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Présentation des données et opérationnalisation

La mobilité sociale intergénérationnelle : une étude empirique des limites méthodologiques à partir du cas de la Belgique

4. Présentation des données et opérationnalisation

Comme cela a été dit, le codage des données dans les deux nomenclatures présentées est facilité par l’existence de procédures formalisées. Mais il ne faudrait pas croire que l’activité du chercheur s’efface derrière elles. Devant le flou de nombreux cas, le chercheur doit en effet effectuer de nombreuses approximations ou formuler des hypothèses dont il ne peut être sûr de la fiabilité. Pour comprendre ce point, entrons dans le processus concret de recodage des données.

Les procédures formalisées de codage existent sous la forme de « programmes » pour l’un ou l’autre logiciel de statistiques. Dans le cas des données ESS, on peut trouver de nombreuses syntaxes écrites pour

      

1 Il me semble – et je rejoins là Leiulfsrud, Bison et Jensberg (2010) – que l’éviction de la diversité des nomenclatures au profit d’une seule, si elle favorise la comparaison internationale, a des effets pervers en termes scientifiques. Les résultats de cette étude plaident en faveur de cette affirmation, nous le verrons plus loin.

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le programme SPSS2. Celles-ci recodent automatiquement, à partir de variables intéressantes pour cette tâche, tous les répondants dans la classification cible qui a été choisie. Les variables sur lesquelles se base le codage sont celles-ci : le fait d’être employé ou propriétaire de moyens de production ; si la personne est propriétaire de moyens de production, le nombre de personnes qu’elle emploie ; si la personne est employée, le fait, oui ou non, qu’elle ait des personnes sous ses ordres ; le métier des répondants codés dans la nomenclature CITP-883.

L’opération est bien moins évidente pour les parents, puisque leur situation professionnelle n’est pas codée dans la CITP, mais précisée par la nomenclature propre à ESS – inutilisable, comme nous l’avons vu – ou fournie exactement par le répondant sous la forme d’une chaîne textuelle (celui-ci indique par exemple que son père était « chef de bureau dans une société d’exportation » ou « employé à la régie des autoroutes »4). Ainsi, dans le cas des parents, aucune méthode automatique ne peut être employée, et les individus doivent être traduits un à un dans la nouvelle classification choisie. Si laborieuse qu’elle puisse être, cette opération a le mérite de mettre en lumière le caractère fondamentalement incertain de tout recodage. Regardons pour exemple quelques cas5 de ma recatégorisation vers la nomenclature ESeC pour le cas des pères6. Le premier reprend les informations de deux pères employés, qui ne supervisent pas d’autres employés.

applicable Non Professions libérales et

assimilées 3

BEDIENDE Secondaire

inférieur Employé Pas

applicable Non Professions manuelles et de service, non-qualifiées 7

Bien que l’intitulé de leur profession soit exactement le même, et que les variables utilisées par les programmes aient les mêmes valeurs, j’ai choisi de ne pas classer ces pères dans la même catégorie ESeC.

En effet, le premier répondant a indiqué que la profession de son père était de type « libérale traditionnelle et assimilée » dans la nomenclature ESS, alors que le deuxième a classé son père dans les

« professions manuelles et de service, non-qualifiées ». Dès lors, j’ai fait l’hypothèse que les positions de ces pères dans l’espace social ne pouvaient être considérées comme similaires. J’ai choisi de ne pas coder le premier dans les catégories ESeC 1 ou 2, bien que les professions libérales y soient intégrées, car ces dernières sont souvent associées à un niveau de diplôme élevé (Champy 2009), ce qui n’est pas le cas de notre individu. Je l’ai ainsi classé dans la catégorie ESeC 3 (Employés de niveau supérieur), en supposant que son classement dans les professions libérales était dû à une mauvaise compréhension de la nomenclature ESS par le répondant. Pour maintenir une différence de statut entre les deux pères, et pour être en accord avec le fait que le deuxième a été classé parmi les professions non qualifiées, j’ai classé celui-ci dans la catégorie ESeC 7 (Employés de niveau inférieur).

      

2 On peut en trouver un grand nombre sur cette page de l’Université norvégienne de sciences et de technologie : http://www.svt.ntnu.no/iss/ClassSyntaxes.html.

3 La CITP est la Classification internationale type des professions. Elle est une classification des professions utilisée dans de nombreux pays. Elle est établie par l’OIT (Organisation internationale du travail).

4 Exemples tirés de l’enquête ESS 2008 pour la Belgique.

5 Ceux-ci sont issus de l’enquête ESS 2004.

6 C’est généralement à cette étape du travail que l’on remarque qu’énormément de répondants n’ont rien mentionné en ce qui concerne l’intitulé exact du métier de leurs mères, celles-ci étant très probablement au foyer. Dès lors, il est difficile de faire autrement, lorsque l’indicateur de position sociale est la situation socioprofessionnelle, que d’exclure les mères des analyses de mobilité sociale, et de ne comparer les individus, hommes et femmes, uniquement à leurs pères.

