• Aucun résultat trouvé

Définition de soi à travers le regard de l’autre

5. Interprétation et discussion des résultats

5.2 Identité culturelle

5.2.1 Définition de soi à travers le regard de l’autre

Ayant d’abord choisi le cadre de l’interactionnisme symbolique, il semble pertinent d’orienter un regard sur la question des interactions dans la construction identitaire et le processus d’intégration. Cette question semble d’autant plus pertinente, alors que plusieurs des participantes ont soulevé le contact avec la société d’accueil comme étant à la fois un facilitateur et un marqueur d’intégration. Ce contact n’est d’ailleurs pas sans rappeler le caractère bidirectionnel de l’intégration exigeant la reconnaissance de la responsabilité de

106

l’immigrant, de la société d’accueil et des interactions qui les animent (Frideres, 2008). D’un côté, il a ainsi été possible de voir que des contacts positifs avec des membres de la société d’accueil, ou d’autres immigrants y étant installés, ont pu favoriser la découverte de cette dernière et l’intégration. Il suffit de repenser aux confidences de Mariam et Soraya sur l’impact positif qu’a eu leur équipe de recherche ou à celles de Amina, Sophia et Yasmine sur l’enrichissement personnel qu’a permis leur rencontre avec d’autres immigrants. D’un autre côté, il suffit de rappeler que l’identité d’un individu, ce processus en constante transformation prenant également « appui dans la relation que le sujet entretient avec son environnement familial et social (Ganem et Hassan, 2013, p. 109), en vient inévitablement à être influencée par ces interactions diverses. Confronté à de nouveaux repères, l’individu, en interaction constante avec son environnement, en vient à réévaluer sa réalité et ses positionnements identitaires (Vryan, Adler et Adler, 2003). Il est ainsi possible de mettre en lumière les confidences des participantes qui reconnaissent toutes, de manière plus ou moins importante, l’influence qu’a eue ou que pourrait avoir (notamment dans le cas d’Odette) leur contact avec la société québécoise. Elles en sont ainsi venues à adopter certains éléments de la culture et du mode de vie québécois ou encore certaines valeurs et manière de penser. Il faut reconnaître que l’individu, par son contact avec autrui, a tendance « à chaque étape, à chaque âge, à chaque situation [à adopter] des modèles ou plutôt des fragments de modèles. Chez tel collègue de sa vie professionnelle, il essaiera de prendre telle qualité, chez tel ami de ses relations, il cherchera à copier tel trait de sociabilité… » (Mucchielli, 2013, p. 61). Cette identité idéale, souhaitant se construire au fil des rencontres et des expériences, plusieurs des participantes y ont d’ailleurs fait référence, lorsqu’elles ont mentionné vouloir retirer le plus de leur expérience migratoire. On peut alors citer en exemple Odette qui confiait souhaiter s’inspirer de la politesse des Canadiens, Lina qui voulait retenir le meilleur des pays où elle a résidé ou Soraya qui soulignait carrément avoir adopté des habitudes de vie québécoises.

Mais si le contact avec l’autre peut faciliter une certaine intégration et, d’une certaine façon, permettre une évolution identitaire, il semble qu’il peut également y porter préjudice. À l’image de ce que certaines des personnes musulmanes rencontrées par Cesari (2013) soulevaient, quelques-unes des participantes de l’étude ont mentionné se sentir « étrangères » dans leur pays d’accueil. Yasmine fait d’ailleurs un lien direct avec l’identité d’étrangère qui

