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2. Cadre d’analyse théorique et conceptuel

2.1. Interactionnisme symbolique

L’interactionnisme symbolique, né de la tradition sociologique de l’École de Chicago dans les années 1930, a su influencer les façons de concevoir la science, mais également les relations humaines. À cette époque où l’approche positiviste et l’application stricte des méthodes des sciences pures imprégnaient l’étude des sciences humaines, l’interactionnisme symbolique a ouvert la voie à une nouvelle conception du social. Pour ces scientifiques, l’humain, vu sa complexité, ne pouvait plus simplement être appréhendé à travers des chiffres et des statistiques. L’interactionnisme symbolique fut donc, à l’origine, vu comme une critique des sciences sociales de l’époque, alors qu’il y apportait de nouveaux postulats (Charon, 2003). Contrairement aux approches se concentrant essentiellement sur les influences assujettissant l’humain, l’interactionnisme entrevoit ce dernier comme ayant un rôle actif et non simplement passif, alors qu’il interagit, pense et définit sa réalité par rapport à ses expériences passées et au moment présent (Vinsonneau, 1997 cité dans Ogay, 2001; Charon, 2003; Canuel, 2011).

Inspiré du pragmatisme et de cette volonté du concret et de l’utile (Charon, 2003, Musolf, 2003; Le Breton, 2008), l’interactionnisme symbolique et les travaux découlant de cette approche ont permis l’approfondissement et la compréhension de concepts « se centrant, entre autres, sur les interactions sociales, la construction des identités et des trajectoires, les savoirs des acteurs et leurs routines […] » (Poupart, 2011, p. 180). Cette perspective centrée sur l’acteur est d’ailleurs au cœur même des apports de cette théorie qui s’affaire à rendre compte du point de vue de ceux-ci, de ce qui influence leurs expériences ainsi que du sens

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qu’ils donnent à leur réalité (Charon, 2003; Poupart, 2011). Pour les interactionnistes, le monde est d’abord étudié à travers la construction sociale qu’en font les individus; « [l]e monde n’est pas qu’une réalité en soi, il est le produit de la permanente activité de pensée des individus, il devient un univers de sens » (Le Breton, 2008, p. 34). Les actions ou interactions des individus sont alors formées par ces interprétations et définitions du monde qui les entoure (Stryker, 2007). Si la réalité existe « objectivement » parlant, là n’est pas l’objet d’étude de l’interactionnisme, puisqu’on tend davantage à faire appel à la perception et la subjectivité. Cette approche a ainsi vu naître des études explorant la situation de certains groupes plus marginalisés en prenant en compte le sens que ces acteurs donnaient à leur réalité; citons par exemple la perception de la délinquance chez des criminels (Becker, 1963) ou encore l’étude des conditions de vie de personnes internées dans des hôpitaux psychiatriques (Goffman, 1968).

La pertinence de s’arrêter à l’interactionnisme symbolique comme balise de cette recherche trouve véritablement son origine dans le développement de la compréhension du thème de l’identité amené par ce paradigme. Charon (2003) souligne d’ailleurs que l’augmentation actuelle de l’intérêt pour ce thème s’inscrit en parallèle, et même en continuité, des travaux de cette approche ayant vu en celui-ci une conception centrale pouvant permettre une meilleure compréhension de l’action humaine. L’un des prédécesseurs de l’interactionnisme, Mead, s’inscrivait d’ailleurs parmi les premiers chercheurs à concevoir cette thématique comme étant le produit de processus sociaux, rejetant ainsi les postulats de déterminisme biologique et social (Lipiansky, Taboada-Leonetti et Vasquez, 1990; Musolf, 2003). L’identité est donc vue comme le « produit des diverses interactions que vit un individu au cours de sa vie » (Canuel, 2011, p. 1), puisque c’est « le processus de communication sociale qui produit le Soi et [que] les diverses facettes du Soi reflètent les divers aspects de ce processus » (Lipiansky, Taboada-Leonetti et Vasquez, 1990, p. 14). Découlent, alors, les deux prémisses des interactionnistes qui soutiennent que si la société modèle l’identité, ce Soi modèle à son tour, dans une dynamique de réciprocité, les comportements sociaux influençant la société (Stryker, 2007). L’identité est ainsi perçue, non plus comme statique et figée dès l’enfance, mais comme un processus en constante transformation, alors que l’individu, à travers son interaction avec le monde, en vient à réévaluer sa réalité et ses balises

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identitaires (Vryan, Adler et Adler, 2003). De ces derniers points, s’inscrit toute l’importance du rapport à l’autre et des interactions dans la (re)construction identitaire.

Comme le nom de l’approche l’indique, les interactions entre la personne et son environnement, mais également entre la personne et elle-même (ses pensées, ses réflexions, ses expériences) s’inscrivent au cœur même de l’objet d’étude des interactionnistes. En concentrant leurs analyses sur l’apport de ce nouveau concept, ceux-ci en viennent à ressortir le caractère actif de l’acteur qui entre dans une relation dynamique avec son environnement et qui ne fait pas qu’en subir passivement les effets (Charon, 2003). L’utilisation du terme « interaction » indique que les individus ne sont pas simplement influencés par les autres, mais que, à leur tour, ils influencent le monde qui les entoure. Dans toute cette dynamique, l’importance de définir soi et autrui, mais également de s’approprier des rôles et des identifications (Vryan, Adler et Adler, 2003) mérite d’être soulignée. Ainsi, « [d]ès l'enfance, l'individu nomme, classe et définit les personnes et les choses qui l'entourent et ces définitions l'amènent à agir. […] [L]es personnes agissent selon l'évaluation d'elles-mêmes, de l'environnement et des personnes avec qui elles interagissent » (Canuel, 2011, p. 44). Les apports de l’interactionnisme pour les sciences sociales sont innombrables, alors que cette lunette peut et a été appliquée aux expériences humaines en tout genre. Pouvant aussi bien servir à décrire et à comprendre les situations quotidiennes que les problèmes sociaux plus complexes, cette approche est devenue un important guide permettant de mieux comprendre l’humain (Charon, 2003). En raison de ces apports, mais également des particularités de cette théorie, elle s’avère, ainsi, pertinente à ce projet de recherche qui vise justement à comprendre la perception des acteurs eux-mêmes, et ce, en explorant l’identité, objet d’intérêt pour certains interactionnistes.