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Section 3 Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

1. Positionnement épistémologique

1.1. Présentation du paradigme interprétativiste

Le développement des sciences de la nature au cours des trois derniers siècles s‘est largement appuyé sur une conception positiviste de la réalité (Allard-Poesi & Perret, 2014; Avenier & Gavard-Perret, 2012). Cette conception positiviste, en l‘occurrence, vise à établir des « lois

invariables décrivant des relations immuables entre des faits observables et mesurables scientifiquement » (Avenier & Gavard-Perret, 2012, p. 26). Ainsi, les chercheurs s‘inscrivant

dans cette conception cherchent à identifier les liens de causalité entre les variables qu‘ils étudient (Hudson & Ozanne, 1988). Selon cette conception, la réalité dispose d‘une essence

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Comme le mettent en évidence Allard-Poesi et Perret (2014), une démarcation sépare deux grandes orientations épistémologiques : l'orientation réaliste, qui envisage la réalité comme étant indépendante et extérieure au chercheur, et l'orientation constructiviste, laquelle postule que la réalité est construite. Ces deux orientations englobent de multiples positionnements tels que l'empirisme logique, le post-positivisme, le néo- positivisme, le réalisme critique, le postmodernisme, le constructivisme ingénierique, ou encore l'interprétativisme (auquel nous avons recours dans cette recherche doctorale).

Dans un souci de clarté, nous ne présentons ci-après que le paradigme interprétativiste, dont nous comparons les principales caractéristiques à la conception positiviste de la réalité.

propre et est indépendante de son observation ainsi que des descriptions qui en sont faites (Allard-Poesi & Perret, 2014).

Cependant, à travers cette recherche, nous adhérons à une autre posture épistémologique, à savoir l‘interprétativisme. Le paradigme interprétativiste, contrairement à la conception positiviste, formule une réponse non essentialiste à la question ontologique (Allard-Poesi & Perret, 2014; Avenier & Gavard-Perret, 2012). Cela signifie que la réalité n‘est pas une entité indépendante, et qu‘elle est construite plutôt que donnée. Comme Allard-Poesi et Maréchal (2014, p. 57) l‘indiquent, pour le chercheur interprétatif, « l‘activité scientifique n‘est pas

portée par un objet à connaître extérieur à elle-même (comme dans la perspective positiviste), mais consiste à développer une compréhension de la réalité sociale qu‘expérimentent les sujets étudiés ».

Il convient de noter que le paradigme interprétativiste repose en fait sur une hypothèse

phénoménologique (Allard-Poesi & Maréchal, 2014; Avenier & Gavard-Perret, 2012). La

perspective phénoménologique, dont la paternité est généralement attribuée au philosophe allemand Edmund Husserl, postule que seule l‘expérience vécue par les individus est connaissable (Avenier & Gavard-Perret, 2012). Le chercheur prête notamment attention aux représentations, aux motivations, mais aussi aux croyances des individus (Thompson et al., 1989). Le caractère subjectif de l‘expérience vécue s‘avère être une composante fondamentale de la perspective phénoménologique. À ce propos, Berger et Luckmann (2012 [1966], p. 66), par exemple, ont décrit la vie quotidienne comme « une réalité interprétée par les hommes et

possédant pour ces derniers un sens de manière subjective, en tant que monde cohérent ».

Cette approche compréhensive, centrée sur l‘expérience subjective des individus, ne vise en aucun cas à établir des lois universelles (Allard-Poesi & Perret, 2014). Une telle approche donne plutôt lieu à une connaissance idiographique et relative ; l‘expérience vécue par chaque individu s‘avérant être tout à fait singulière.

