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4. Analyse des résultats

4.1 Présentation des participantes

D’abord, rappelons que la méthode de recrutement utilisée a permis de rencontrer treize participantes aux profils assez variés. De ces dernières, issues de neuf pays différents (du Maghreb, d’Afrique subsaharienne, d’Europe et du Moyen-Orient), seules trois portent le hijab (Salema19, Sophia et Odette). Il importe de rappeler le fait que deux d’entre elles s’écartent quelque peu des critères initialement spécifiés20. D’abord, le temps d’établissement minimal dans la province, fixé à un an afin que les personnes rencontrées aient pu amorcer une certaine intégration, n’a pas été atteint par Odette qui n’était établie, au Québec, que depuis six mois au moment de l’entrevue. Les résultats tirés de cette entrevue seront donc particulièrement contextualisés, lorsqu’ils seront utilisés dans la section sur l’intégration. Ensuite, bien que le premier critère de recherche exigeât de se reconnaître de confession musulmane, il a été décidé d’inclure Safia qui a grandi dans une famille et un pays musulmans, mais qui se considère plutôt athée, et ce, dans le but d’inclure une diversité dans les profils des participantes.

Présentation sommaire du parcours migratoire des participantes Participantes Parcours migratoire

Amina Âgée dans la fin vingtaine, Amina a quitté le Maghreb, accompagnée de sa sœur, il y a maintenant sept ans pour venir étudier au Québec. Maintenant résidente permanente, elle poursuit des études de second cycle après avoir

19 Il est à noter que pour assurer la confidentialité des propos des participantes, les noms utilisés dans cette

recherche sont des pseudonymes, et certains détails (emploi, noms des proches, etc.) ont été omis ou retirés des citations.

20 Il est possible de revoir la liste des critères en consultant la section3.2 Population et échantillonnage ou en

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terminé un bac et travaillé quelques années dans son domaine. Connaissant déjà le Québec, vu son frère qui y étudiait et ses voyages chez une amie de la famille y vivant, elle dit avoir été habituée à la culture québécoise bien avant son arrivée. Bien qu’elle vive un dilemme face à ses parents qui souhaitent son retour au pays, Amina confie ne pas souhaiter rentrer, elle qui dit avoir eu la possibilité de véritablement se découvrir au Québec. Lina Âgée dans la cinquantaine, Lina est arrivée seule au Québec il y a plus

d’une vingtaine d’années. Alors que la guerre civile sévissait dans son pays d’origine, Lina, récipiendaire d’une bourse, a décidé de poursuivre ses études en Europe où elle est demeurée treize ans, avant de décrocher un poste qui lui convenait davantage au Québec. Originaire du Moyen-Orient, elle est maintenant citoyenne canadienne, en couple et mère d’un enfant. Alors que la guerre déchirait son pays, elle a décidé de parrainer ses parents pour qu’ils habitent près d’autres membres de sa fratrie installés au Québec. Adja Adja, âgée dans la vingtaine, est arrivée seule au Québec, il y a un peu plus de trois ans pour y poursuivre des études supérieures. Aînée de sa famille, elle est la première à quitter le nid familial ainsi que le continent africain et souligne, bien qu’en hésitant, penser y retourner à la suite de sa maîtrise pour y retrouver sa famille. Pour elle, cette migration rime avec une première expérience de responsabilisation, alors qu’elle se doit maintenant de se débrouiller par elle-même (premier emploi, facture, etc.).

Mariam Mariam, âgée dans la trentaine, a quitté le Maghreb pour arriver au Québec il y a plus de 8 ans afin de reprendre des études de maîtrise à Chicoutimi, quand un ami de la famille, enseignant de l’établissement, lui a mentionné l’existence de bourses et de possibilités d’études. À la suite de ses études, alors qu’elle décrochait un emploi connexe à son domaine, elle a convaincu son fiancé, resté dans son pays d’origine, de se marier et de la rejoindre pour poursuivre des études à son tour. Maintenant parents de deux enfants, ils ont fait le choix de s’établir à Québec dans l’espoir de trouver des possibilités d’emploi pour son mari et de doctorat pour elle.

