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Présentation des différentes définitions

1.1 Définition de l’espace francophone

1.1.1 Présentation des différentes définitions

La définition de l’Espace Francophone (EF) est une entreprise délicate, il n’existe pas de définition unique de la Francophonie1, mais plutôt une variété de critères afin de délimiter cet espace aux contours flous. Nous présentons dans cette section les trois approches principales, avec leurs avantages et limites respectives, et effectuons une comparaison entre les différentes listes de pays francophones qui en découlent.

La première approche, dite « politico-administrative » consiste à identifier les pays francophones selon un critère politique ou administratif. Ainsi, 2 listes peuvent être définies : Les pays membres, et parfois aussi les pays observateurs et associés, de l’Organisation

Internationale de la Francophonie (OIF).

Selon cette définition, l’EF regroupe 75 pays, ou 56 pays si l’on se restreint uniquement aux pays membres. Bien que simple et claire, cette approche présente un certain nombre de limites car « les pays dits francophones comptent des proportions extrêmement variables de locuteurs francophones » (Têtu, 1992). En effet, certains pays membres de l’OIF ont une population francophone très faible, alors que certains pays extérieurs à l’OIF ont une proportion de locuteurs francophones très importante (Algérie). En outre, la politique récente d’élargissement d’adhésion à l’OIF à des pays dont le français n’est pas la langue officielle et n’est parlé que par une fraction marginale de la population, à l’instar de la Bulgarie ou de la Macédoine, fragilise encore davantage cette classification.

Les pays ayant le français pour langue officielle.

A l’instar de la précédente, cette approche est également insuffisante car elle ne tient pas compte du nombre de locuteurs francophones: le français n’a pas le statut de langue officielle en Tunisie mais selon les estimations récentes (OIF, 2010 ; CEPII, 2011) plus

1 Notons, qu’une distinction est parfois faite entre la francophonie (avec une minuscule), qui désigne l’ensemble des locuteurs qui utilisent partiellement ou entièrement la langue française, et la Francophonie (avec une majuscule), qui recouvre une réalité plus politique et désigne l’ensemble des « gouvernements, pays ou instances officielles qui ont en commun l’usage du français dans leurs travaux ou leurs échanges » (Leclerc, 2012).

de 20 % des tunisiens sont francophones, à l’inverse, selon les mêmes sources, au Rwanda, où le français a un statut officiel, cette proportion est inférieure à 20 %.

Une deuxième approche, dite « démo-linguistique », consiste à se concentrer uniquement sur la taille de la population francophone de chaque pays. Cette définition repose alors sur la sélection d’une « taille-seuil » à partir de laquelle un pays est dit francophone. Le seuil est traditionnellement fixé à 20% dans la littérature sur le sujet. La principale limite de cette approche est la difficulté d’obtenir des données fiables et comparables entre les pays. En effet, les bases de données existantes reposent sur des recensements, enquêtes ou rapports des pays en question qui n’appliquent pas nécessairement des définitions harmonisées.2 Il existe essentiellement 2 types de bases de données sur le pourcentage de locuteurs francophones : (i) la base collectée par l’OIF (2010) – estimation de la « population ayant une bonne/très bonne maitrise du français » et (ii) et les estimations de Melitz (2008) et du CEPII (2011) fondées sur les données de ethnologue.com3 complétée par les données du CIA

world factbook.

A partir de ces bases, 2 (voire 3) nouvelles listes de pays francophones peuvent être définies : Pays ayant 20% de locuteurs francophones selon la base du CEPII (2011) et de Melitz (2008)4. Pays ayant 20% de locuteurs francophones selon la base de l’Organisation Internationale de la

Francophonie (OIF).

Enfin, une troisième approche, dite « approche mixte », est parfois utilisée. Nous avons identifié dans la littérature 2 définitions alternatives :

L’indicateur « open circuit communication » - que nous traduisons par « langue d’usage » - de Melitz (2008).

Sont englobés dans l’EF tout pays satisfaisant l’une ou l’autre des 2 conditions suivantes : (i) dimension de jure : le français est langue officielle, (ii) dimension de facto : une fraction significative (20 %) de la population est francophone.

L’indicateur LAFDEF5 de Chaudenson et al. (2004).

