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B. Les cinq autres sujets interviewés

III. Analyse des trois entretiens biographiques choisis

4. Présence de certains changements

a. Le changement de compétences

David mentionne à plusieurs reprises qu’il a la sensation d’avoir changé de métier. Il parle de son « nouveau » métier. Il se rend compte tout de même d’une différence de métier, d’un changement :

« j’ai tout autant appris mon nouveau métier » (l. 109) ;

« c’est clair que ça a été un changement radical, j’ai l’impression d’exercer un autre métier» (l.

127/128) ;

« Mais voilà, il y a un certain nombre de choses que je continue de faire d’une certaine manière. Même si c’est dans un autre contexte, sous une autre fonction » (l. 131/132) ;

« Pour en revenir à mon nouveau métier… » (l. 235) ;

« Oui, c’est un changement radical. Dans ce sens la, j’ai vraiment changé de métier, oui » (l.

293).

Nous pouvons remarquer que, pour notre sujet, son nouveau poste implique réellement un nouveau métier, et donc forcément un changement de métier. Et qui dit nouveau métier ou changement de fonction, dit nouvelles compétences. Cela se confirme à plusieurs reprises dans l’interview. En effet, nous pouvons voir qu’aujourd’hui, David est amené à réaliser des activités totalement différentes de celles qu’il pratiquait en étant pasteur, ce qui signifie qu’il a du développer d’autres compétences.

Nous pouvons voir dans l’entretien un résumé de sa profession de pasteur et des compétences qu’il possède dans ce travail-là.

David nous explique qu’un pasteur possède des compétences de fonctionnaire religieux, mais également des autres compétences qui lui permettent d’accompagner les gens qu’il rencontre et/ou de la communauté. Une première catégorie de compétences est attribuée à tous les actes qui se rapportent aux cultes, aux célébrations comme les baptêmes, les mariages et les enterrements et, aux entretiens individuels dans la manière de procéder. Nous pourrions les nommer compétences théologiques :

« Quand on est pasteur on est au service d’une communauté et puis on est beaucoup en lien avec ces gens en permanence […] il y a la face visible qui est celle du culte et de tout ce qui est publique, célébration ou les camps. Et puis, il y a la face plus cachée qui sont les entretiens individuels avec les personnes, ce qu’on appelle les entretiens pastoraux, accompagnement spirituel des gens, il y a aussi tout ce qui est enseignement des enfants au catéchisme et puis il y a aussi une part administrative » (l. 137 à 143).

Une deuxième catégorie de compétences est attribuée à toutes les activités qui demandent des compétences psychologiques, d’accompagnement (et elles le sont toutes, quelque part) comme celles vues plus haut, ainsi que l’enseignement du catéchisme aux enfants, les entretiens individuels, les activités de camps qui demandent aussi des compétences d’organisation et de pédagogie :

« c’est vraiment d’être en contact avec la communauté, avec des gens, de pouvoir quand même être au centre d’un groupe de personnes qui attend beaucoup de vous, avec beaucoup de marque de reconnaissances. Et ça c’est une des grandes beautés du ministère de pasteur, c’est qu’on est au cœur de la vie des gens. Non seulement la vie quotidienne, le dimanche, il y a les baptêmes, les mariages. Et puis il y a beaucoup plus de services funèbres. C’est peut-être moins joyeux mais c’est aussi un privilège d’accompagner les gens dans les moments les plus difficiles de leur vie, quand ils sont en crise, quand ils sont vraiment en difficulté. […] Ca signifie aussi toutes sortes de compétences au-delà des compétences théologiques, des compétences en psychologie, des compétences d’accompagnement […] Et vous n’avez pas été simplement le fonctionnaire du religieux qui a fait ce qu’il devait ou qui a fait ce qu’on doit à ce moment-là, mais qui a fait bien plus que ça. […] l’Eglise c’est une offre aussi d’accompagnement, de qualité, pour leur permettre de repartir. » (l. 170 à 187)

Nous découvrons également des éléments permettant de déterminer quel métier David exerce aujourd’hui et les compétences qu’il a acquises afin d’occuper son poste (notamment avec la formation qu’il a suivi) et en occupant son poste puisque cela s’est produit en même temps.