107

lui est constamment renvoyée et son incapacité à se sentir intégrée ou se dire Québécoise. Des questions qui peuvent paraître aussi banales que « d’où viens-tu » ou « vous mangez quoi vous » agissent comme de constants marqueurs de différence et renvoient donc, volontairement ou non, l’éternelle figure d’étranger (Rocheteau, 2013). Yasmine, qui soulevait l’importance de contacts sociaux positifs ne lui renvoyant pas constamment ce sentiment de différence pour se sentir davantage intégrée, rappelle un constat similaire fait par Rocheteau (2013). L’auteur soulève que la non-reconnaissance de l’immigrant « comme membre à part entière de la société d’accueil […] [renvoit] l’individu immigrant à une définition de soi autre » (Rocheteau, 2013, p. 82), alors incapable de pouvoir se définir comme « Québécois ». Waters (1990) souligne, d’ailleurs, que les Américains racisés, tendent à voir leurs interactions et leur quotidien influencés par leur « race » ou leur origine culturelle, et ce, sans égard à la manière dont ils s’identifient eux-mêmes à ces dernières. L’appartenance culturelle n’est alors par seulement volontairement assumée, mais renvoyée par le regard et les gestes d’autrui. L’identité, constamment menacée par le regard des autres (Le Breton, 2008), en vient alors à être fragilisée par une intégration sociale peu propice à l’apparition d’un sentiment d’appartenance envers la terre d’accueil.

Il ne faudrait toutefois pas croire que les participantes n’ont pas su développer un certain attachement envers le Québec. Au contraire, même si la plupart des femmes ne pourraient se qualifier de « Québécoises », elles s’affirment, plus souvent qu’autrement, d’une identité culturelle métissée. Certaines qui reconnaissent l’influence qu’a eue la société d’accueil sur leur identité rejoignent ainsi les constatations de plusieurs auteurs en soulignant ce sentiment d’être à cheval entre deux cultures (Cardu et Sanschagrin, 2002; Houle, 2010; Pelletier, 2010; De Villers, 2011). Considérées par les regards d’autrui comme ni jamais vraiment d’ici, ni plus d’ailleurs, Mariam, Kadidiatou, Yasmine, Dalia et Soraya abordent toutes cette difficulté de se définir dans ce contexte biculturel. Il est intéressant de noter un certain parallèle entre les résultats de cette recherche et ce que ressortent Latcheva et Herzog-Punzenberger (2011), lorsqu’elles questionnent le sentiment d’appartenance à la société d’accueil des participants de leur recherche. Elles soulèvent trois cas de figure concernant le lien d’appartenance ressenti : certains expriment carrément un attachement plus direct à leur société d’origine (1), d’autres, ambivalents, ont du mal à se positionner (2) et, finalement, certains affirment une identification multiple en étant fortement attachés au pays d’origine et d’accueil. Certaines

108

des participantes ont ainsi préféré s’identifier à l’ailleurs, alors que le regard de l’autre ne leur permettait pas de s’identifier à l’ici. D’autres ont revendiqué une identité plurielle en se sachant influencées par divers horizons. Il n’est toutefois pas toujours facile de composer avec ce sentiment et, à l’image des constatations de Pelletier (2010), Yasmine confiait avoir de la difficulté à réellement se positionner, se questionnant sur ses réelles appartenances. Il semble finalement important de mentionner que, bien que les individus souhaitent s’identifier à autrui, ces derniers tendent également à souhaiter s’en distinguer en réclamant une certaine unicité (Rey, 2001; Vinsonneau, 1997, cité dans Ogay, 2001; Mucchielli, 2013). Ainsi, « [u]n sujet peut affirmer son identité individuelle que s’il peut à la fois se sentir appartenir à un groupe de ses semblables (groupe réel ou imaginaire, utopique) et se sentir autonome par rapport à l’emprise collective […] de ce groupe » (Mucchielli, 2013, p. 73). Plusieurs des participantes ont ainsi, volontairement ou non, marqué leurs différences, en se distinguant des groupes d’appartenance auxquelles elles s’identifiaient pourtant. Il suffit de repenser à Amina et Yasmine qui, souhaitant se distinguer de l’image stéréotypée de leur culture d’origine ou de leur religion, refusent de s’y associer si c’est pour en restreindre leur identité.