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une analyse des mobilités des jeunes sortants du système éducatif

Mickaël Portela*, Camille Signoretto**

Résumé

Les études économiques sur la situation des jeunes sur le marché du travail se concentrent principalement sur leurs difficultés d’insertion professionnelle (Fondeur et Minni 2004). En effet, les jeunes rencontrent des obstacles à leur insertion sur le marché du travail, puisqu’ils n’accèdent que rarement à l’emploi stable dès leur premier emploi et occupent plutôt des emplois précaires en début de carrière (contrats à durée déterminée, stages, etc.). Néanmoins, le passage par ces emplois précaires n’est parfois qu’une étape vers l’accès à un emploi de meilleure qualité (Magnac 1997) et une plus grande stabilité.

Au-delà de ces difficultés d’accès à l’emploi stable, l’objet de la présente communication porte sur l’étude des causes des mobilités1 au cours de la période d’insertion professionnelle. Nous nous focalisons pour cela sur un moment particulier de ces mobilités professionnelles : la rupture du contrat de travail entrainant la perte de l’emploi.

Il s’agit plus précisément d’analyser les déterminants des ruptures d’emploi selon la forme de la rupture2 et le moment où celle-ci intervient, en formulant l’hypothèse que les caractéristiques de l’individu, de l’entreprise, mais aussi de l’emploi antérieur, peuvent avoir un impact sur la forme de cette rupture.

Traditionnellement, les travaux3 portant sur les déterminants des mobilités n’appréhendent celles-ci qu’au travers des caractéristiques individuelles (le diplôme par exemple) ; et lorsqu’ils s’intéressent aux caractéristiques de l’emploi, seules des dimensions restreintes de l’emploi occupé sont prises en compte (qualification, ancienneté). L’un des apports de cette communication repose alors sur une approche multidimensionnelle des caractéristiques de l’emploi occupé. C’est à cette fin que nous utilisons la notion de qualité de l’emploi, inspirée de la définition institutionnelle de la Commission européenne (2001).

Toutefois, nous amendons cette définition, afin de rendre compte de la spécificité des emplois occupés par chaque individu (cf. infra).

Pour analyser les mobilités des jeunes, nous nous appuyons sur l’enquête Génération 1998 du Céreq, ce qui restreint l’analyse aux jeunes sortants du système éducatif en 1998. En outre, la prise en compte de plusieurs interrogations de l’enquête Génération 1998 (interrogations 2001, 2003, 2005 et 2008) contribue à une analyse longitudinale sur le long terme, qui permet de révéler l’évolution des différentes ruptures d’emploi et leurs déterminants dans le début de la carrière professionnelle du jeune.

* CAR-Céreq Île-de-France, Centre d’économie de la Sorbonne, mickael.portela@univ-paris1.fr.

** Centre d’économie de la Sorbonne, camille.signoretto@univ-paris1.fr.

1 Mobilités entre les situations d’emploi, de chômage et d’inactivité.

2 Il existe plusieurs formes de rupture selon le contrat de travail et selon qui, du salarié ou de l’employeur, est à l’initiative. Par exemple, un CDD peut se terminer par une fin de contrat, assimilée comme étant à l’initiative de l’employeur puisque ce dernier pourrait lui proposer de renouveler le contrat ; ou par une démission à l’initiative du salarié. Pour un CDI, la démission à l’initiative du salarié existe également ; alors que l’employeur peut mettre fin au contrat en procédant à un licenciement. Nous reviendrons plus loin et plus précisément sur la distinction des formes de rupture selon l’initiative de chaque partie au contrat de travail.

3 Par exemple Lemoine et Wasmer (2010) ; Commissariat général du plan (2003) ; Givord et Maurin (2003).

plus spécifiquement sur les causes de ces mobilités sont moins habituelles (Givord et Maurin 2003) et peuvent être sujettes à débats. Tout d’abord, la définition de la mobilité professionnelle ne fait pas consensus. Elle peut être définie comme « les transitions entre emploi et chômage » (Givord et Maurin 2003, p. 618), « voire entre emploi, chômage et inactivité » (Lemoine et Wasmer 2010, p. 43). Les mobilités entre emplois doivent également être prises en considération dans une analyse au sens le plus large des transitions (Marchand 2010 ; Gazier 2003, p. 131). Par ailleurs, l’identification des causes de ces mobilités est souvent incomplète. Le diplôme, l’ancienneté et la qualification de l’emploi sont souvent les seuls facteurs explicatifs des mobilités. De plus, les caractéristiques de l’emploi et de l’entreprise sont généralement ignorées (hormis dans la contribution de Marchand 2010).