Pour résumer, nous pouvons affirmer que David est devenu responsable de formation comme il le dit lui-même aux lignes 289/290. Il est donc responsable de la formation des pasteurs et des diacres ainsi que du personnel administratif et technique (dans le bâtiment, l’immobilier, le service informatique, le service de communication) de l’Eglise. Il est donc chargé d’organiser la formation pour ce public-là :

« Mon « public », c’est plutôt mes collègues » (l.145) ;

« Et je ne suis pas seulement responsable de formation des pasteurs et des diacres, mais je suis aussi responsable de tout le personnel administratif et technique. Ceux qui travaillent dans le bâtiment. C’est l’immobilier. Y’a le service informatique, le service de communication. Ce sont des métiers qui sont différents de ceux de pasteurs et de diacres. Ce sont des métiers que l’on retrouve plus dans d’autres institutions » (l.154 à 159).

Pour ce faire, il doit étudier les besoins ainsi que les offres de formation :

« c’est quand même beaucoup du travail d’ingénierie, de politique de formation, de mettre en place les procédures, de les appliquer, au moment où il ya une demande de formation, de la traiter, de voir avec la personne si c’est vraiment ce qui convient pour elle, de voir s’il y a pas autre chose qui pourrait être intéressante, et de connaître les différentes offres de formation des différents prestataires, de pouvoir conseiller dans différents domaines » (149 à 154) ;

« mais ce n’était pas à moi forcément de faire la formation. Je devais trouver les prestataires qui conviennent. Par exemple quand il s’agit de trouver une formation en informatique, de trouver quels sont les meilleurs prestataires pour une formation Excel, pour une formation in design ou des choses comme ça » (l. 160 à 163) ;

« c’est d’organiser la formation, d’être responsable du système de formation » (l.290/291).

Il n’a plus affaire au même public dans son nouveau métier. En effet, lorsqu’il était pasteur, il était principalement en contact avec la communauté de sa paroisse. Son public, aujourd’hui, se compose donc de tout le personnel de l’Eglise cité plus haut et ses partenaires sont les organismes de formation, les autorités de l’Eglise, la direction, etc. :

« il y a aussi d’autres partenaires, d’autres organismes de formation, toute l’autorité, la direction de l’Eglise, etc. Donc c’est beaucoup plus institutionnel » (l.146/147).

Dans son cahier des charges, apparemment David a des moments de formation, mais ceux-ci sont rares :

« Bien sur qu’il y a des éléments pédagogiques, des éléments d’animation » (l. 290 à 291) ; Il parle surtout d’un des enjeux général de la formation à l’Eglise à la ligne :

« Je suis en contact permanent avec l’office protestant de la formation. Avec eux, je réfléchis à quel pasteur pour demain. Comment est-ce qu’il faut les former ? Qu’est-ce qu’il manque actuellement dans la formation ? Et puis la formation continue, qu’est-ce qu’il faut proposer ? » (l. 326 à 329).

Dans son métier, il s’agit plutôt de réaliser un travail d’ingénierie, établir des politiques de formation, des procédures dans le domaine de la formation. Notre sujet fait également partie de l’équipe des ressources humaines de l’Eglise, il se voit donc devoir donner son avis sur différents sujets et notamment sur les candidatures des pasteurs :

« […] aussi en étant dans l’équipe RH, j’ai pas mal de responsabilités ou d’interventions au-delà de la formation professionnelle. Tout ce qui est du domaine du recrutement, de gestion des dysfonctionnements. […] On attend aussi de moi un avis à ce niveau-là parce que justement je suis le seul pasteur, ou ancien pasteur, dans cette équipe de ressources humaines donc quand il s’agit de traiter de la candidature d’un pasteur ben j’ai peut-être aussi un point de vue différent. » (l. 353 à 358)

Ce travail est très « institutionnel » comme le dit David comparé à la profession de pasteur qui est plus « personnelle » :

« Alors c’est très différent de mon ministère d’avant où là c’était très valorisant niveau contact avec les gens alors que maintenant c’est plus au niveau institutionnel » (l. 342/344) ;

« c’est peut-être que c’est plus institutionnel justement c’est moins personnel. […] c’est plus administratif… Et c’est plus institutionnel au sens, voilà il faut faire avancer les dossiers, il faut que ce soit organiser correctement. […] Là maintenant, il faut que je sois un peu plus performant en quelque sorte. Et puis que je tienne les délais. Donc ça c’est un peu lourd, avec aussi beaucoup d’attentes très diverses pour faire avancer les dossiers justement » (l.344 à 351).