Par ailleurs, le paradigme interprétativiste repose également sur une hypothèse d‘interactivité (Schwandt, 1994). La construction de la connaissance est ainsi permise par l‘interaction entre le chercheur et l‘individu étudié (Evrard, Pras, & Roux, 2009; Thompson, Pollio, & Locander, 1994). Dans une conception interprétativiste, le chercheur ne peut se départir de sa propre expérience, laquelle exerce une influence non négligeable sur la construction de la connaissance (Thompson et al., 1989). Cette spécificité de l‘interprétativisme vient ainsi rompre avec la neutralité, l‘objectivité et l‘extériorité du chercheur à l‘égard du phénomène

L‘observateur est un sujet actif interprétant L‘acteur de terrain est aussi sujet actif interprétant Ontologie = relativiste : réalité(s) construite(s) (multiples)

Epistémologie = interprétative

étudié ; ces caractéristiques étant inhérentes à la conception positiviste de la réalité (Allard- Poesi & Perret, 2014; Avenier & Gavard-Perret, 2012). Le chercheur interprétatif se situe dans une posture d‘empathie (Giordano & Jolibert, 2012), comme en témoigne la figure 2 :

Figure 2 : Le chercheur interprétatif : une posture d'empathie (Giordano & Jolibert, 2012, p. 92)

Le paradigme interprétativiste accorde une place primordiale au contexte dans lequel l‘expérience est vécue (Askegaard & Linnet, 2011; Evrard et al., 2009; Hirschman, 1986; Thompson et al., 1989). En d‘autres termes, le contexte physique, géographique, temporel, culturel, ou encore esthétique dans lequel s‘inscrit le phénomène abordé constitue un cadre d‘interprétation indispensable qu‘utilise le chercheur pour comprendre l‘expérience des individus (Patton, 2002). En nous appuyant sur le contexte de la déficience sensorielle, nous cherchons à comprendre plusieurs phénomènes tels que la transformation identitaire d‘individus chez lesquels survient une déficience sensorielle, ainsi que l‘exclusion des environnements commerciaux associée à la présence d‘un trouble auditif invisible.

Pour Hirschman (1986), le contexte de l‘étude fait partie intégrante du phénomène et son analyse requiert une approche holistique. Selon elle, le phénomène n‘est aucunement statique mais s‘inscrit, au contraire, dans un contexte spatio-temporel précis, rendant presque non reproductible ledit phénomène. Cette prépondérance du contexte contraste par exemple avec la recherche expérimentale telle qu‘elle est envisagée dans une conception positiviste. Dans le cadre d‘une expérimentation, en effet, le chercheur s‘efforce de minimiser l‘influence des variables qu‘il ne manipule pas (certaines caractéristiques de l‘environnement où a lieu l‘expérimentation, par exemple) afin d‘espérer mesurer uniquement l‘effet des variables délibérément contrôlées (Mbengue, Vandangeon-Derumez, & Garreau, 2014; Trendel & Werle, 2012). Ainsi, plutôt que d‘isoler certaines variables de leur contexte et de les mesurer toutes choses égales par ailleurs, le chercheur interprétatif estime que les individus sont inséparables de l‘environnement dans lequel ils vivent (Thompson et al., 1989). Loin de

constituer un biais, ce contexte est crucial pour appréhender au mieux la manière d‘« être au monde » (being-in-the world) des individus (ibid.).

Enfin, il est important de savoir que la validité d‘une recherche interprétativiste repose sur sa capacité à « garantir la crédibilité de l‘interprétation proposée » (Allard-Poesi & Perret, 2014, p. 39). Dans cette optique, les cas étudiés sont densément renseignés (Geertz, 1973), ce qui permet au lecteur de suivre aisément la façon dont le chercheur a construit son interprétation à partir du matériau empirique (Avenier & Gavard-Perret, 2012). En outre, bien que la généralisation des résultats ne soit pas un objectif des recherches interprétativistes, la transposition des résultats à d‘autres contextes de recherche peut néanmoins être envisagée (Allard-Poesi & Perret, 2014; Demers, 2003). Nous présentons désormais l‘émergence du paradigme interprétativiste à travers la recherche en marketing.