En « toute rigueur »4 et au regard des remarques exprimées ci-dessus, pour mieux identifier et analyser les facteurs explicatifs de la mobilité professionnelle, il est nécessaire de s’arrêter sur le moment de la rupture, c’est-à-dire de distinguer la forme juridique de la rupture qui déclenche la mobilité vers un autre emploi ou une autre situation (chômage, inactivité, formation professionnelle, etc.). À notre connaissance, seule une étude traite des causes de la rupture du lien salarial pour des catégories particulières de contrat de travail et pour les jeunes (Cart et Toutin-Trelcat 2010). Toutefois, celle-ci s’interroge sur les raisons des ruptures de contrat d’apprentissage, dont le caractère intermédiaire entre emploi et formation empêche toute forme de généralisation à l’ensemble des individus.

De manière générale, la littérature sur les ruptures des contrats de travail développe davantage une analyse centrée sur le comportement de l’employeur et sur l’impact des règles juridiques – rassemblées pour cela sous le terme de protection de l’emploi – sur le marché du travail (cf. notamment Cahuc et Kramarz 2004). Cependant, d’autres travaux prennent en compte également le rôle du salarié dans l’utilisation des différentes ruptures d’emploi, en s’intéressant au degré d’acceptation de la rupture et donc de la mobilité (Amossé, Perraudin et Petit 2009).

Par conséquent, en adoptant un indicateur de la qualité de l’emploi occupé (analyse multidimensionnelle), notre approche semble cohérente au regard de la littérature déjà existante et apporte une originalité quant à l’intérêt porté au lien entre qualité de l’emploi et ruptures d’emploi.

2. Définitions des concepts clefs

Au préalable de notre analyse, il est nécessaire de définir les notions importantes que nous mobilisons tels que les concepts de qualité de l’emploi et de rupture du lien salarial.

Il existe plusieurs définitions de la qualité de l’emploi proposées dans les études académiques. Nous retenons une approche multidimensionnelle de la qualité de l’emploi (Davoine, Erhel et Guergoat-Larivière 2008), qui nous semble être l’approche la plus propice à une discussion sur ce concept, d’autant qu’elle a l’avantage de recouvrir pour partie la définition institutionnelle de la qualité de l’emploi énoncée par la Commission européenne (2001). Pour autant, il sera nécessaire d’amender cette définition de la qualité de l’emploi afin que celle-ci s’inscrive davantage dans une logique individuelle. À notre connaissance, seuls les travaux de Moncel (2010) ont tenté de mettre en place une définition individuelle et multidimensionnelle de la qualité de l’emploi. Toutefois, cette définition s’inscrit dans une réflexion sur les jeunes débutants, qui par conséquent n’est pas généralisable dans d’autres cadres. Dès lors, il s’agit de construire une définition s’inscrivant dans le corpus théorique que nous venons de citer en tenant compte des éléments disponibles dans notre base de données. Ainsi, notre indicateur prendra en compte notamment le niveau du salaire, le temps de travail, les formations dans l’emploi, le déclassement professionnel, etc.

4 Nous reprenons ici en partie les constats énoncés par Givord et Maurin dans leur article : « La montée de l’instabilité professionnelle et ses causes », p. 623.

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Quant à la notion de rupture d’emploi, elle englobe toutes les ruptures du lien salarial entrainant la perte de l’emploi du salarié, qu’il s’agisse d’une rupture d’un CDD ou d’un CDI. Cependant, notre hypothèse selon laquelle la qualité de l’emploi antérieur joue un rôle sur la forme que prend la rupture d’emploi n’est pertinente que dans la mesure où l’on distingue clairement qui du salarié ou de l’employeur est à l’initiative de cette rupture. La typologie entre formes de « départs volontaires » et « sorties contraintes »5 utilisée dans l’ouvrage Quand la carrière commence (Céreq 2007) nous permet de prendre en compte le caractère subi ou non de la rupture d’emploi, de manière plus large que la typologie habituelle opposant démission (initiative du salarié) et licenciement (initiative de l’employeur).

3. Méthodes et données utilisées

Pour analyser les mobilités professionnelles des jeunes sortants du système éducatif, nous nous appuyons sur les enquêtes Générations du Céreq, et plus précisément sur Génération 1998 (interrogations 2001, 2003, 2005 et 2008), ce qui nous permet d’obtenir un recul relativement important et de faire ressortir une possible évolution de ces mobilités dans les débuts de carrière des individus. L’approche longitudinale de long terme contribue ainsi à la prise en compte de plusieurs effets, tels que l’effet de l’expérience de l’individu et les effets de la conjoncture.

La première étape de notre étude nécessite de caractériser l’échantillon à partir de statistiques descriptives sur la nature des emplois des jeunes, les types de ruptures connus, etc. Cette première caractérisation statistique repose sur une approche des séquences d’emplois des individus à chaque interrogation de l’enquête, puis sur une décomposition par années. Ces statistiques peuvent être mises en parallèle avec d’autres enquêtes (enquête Emploi) ou des études qui portent sur les mouvements de main-d’œuvre de manière générale (DARES 2011), de manière à questionner la comparabilité de nos résultats.