Kadidiatou Kadidiatou, également âgée dans la trentaine, a immigré au Québec, il y a plus de 15 ans maintenant pour poursuivre des études de maîtrise. À l’origine, elle avait quitté l’Afrique subsaharienne pour l’Europe, avant que son frère la convainque plutôt de venir le rejoindre au Québec. Après avoir tenté de mettre ses études en application en retournant dans son pays d’origine, elle s’est vite rendu compte qu’elle ne pourrait s’y épanouir professionnellement. Elle est donc revenue faire des études au Québec, y a travaillé quelques années, s’est mariée avec un homme de sa communauté et a eu une fille. Dans le cadre de ses présentes études doctorales, elle a l’occasion de retourner faire son terrain dans son pays d’origine et d’ainsi garder un contact étroit avec les membres de sa famille.

Salema Arrivée en tant que travailleuse qualifiée, en 2006, avec son mari et son fils, Salema a décidé de réamorcer des études de troisième cycle au Québec dans

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l’espoir de pouvoir y enseigner, métier qu’elle assumait dans son pays d’origine. Maintenant mère de deux enfants et âgée dans la quarantaine, Salema doit assumer les tâches familiales seule, depuis que son mari, incapable de se trouver un emploi à la hauteur de ses compétences et devant s’occuper de sa mère malade, a dû retourner s’établir au Maghreb. Dès son arrivée à Québec, elle dit avoir pu compter sur le soutien de la mosquée près de chez elle, notamment pour transmettre les valeurs à ses enfants, mais également pour obtenir du soutien de ses pairs.

Sophia Sophia, seule participante à avoir immigré au Québec avant l’âge adulte, a quitté l’Europe avec ses parents et ses sœurs. Arrivée en 2003, à l’âge de dix ans, elle a suivi sa famille, alors que ses parents, souhaitant s’ouvrir un commerce, ont décidé de s’installer dans un village en périphérie de Québec. Étant aujourd’hui dans la vingtaine, mariée, maman d’un enfant et enceinte d’un deuxième, Sophia raconte ses années de cégep et ses amours qui ont particulièrement influencé la personne qu’elle est devenue.

Odette Odette, arrivée depuis quelques mois lors de l’entrevue, a choisi d’immigrer seule au Québec le temps de réaliser des études de second cycle, avec l’idée de voyager davantage, par la suite, avant de retourner enseigner dans son pays d’origine, en Afrique de l’Ouest. Après avoir saisi diverses opportunités d’emploi dans son pays, mais également ailleurs en Afrique, elle souhaitait relever de nouveaux défis découvrir un nouveau pays. Yasmine Quittant son pays maghrébin d’origine au début de la vingtaine, Yasmine a

décidé, à la suite d’études supérieures en Europe, de venir rejoindre un ancien copain qui avait immigré au Québec pour les études et le travail. En 2010, ayant la possibilité d’effectuer son stage au Québec, elle est donc venue rejoindre celui qui allait devenir son mari en 2013. Après quelques années d’études, Yasmine a décidé de faire son entrée sur le marché du travail et de devenir propriétaire d’un condo avec son conjoint.

Khadidja Avant son arrivée au Québec relativement récente (2014), Khadidja, originaire du Maghreb, a vécu une quinzaine d’années en Afrique de l’Ouest. Elle, qui allait rejoindre un frère et faire des études, a alors rencontré son mari et est devenue mère de deux enfants. Après y avoir travaillé quelques années, elle et son mari, en quête de conditions de vie plus stables et de davantage de possibilités pour eux et surtout leurs enfants, ont amorcé des démarches d’immigration au Canada en tant que travailleurs qualifiés en 2005. Vu divers troubles techniques et l’administration longue des dossiers, leur projet s’est finalement concrétisé huit ans plus tard. Âgée dans la quarantaine et récemment séparée, Khadidja, vivant maintenant qu’avec sa fille, envisage un nouveau retour aux études.

