fixe et exogène pour un programme, les performances sont meilleures si le programme est ciblé (Gelbach et Pritchett 1997). Une procédure du type proxy- means testing (PMT) qui consiste à identifier les bénéficiaires à partir de caractéristiques facilement observables (niveau d’éducation, emploi, caractéristiques du logement, etc.) est une des voies souvent utilisées. Dans le cas présent, même si on dispose d’un programme dont les ressources sont exogènes par rapport aux recettes publiques, un PMT a peu de sens dans un pays comme le Libéria du fait de la trop forte prévalence de la pauvreté. Du reste pour un programme ponctuel avec des ressources limitées, les coûts administratifs de mise en œuvre du PMT seraient élevés et ce serait autant de ressources en moins pour le programme. Swamy (2003) et plusieurs autres considèrent que l’auto-ciblage est un des facteurs déterminants du succès des programmes de travaux publics dans les pays en développement, à condition de se restreindre aux régions les plus pauvres. Le modèle théorique proposé pour évaluer ce programme est basé sur cette hypothèse d’auto-ciblage. Qu’en est-il des résultats ?

Tableau 4.7. Participants et de la population de leurs ménages par quintiles de niveau vie

Quintiles des trois régions Quintiles nationaux

Déciles Participants

Population dans les ménages des

participants

Participants

Population dans les ménages des

participants 1 13.7 13.7 13.7 13.7 2 32.6 33.5 36.8 37.4 3 29.1 29.5 28.2 28.0 4 16.8 15.0 16.6 15.4 5 7.8 8.2 4.6 5.3 Ensemble 100.0 100.0 100.0 100.0

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On examine les performances du ciblage en deux temps : d’abord au niveau des trois régions et ensuite au niveau national ; la question en filigrane dans chacune des situations étant bien sûr de savoir si le programme a bénéficié aux plus pauvres dans l’espace concerné.

Le tableau 4.7 (partie de gauche) donne la distribution des participants par quintile de consommation annuelle par tête, les quintile s étant ceux des trois régions bénéficiaires du programme, ainsi que la distribution de la population des ménages dont ils sont issus. Les estimations sont faites en utilisant les trois algorithmes mentionnés à la section 4.5.1, mais seuls sont présentés ici ceux portant sur le five « nearest neighbors », les autres sont consignés en annexe. Pour un ciblage parfait on s’attend à ce que le pourcentage des participants soit décroissant en fonction des quintiles, mais ce n’est pas le cas. Il y a relativement peu de participants du premier quintile, mais un nombre important pour les deux quintiles suivants (2 et 3), et encore peu de participants pour le quintile le plus riche. La distribution de la population des ménages des bénéficiaires par quintile suit globalement celle des participants. De manière synthétique, on rappelle qu’au Libéria les trois premiers quintiles sont considérés comme pauvres, le pourcentage de participants pauvres est autour de 70% ; et la part de la population vivant dans les ménages des participants pauvres est proche de ce même chiffre. Par conséquent le ciblage n’est pas excellent, plutôt moyen, puisque relativement plus de pauvres des trois régions concernés sont bénéficiaires du programme.

La question suivante est de savoir si les participants sont plus pauvres quand on considère le niveau national. La distribution de ces individus selon les quintiles nationaux est consignée dans le tableau 4.7 (partie droite). On note des améliorations intéressantes en termes de ciblage. Si on reprend les statistiques ci-dessus, le pourcentage de participants pauvres approche les trois quart, tout comme la part de la population des ménages des bénéficiaires qui sont pauvres. La stratégie d’avoir au préalable restreint le programme aux régions les plus pauvres (au sens de la contribution à la pauvreté) est donc efficace, puisqu’au niveau national les bénéficiaires du programme s’avèrent être relativement plus pauvres. Il faut d’ailleurs relever que la distribution des bénéficiaires selon les quintiles nationaux est plus logique en termes de résultats, dans la mesure où rien n’interdit une personne résidant dans une région voisine d’une des trois régions concernées de se présenter et de bénéficier lui aussi du programme, (il suffit de trouver un abri auprès d’un parent même éloigné ou même de louer une chambre pour les deux mois), c’est-à-

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dire que le programme « fuirait » vers les régions voisines. Si cela a été le cas, il est plus exact d’utiliser les quintiles nationaux pour analyser les performances.

A ce stade il se pose évidemment la question de l’amélioration des résultats du programme ; et notamment de savoir si un niveau de rémunération plus faible ne donnerait pas de meilleurs résultats, surtout quand on se rappelle que le taux de salaire proposé par le projet était élevé au vu de la pratique du marché du travail. En effet le CfWTEP étant à sa première phase, il se pose clairement la question de savoir si une diminution du taux de salaire journalier de 3 dollars US à 2.5 dollars US par exemple n’aurait pas la conséquence positive de drainer plus de pauvres pour les phases ultérieures du projet. Malheureusement ne disposant pas de données adéquates, nous ne pouvons pas faire des simulations sur cette question22. Néanmoins, il y a des arguments pour laisser ce taux en l’état et aussi des arguments contraires pour le diminuer (Backiny-Yetna, Zampaglione et Wodon, 2011).

Parmi les arguments qui justifieraient une baisse du taux de salaire, il y a la création d’un plus grand nombre d’emplois. De fait l’on a estimé que si le taux de salaire passait de 3 à 2.5 dollars par jour, le projet créerait 17% d’emplois en plus et le volume des travaux réalisés seraient d’autant plus important. Par ailleurs, le programme attirerait relativement moins les non pauvres et donc plus les pauvres ; et les performances du ciblage s’en trouveraient améliorées, avec un plus grand impact en termes de réduction de la pauvreté (en utilisant un indicateur adéquat comme l’intensité de la pauvreté).

Certains arguments pour laisser le taux de salaire à son niveau de 3 dollars par jour ont été mentionnés à la section 4. Il s’agit notamment du fait que le même taux est pratiqué par d’autres projets, notamment ceux du Programme des nations Unies pour le Développement (PNUD) et aussi par l’administration dans le cadre d’un projet de création des emplois temporaires pour les jeunes. Le CfWTEP étant lui aussi un projet du gouvernement, il est logique qu’il s’aligne sur les mêmes niveaux de rémunération. De plus, on a relevé que le salaire minimum de 80 dollars US par mois pratiqué dans le pays depuis 2009 est supérieur au salaire proposé par le CfWTEP.

22 Les données disponibles de l’enquête nationale de 2007 n’ont pas de renseignements sur les revenus individuels.

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Outre cette possibilité pour le projet d’attirer plus souvent les individus les plus pauvres, l’autre argument utilisé dans les programmes de travaux publics pour maintenir des taux de salaires bas est relatif aux effets de substitution et à l’impact sur les taux de salaires des autres activités. En effet un projet des travaux publics offre des taux de salaires attractifs, les individus ont tendance à abandonner leurs emplois pour ce projet. De plus, il y a une pression à une augmentation des salaires dans les autres secteurs d’activité, et notamment dans l’agriculture, avec un risque d’augmentation des coûts de production dans ce secteur. Dans le cas du CfWTEP, il y a une importante offre de travail non utilisée, un grand nombre de personnes étant soit en situation de chômage, soit en situation de sous-emploi (plus du tiers des participants). Le niveau de salaire de 3 dollars US ne paraît pas poser un problème de ce genre.