7 « Bediende » veut dire employé en néerlandais. Aux difficultés que j’énonce dans cette communication, ajoutons encore l’élément que la Belgique est un pays trilingue, et que les échantillons nationaux sont donc en plusieurs langues.

DEUXIÈME EXEMPLE DE RECODAGES

applicable Oui Cadres supérieurs 1

DIRECTEUR Secondaire

supérieur Employé Pas

applicable Non Professions libérales et

assimilées 1

Le premier père est relativement aisé à classer. En tant que « directeur », cadre supérieur et supervisant des employés, je l’ai classé dans la catégorie ESeC 1 (Chefs de grandes entreprises, Cadres dirigeants et membres des professions libérales de niveau supérieur). Il demeure un doute sur le bien-fondé de ce choix, puisque la catégorie ESeC 2 peut aussi comprendre des cadres (moyens). Le cas du deuxième père est plus problématique : il est « directeur » mais ne supervise pas d’employés, fait a priori étrange mais dont je dois me résoudre à ne pas percer le mystère. Je choisis tout de même de le placer dans la catégorie ESeC 1, celui-ci étant catégorisé membre d’une profession libérale dans la nomenclature ESS.

Dans le processus de recodage, ces incertitudes ne sont pas l’exception mais la règle. En effet, des questions de ce type se sont posées pour la plupart des pères de mon échantillon. Cet élément met en lumière de manière prégnante le fait que les données finales obtenues sont le produit d’une cascade de (re)constructions : celle de la stylisation de la réalité, lors de la phase de récolte des données, celle du recodage en lui-même et de ses incertitudes, celle de la traduction vers une nouvelle grille d’analyse (les classes ESeC ou de Wright). Et ces reconstructions se poursuivent encore dans la suite des opérations.

J’en donne ici deux exemples : il s’agit premièrement de la partition de l’échantillon et de sa fusion avec d’autres, et deuxièmement de la refonte des catégories des nomenclatures qui ont été choisies pour l’analyse.

Lorsque l’on crée une table de mobilité, on compare potentiellement les parents et les enfants à des moments très différents de leurs parcours professionnels. En effet, il est possible que soient mis en regard la situation d’un enfant qui entre dans la vie active et l’activité d’un parent en fin de carrière. Dans ce cas-ci, on observerait de la mobilité « descendante », alors qu’il est probable que cet enfant « rejoindrait » la situation de son parent quelques années plus tard. C’est un phénomène qu’un nombre important d’auteurs ont mis en lumière et qu’ils ont appelé « contre-mobilité » (Andorka 1972 ; Merrlié, Prévot 1991 ; Thélot 1976). Il est cependant possible de réduire l’impact de ce phénomène en comparant la position sociale des enfants à celle de leur père au même âge. Ainsi, je n’ai sélectionné dans mon échantillon que des répondants de 44 +/- 10 ans8. De ce fait, la taille de l’échantillon a été significativement réduite, ce qui pose problème pour effectuer des tests statistiques valides. La difficulté a été contournée en ajoutant aux données de l’enquête ESS de 2008 celles des enquêtes de 2006 et 2004. L’échantillon de la population belge pour cette période comprend ainsi 1 930 individus. Afin de maintenir une taille d'échantillon constante tout au long des différentes analyses, ne sont sélectionnés que les couples répondants-pères qui ont pu être reclassés dans la nomenclature ESeC en même temps que dans celle de Wright9. L’échantillon effectif passe ainsi à 1 569 individus.

Néanmoins, la taille de l’échantillon reste trop petite, eu égard à certaines nécessités statistiques. En effet, la classe des capitalists dans la nomenclature de Wright comprend des effectifs bien trop peu nombreux.

Wright définit les capitalists comme ayant plus de 10 employés. Or, si le nombre exact d’employés est disponible pour les répondants, il ne l'est pas pour les pères. Celui-ci est codé dans 3 catégories : aucun,       

8 Voir Gires (2011) pour le détail de cette opération.

9 En effet, il y a quelques individus qui peuvent être placés dans une nomenclature et pas l’autre, celles-ci ne nécessitant pas les mêmes informations pour être construites.

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de 1 à 24 et plus de 25 employés. Ces classes doivent donc aussi être utilisées pour les répondants, puisque, dans une analyse de mobilité, les catégories que l’on compare doivent être rigoureusement les mêmes. La nécessité de définir les gros employeurs par le fait qu’ils emploient plus de 25 personnes réduit évidemment drastiquement les effectifs dans cette catégorie, et ceux-ci deviennent de ce fait trop petits pour faire de l'inférence statistique. Les petits et gros employeurs sont dès lors regroupés pour former une catégorie d’employeurs avec au moins 1 employé. Cette transformation constitue une perte d’information, mais on ne pourrait guère faire autrement à partir des données qui me sont disponibles.