Cependant, dans notre recherche des facteurs explicatifs des formes de rupture d’emploi, nous privilégions une approche individuelle, plutôt qu’une approche en termes de séquences d’emploi. Cela facilite en effet l’interprétation et la compréhension des résultats. Ce choix nécessite d’identifier pour chaque individu l’ensemble des emplois occupés, les ruptures si elles existent, ainsi que la qualité de chacun de ces emplois. Après cette étape préliminaire, deux types de méthodes sont privilégiés afin d’analyser les déterminants des ruptures d’emploi. La première méthode consiste à construire des classes en fonction de la qualité des emplois de l’individu et du type de rupture (à partir de techniques d’analyse factorielle des données). Cette démarche holiste nous conduit alors à construire des idéaux-types, rassemblant caractéristiques d’emploi et de rupture, et aboutit également à un raisonnement sur la mobilité des jeunes sur le marché du travail. La seconde repose sur une analyse plus précise à partir de modélisations logistiques, qui permettent d’expliquer le type de rupture en fonction à la fois des caractéristiques individuelles, de la qualité de l’emploi passé et des caractéristiques des entreprises associées à ce dernier emploi.

Pour conclure, nous distinguons deux types de temporalités : d’abord, une observation sur l’ensemble de la période (1998-2008) regroupant tous les emplois occupés ; puis une analyse par pallier d’interrogation (3 ans, 5 ans, 7 ans et 10 ans).

5 « Les sorties contraintes regroupent les départs d’entreprise pour cause de licenciement, de fin de contrat à durée déterminée sans offre de renouvellement ou de fin de succession de mission d’intérim. Par opposition, les démissions et les fins d’emploi à durée déterminée malgré une offre de renouvellement de contrat de travail sont considérées comme des départs volontaires » (Céreq 2007, p. 38). Trois variables dans l’enquête Génération 1998 permettent de distinguer les formes de rupture, qu’elles soient volontaires ou non : « EP80 » qui indique les raisons du départ de l'entreprise (démissions, licenciement, fin de contrat, autres) ; « EP81 » qui permet de caractériser le type de licenciement ; « EP82 », qui distingue les fins de contrat, selon que l’employeur ait proposé un renouvellement du contrat ou non.

Universitaire de Paris Ouest, Dalloz, p. 99-117.

Cahuc P. et Kramarz F. (2004), De la précarité à la mobilité : vers une sécurité sociale professionnelle, rapport au ministre de l’Économie, des Finances et d l’Industrie et au ministre de l’Emploi, du Travail et de la Cohésion sociale, Paris, La Documentation Française.

Cart B. et Toutin Trelcat M.-H. (2010), « Contrat d’apprentissage, les raisons de la rupture », Céreq, Bref, n° 272.

Cereq (2007), Quand la carrière commence… Les sept premières années de la vie active de la Génération 1998, Marseille, Céreq.

Commissariat général du plan (2003), Les mobilités professionnelles : de l’instabilité de l’emploi à la gestion des trajectoires, rapport pour le Commissariat général du plan, Groupe « Prospective des métiers et des qualifications », Paris, La Documentation française, février.

Commission européenne. (2001), « Politiques sociales et de l’emploi : un cadre pour investir dans la qualité », COM (2003) 313 final, 20/06/2001.

DARES (2011), « Les mouvements de main-d’œuvre en 2010 : une forte hausse du taux de rotation accompagne la reprise de l’emploi », DARES Analyses, n° 073, septembre.

Davoine L., Erhel C. et Guergoat-Larivière M. (2008), « Monitoring quality in work: European Employment Strategy indicators and beyond », International Labour Review, n°147 (2-3), p. 163-198.

Fondeur Y. et Minni C. (2004), « L’emploi des jeunes au cœur des dynamiques du marché du travail », Économie et statistique, n° 378-379, p. 85-104.

Gazier B. (2003), Tous « Sublimes », Vers un nouveau plein-emploi, Paris, Flammarion.

Givord P. et Maurin E. (2003), « La montée de l’instabilité professionnelle et ses causes », Revue économique, vol. 54, p. 617-626.

Lemoine M. et Wasmer É. (2010), Les mobilités des salariés, rapport du Conseil d’analyse économique, Paris, La Documentation Française.

Magnac T. (1997), « Les stages et l’insertion professionnelle des jeunes : une évaluation statistique », Économie et Statistique, n°304-305, p. 75-94.

Marchand O. (2010), « Panorama statistique sur la mobilité professionnelle en France », in M. Lemoine et É. Wasmer, Les mobilité des salariés, rapport du Conseil d’analyse économique, Paris, La Documentation Française.

Maurin E. (2002), L’égalité des possibles, la nouvelle société française, Paris, Seuil, collection « La république des idées ».

Moncel N. (2010), Quels emplois pour les débutants diplômés du supérieur ? Une analyse de la qualité des emplois au cours des trois premières années de vie active de la Génération 2004, Céreq, Net.Doc, n° 67.

Session 5

Formation continue, alternance et reclassement

 

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