Afin de mieux comprendre les différentes « situations de francophonie » des pays membres et associés de l’OIF, Chaudenson et al. (2004) ont conçu une grille d’analyse des situations linguistiques fondée sur un score attribué à chacune des dimensions de l’utilisation d’une langue : le status et le corpus. Le status recouvre cinq éléments : l’officialité, l’usage institutionnel (dans les textes officiels), l’enseignement, les moyens

2 Par exemple : est-ce que le pourcentage de la population francophone correspond à la population qui sait parler le français ou qui sait lire et écrire le français ? Ou encore : à partir de quel niveau de compétence considère-t-on un individu comme étant francophone?

3 Le site ethnologue.com et l’ouvrage associé « Ethnologue : the language of the world » fournissent des données exhaustives sur des milliers de langues parlées dans le monde. Il existe différentes éditions : Melitz utilise celle de 2000 et le CEPII, celle de 2009.

4 Les deux bases ne sont pas exactement les mêmes car (i) Melitz (2008) utilise les données de ethnologue.com de 2000 complétées par le CIA world factbook (ii) le CEPII (2011) utilise aussi les données de ethnologue.com complétées par le CIA world factbook mais actualisées (2009) et utilise en plus les informations en ligne de Jacques Leclerc sur son site “L’aménagement linguistique dans le monde.” Cependant les différences restent minimes.

5 LAFDEF est l’acronyme pour le projet « Langues Africaines, Français et Développement dans l’Espace Francophone »

de communications de masse (la presse écrite, la radio, etc.) et les représentations. Le corpus recouvre quatre aspects : l’appropriation linguistique (acquisition ou apprentissage), la vernacularisation versus la véhicularisation, la compétence (évaluation du niveau) et la production et consommation langagière. Cette grille d’analyse vise à « mettre en évidence une typologie des situations de francophonie à partir d’une analyse comparée du status et du corpus du français » (Chaudenson et al., 2004). Bien que très complète, cette approche présente un certain nombre de limites:

tout d’abord, l’appréciation et la définition des pondérations accordées à chaque élément peut sembler arbitraire (un grand nombre de sous-catégories repose sur le jugement de l’évaluateur qui doit par exemple apprécier le niveau de la production langagière « forte/moyenne [ou] réduite » sans échelle préétablie). De plus, cette classification requiert la collecte d’une quantité très importante de données, qui ne sont pas disponibles pour tous les pays, et lorsqu’elles le sont ne permettent pas nécessairement les comparaisons entre les pays ou dans le temps. Enfin, cette approche peut effectivement nous permettre de délimiter les pays francophones grâce à une évaluation complète de la place de la langue française au sein d’un échantillon de pays pour lesquels ces données seraient disponibles, mais elle ne dispense pas du choix d’un critère inévitablement arbitraire.

Ainsi, nous identifions 6 définitions possibles de l’EF. Les listes et valeurs des indicateurs correspondants sont reportées par pays en annexe (voir le Tableau 21). Le Tableau 1 ci-dessous présente la matrice de corrélation entre les 6 différentes estimations du statut de la langue française pour 68 pays.

Tableau 1 : Corrélation entre les différentes estimations du statut de la langue française6

Approche politico

administrative Approche démo-linguistique Approche mixte Membre, ou

Note : l’astérisque indique une significativité au seuil de 1%

Source : calculs des auteurs à partir des indicateurs reportés dans le Tableau 21

Conformément à la discussion précédente, il apparaît que le fait d’être membre ou observateur de l’OIF n’est que très peu relié à l’usage du français par la population: ainsi la corrélation entre la proportion de locuteurs francophones et l’appartenance au cercle des pays de l’OIF se situe à un niveau faible et n’est jamais significative aux seuils usuels de confiance. On note également que le score attribué par la méthode de Chaudenson et al.

(2004) semble accorder davantage d’importance à l’officialité de la langue, avec un score de corrélation s’élevant à 0,73, qu’à son utilisation courante, pour lequel le niveau de corrélation avec les estimations du nombre de locuteurs francophones s’élève à 0,69 (base de données du CEPII). Au niveau de l’estimation de la proportion de locuteurs francophones, les lesquels les données n’étaient pas disponibles : Bosnie-Herzégovine, République Dominicaine, Emirats Arabes Unies, Estonie, Monténégro et la Thaïlande. Aux pays membres ou observateurs de l’OIF, s’ajoutent Israël et l’Algérie.