Dalia Arrivée au Québec il y a treize ans pour y faire des études supérieures, Dalia confie que c’est grâce à une amie, qui y étudiait déjà et qui a fait les démarches pour elle, qu’elle a quitté son pays maghrébin d’origine. Après plusieurs années d’études et l’obtention d’un emploi dans son domaine,

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Dalia a décidé s’établir en sol québécois, alors qu’elle choisissait de marier, avec l’accord parental, un Québécois d’origine.

Soraya Soraya est la participante établie au Québec depuis le plus longtemps, alors qu’elle a quitté son pays maghrébin d’origine, pour poursuivre des études de deuxième et troisième cycle, il y a déjà près de trente ans. Pour elle, issue d’une famille assez conservatrice, le départ pour l’étranger d’une fille seule était assez avant-gardiste. Le Québec a donc été choisi vu la présence de parenté au pays, et l’obtention d’une bourse d’études. Si le projet migratoire était initialement temporaire, les possibilités professionnelles plus intéressantes au Québec auront convaincu Soraya de s’y établir plus officiellement. Sans enfant ni mari, par choix, Soraya, maintenant dans la cinquantaine, confie avoir véritablement pu s’épanouir professionnellement en terre d’accueil.

Safia Maintenant dans la trentaine, Safia, originaire du Moyen-Orient, a d’abord quitté son pays d’origine pour poursuivre des études supérieures en Europe où elle y a rencontré un Québécois, qui allait plus tard devenir son époux. Sa bourse terminée et ses études complétées, elle dut retourner dans son pays d’origine pour y travailler. Peu de temps après, toutefois, elle a repris contact avec son amour d’Angleterre et, à la suite de l’officialisation de leur union, est allée le rejoindre au Québec en 2009, via l’immigration par regroupement familial. Ne parlant pas français, elle a alors amorcé la francisation, avant d’obtenir un premier emploi, de poursuivre des études supérieures et de faire carrière dans son domaine.

Ce bref portrait dressé, il importe maintenant de préciser un élément contextuel d’importance, concernant les quatre dernières participantes. Les entrevues de Khadidja, Dalia, Soraya et Safia ont été réalisées quelques jours ou semaines après la fusillade du 29 janvier 2017 qui a eu un écho particulier auprès des personnes de confession musulmane et qui a teinté de manière plus ou moins significative les confidences des participantes. Les sentiments d’appartenance religieuse ou d’intégration ressentis, plus ou moins fort selon le cas, ont donc pu être influencés par cette conjoncture particulière. Soraya souligne d’ailleurs clairement l’influence qu’a eue cet événement sur les réponses données durant l’entretien :

On est au lendemain d'un événement tragique qui m'a fait vivre des émotions extrêmement douloureuses, parce que j'ai été impliquée dans les événements et j'ai été impliquée dans l'organisation de rapatriement des... Du défunt […] et de m'occuper de sa famille de ses enfants, bref. Ça… Je veux pas que ce côté-là vienne brouiller mon jugement et de dire que je suis ce que je peux revendiquer c'est mon identité musulmane. Mon identité musulmane, elle est là, elle est ancrée, y'a personne qui va venir la déstabiliser, mais si je recule. Mon jugement serait moins biaisé, si je recule d'une semaine avant. (Soraya)

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De même, il faudra considérer que les entrevues de Lina, Amina, Adja, Mariam, Kadidiatou, Salema, Sophia, Odette et Yasmine, ayant été réalisées avant l’événement, les éléments partagés ne sont pas influencés par ce dernier. Également, l’identité et l’intégration, étant tout deux des processus en modelage constant, il faut tenir compte du fait que les résultats présentés ici représentent le partage et le cheminement d’un individu à un point fixe de son parcours; les données ne doivent donc pas être comprises comme des résultats fixes et inchangeables, mais comme les processus réflexifs de personnes en contexte migratoire.