Il est confronté aux questions de performance et de gestions de délais pour les

« dossiers » qu’il doit traiter. Il s’agit d’un poste-clé, pour lui, dans la mutation que vit l’Eglise. Il se trouve beaucoup plus au cœur des grands enjeux de l’Eglise comme il le dit à la ligne :

« je suis beaucoup plus au cœur des grands enjeux, de cette mutation que vit l’église. […] sur un plan beaucoup plus stratégique » (l. 294 à 298).

En effet, l’Eglise change : elle a subi une restructuration et une certaine professionnalisation.

Il est important de signaler que David garde donc ses compétences de pasteur, mais qu’il ne les met plus « en pratique ». Il exerce un nouveau métier qui demande d’autres compétences, comme vu plus haut. Son nouveau métier et la formation qu’il a suivie l’ont amené à développer de nouvelles compétences qui lui permettent de réaliser ses nouvelles activités :

Mais c’est vrai que par rapport au métier d’un pasteur lambda c’est vrai que c’est très différent » (l.131 à 135).

Certaines compétences de son ancien métier sont transversales à son métier actuel, comme l’accompagnement et l’animation. D’ailleurs, les compétences que l’on acquiert au cours de notre vie nous sont utiles et construisent notre professionnalité. Pour nous, toutes les expériences que nous vivons permettent de nous forger des compétences qui font partie de notre professionnalité.

Pour conclure sur cette partie, nous pouvons souligner que David exerce dorénavant un autre métier vu qu’il réalise des activités totalement différentes que celles de son ancien métier de pasteur.

b. Le changement de milieu et/ou de poste

David a changé de poste, mais n’a pas changé de milieu de travail ou de domaine.

Nous pouvons le lire de la ligne 127 à 131 :

« j’ai l’impression d’exercer un autre métier et pis en même temps pas tout à fait quand même.

Parce que quand même c’est la même institution et pis que je continue d’être dans le même domaine c'est-à-dire la théologie et d’avoir aussi les mêmes collègues, même si je suis dans une position différente par rapport à eux ».

Ce changement de position, dû au changement de poste implique que ses collègues pasteurs posent un autre regard sur lui. Ceci s’explique par le fait qu’il passe d’une position de pasteur à une position qui se trouve « du côté » de la hiérarchie ou de la direction. De plus, il fait partie des ressources humaines ce qui rajoute au fait qu’il devienne une figure d’autorité :

« J’ai pas passé de l’autre côté ou ailleurs, je n’ai pas changé de culture, je suis toujours de leur côté, même si ce n’est pas évident pour tout le monde. Et ça c’est une des premières choses qui m’a frappé quand je suis arrivé dans ce poste là, je suis quand même dans une position d’autorité parmi mes pairs qui était assez difficile à assumer surtout au début. Parce qu’un certain nombre de collègues ont considéré que je les avais trahis comme si j’étais passé du côté de la direction, des autorités de la hiérarchie quoi. Mais aussi parce que comme c’était un poste assez nouveau, ils ne savaient pas très bien ce que j’allais pouvoir leur dire et puis bon en étant à ce poste je fais partie de l’équipe des ressources humaines et puis là aussi c’était un concept nouveau dans l’Eglise. Donc qu’est-ce qu’ils vont me dire… » (l. 243 à 252).

Nous pouvons donc relever une certaine « progression » hiérarchique dans le changement de poste de David. Son nouveau travail se situe à une position plus « gradée ».

c. Le changement d’identité professionnelle

Nous allons montrer ici que David a assimilé une nouvelle identité, celle « attribuée », si nous pouvons dire, à son nouveau métier de formateur d’adultes, ou plus précisément de responsable de formation. Notre sujet fait état de ce changement d’identité professionnelle à plusieurs reprises. David dit que le fait d’occuper un autre poste, de faire un autre métier avec une position différente par rapport à celle d’avant, a changé son identité professionnelle :

« On est dans une autre position et ça, ça change mon identité. Ca change ma compréhension personnelle au fond de ma position. C’est intéressant, un nouveau positionnement et avec l’impression d’avoir les compétences qui justifient ce nouveau positionnement » (l. 401 à 403).

De plus, David remarque l’influence de la formation qu’il a suivie dans son changement identitaire :

« J’ai au fond deux métiers. Donc ça fait une différence pratique très concrète et une différence identitaire très importante, de compréhension de soi, de sentiment, de culture aussi.

Quand je pense à ce qu’a provoqué en moi cette formation, on travaille beaucoup à la FODA à ce changement identitaire que provoquent les formations. Bah c’est vraiment ce que j’ai vécu, je ne me rendais pas compte avant de commencer la formation, à quel point ça me changerait » (l. 389 à 394).

Un élément est particulièrement intéressant à relever : le fait qu’il pense avoir deux métiers. D’une part, cela confirme que son changement professionnel a abouti à un nouveau métier. D’autre part, cela nous indique un fait important sur le plan identitaire : il a deux métiers et donc deux identités professionnelles.

Toujours par rapport à son identité, David revient sur la « puissance » de sa formation, au sens de l’impact qu’elle a sur lui :

« Je pense que ce qui m’a le plus fait changé d’avis c’est cette puissance d’une formation pour faire évoluer l’identité. Parce que jusque-là je pensais qu’une formation c’était juste ajouter une corde à son arc. Non, il y a quand même quelque chose en plus, on devient quelqu’un d’autre. Socialement déjà aux yeux des autres, mais aussi dans une identité intime, dans la compréhension de soi, dans la confiance en soi et ça je n’avais jamais réalisé, en fait. Le fait que ça transformait la personne. Bon il faut que ça soit des formations d’une certaine durée quand même, pour que ce soit le cas, mais avec la FODA c’était le cas » (l. 471 à 478).

David possède donc une autre identité professionnelle : celle de responsable de formation. Cependant, un élément fondamental dans cet entretien est à mettre en lumière : le fait que David continue de se considérer comme un pasteur :

« Et je n’ai peut-être plus à subir moi cette crise d’identité des pasteurs, même si je me considère toujours comme pasteur. En même temps, j’ai cette identité de responsable de formation » (l. 383 à 385).

Cela vient peut-être du fait que la vocation religieuse est une dimension importante, qui « pèse » lourd dans la vie des gens qui choisissent cette voie. En effet, la plupart du temps (mis à part de rares cas), les individus qui se projettent dans la voie religieuse y restent toute leur vie :

« C’est vrai que c’est bizarre, car on dit qu’on est dans l’église et c’est pour la vie et la vocation c’est aussi pour la vie » (l. 265/266).

« Pour en revenir à mon nouveau métier… je continue de me considérer toujours comme pasteur simplement avec une fonction un peu différente, mais je continue à signer mes mails en mettant pasteur chargé de la formation professionnelle » (l. 235 à 237).

L’apparition d’une autre culture, autre que celle de l’Eglise : la culture d’entreprise semble remettre en question le monde de l’Eglise, comme explicité plus haut dans l’analyse.

Les deux cultures semblent se rencontrer, se confronter même :

« et tout d’un coup arrive une culture étrangère ; la culture d’entreprise, qui arrive » (l. 266 à 267).

L’Eglise est apparemment « bien obligée » de s’ajuster à cette nouvelle culture qui a pris le pas sur tout. L’existence de ces identités professionnelles chez David est liée en quelque sorte à la rencontre de différentes cultures : la confrontation de ces deux cultures comme la confrontation de ses deux identités professionnelles.

Pour conclure sur cette partie, David le dit : il a deux métiers. Il se sentira toujours pasteur au fond de lui car lorsque l’on devient pasteur, on le reste pour la vie. Il garde donc cette identité, celle de pasteur, tout en ayant acquis une nouvelle identité, celle de responsable de formation.

5. Synthèse intermédiaire : reconversion professionnelle volontaire ou