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Communément, une bifurcation est un changement de direction. Lorsqu’on parle de bifurcation dans les parcours de vie, cela sous entend un changement important au niveau professionnel, familial, social, etc.

D’après Bessin, Bidart & Grossetti (2010), « le terme de « bifurcation » est apparu pour désigner des configurations dans lesquelles des événements contingents, des perturbations légères peuvent être la source de réorientations importantes dans les trajectoires individuelles […] » (p.9).

Au niveau du parcours biographique, « […] une bifurcation, peut être définie comme une modification soudaine, imprévue et durable de la situation personnelle et des perspectives de vie, concernant une ou plusieurs sphères d’activités » (Hélardot, 2010, p.161). C’est-à-dire qu’une réelle distinction peut être notée avant et après la bifurcation.

Attardons nous sur le caractère soudain, imprévu de la bifurcation. Selon Grossetti (2010), la bifurcation est considérée comme un processus dans lequel « une séquence d’action

comporte une part d’imprévisibilité qui produit des irréversibilités concernant des séquences ultérieures » (p.147). Il existe deux types d’imprévisibilités selon Grossetti (op. cit.) : la forme

« risque anticipé » qui correspond aux situations dans lesquelles l’incertitude est envisagée et les réponses sont plus ou moins prévues. Cependant le moment de sa survenue est imprévisible », comme par exemple le chômage, la maladie, etc. Le deuxième type est la forme de « crise » qui correspond aux cas où ni le moment ni les issues ne sont prévues, comme par exemple une catastrophe industrielle. La notion d’imprévisibilité n’implique cependant pas toujours des irréversibilités. C’est-à-dire que cela ne suppose pas forcément qu’il n’y ait pas de possibilité d’intervention. En effet, Grossetti ajoute que certaines « […]

séquences fortement imprévisibles ne produisent pas de changement significatif. Un changement a été rendu possible, mais l’issue de la situation est en continuité avec la situation antérieure » (op. cit., p.147). Par exemple, un couple souhaite se séparer. Cependant après réflexion, les deux parties changent d’avis. D’autres séquences comportent une part beaucoup plus élevée d’imprévisibilités qui produit des irréversibilités plus importantes. C’est là que nous pouvons parler de bifurcation.

Pour continuer, nous nous sommes penchées sur les travaux de Bidart (2010), pour approfondir davantage cette notion de bifurcation. En effet, celle-ci s’est demandée lors d’une recherche empirique, quelles ressources cognitives ou quels « ingrédients de l’action » interviennent dans les bifurcations biographiques.

Pour répondre à cette question, elle définit tout d’abord le terme de bifurcation. Pour Bidart, une bifurcation implique une rupture, une réorientation du parcours et un changement : Un moment de crise précède en général la bifurcation. Malaise, conflit, désenchantement, latence, tension, montée en pression.... s’accumulent. Le coup de tonnerre, n’arrive généralement pas dans un ciel serein, ou alors il n’y a que peu d’effet. Dans un contexte défini par une certaine altération des ressources, des certitudes, des routines, un événement va avoir un poids particulier. Il bouscule en effet l’agencement des facteurs qui composaient la séquence précédente. (p.227)

Dans son enquête, elle va surtout s’intéresser au type de bifurcations auquel nous nous attachons dans ce travail, c'est-à-dire aux bifurcations professionnelles. Selon elle, un élément important rentre en jeu dans ce type de bifurcation : l’« événement ». Pour l’auteure, l’événement peut consister en un conflit avec son patron, un accident du travail, une proposition d’embauche dans une autre entreprise, etc. Cependant, l’événement peut aussi s’avérer être une rencontre, une rupture conjugale, le décès d’un proche « qui par ricochet vont conduire à revoir les positionnements professionnels et à prendre des décisions […] » (op. cit., p.227).

Pour mener son enquête et s’intéresser à l’objet de sa recherche, les « ingrédients de l’action » qui interviennent dans les bifurcations professionnelles, Bidart s’appuie sur une typologie construite par Grossetti (2004). Bidart (2010) s’intéresse surtout à voir si ces

« ingrédients » sont repérables dans les récits des bifurcations de ses sujets et voir s’ils sont évolutifs ou non à travers le temps.

Voici cette typologie en cinq points, d’après Bidart (2010) :

- Les théories : « on trouve toujours mieux du travail avec un diplôme professionnel »;

- Les routines : « dans ma famille on a toujours été manuel » ; - Les valeurs : « c’est bien de travailler dur » (op. cit., p.229)

A travers les interviews et ces catégories, Bidart (2010) montre dans son étude que ces

« ingrédients de l’action » sont vraiment des « moteurs » pertinents de l’action et peuvent rester stables toute la vie. Cependant, l’auteure met bien en évidence, à travers son matériel empirique, qu’il arrive souvent, avec les années, que nos points de vue changent, ainsi que nos priorités dans la vie. Elle conclue donc sur le fait que ces « ingrédients » sont bel et bien évolutifs surtout lors d’une bifurcation.

Intéressons nous de plus près aux bifurcations professionnelles. Selon Hélardot (2010), il existe deux moteurs à ce type de bifurcations. Le premier moteur intervient dans « de[s]

décisions individuelles consistant à quitter une situation personnelle ou professionnelle insatisfaisante, mais objectivement stable et qui aurait pu se prolonger » (p. 162). Et le second moteur est le cas où « l’événement déclencheur de la bifurcation est extérieur et indépendant de la volonté des intéressé[e]s » (op. cit., p.163). En effet, une bifurcation peut être caractérisée par le déclencheur de celle-ci, qu’il soit extérieur à l’individu (accident, maladie) ou qu’il soit relatif à une initiative de la personne (démission, divorce). L’auteure nous fait remarquer à juste titre que « lorsque le déclencheur du changement est externe et fait donc irruption dans l’existence des personnes, celles-ci peuvent soit l’accepter, soit y résister » (op.

cit., p.163).

Pour Négroni (2007), les motifs et les raisons qui font que les individus bifurquent professionnellement à un certain moment donné de leur parcours de vie est la survenue d’événements. Des événements qui « ont le pouvoir » de changer la direction du cours de vie, comme par exemple, le décès d’un parent, d’un proche, la maladie, etc.

A noter qu’il est important de ne pas confondre la notion de « bifurcation » et celle d’ « événement ». En effet, d’après Bessin, Bidart & Grossetti (2010) « les notions de bifurcation et d’événement ne sont pas totalement identiques […] Il s’agit en général [pour les bifurcations] de désigner un moment d’incertitude débouchant sur des changements de plus ou moins grande ampleur » (p.11). Alors que le terme d’« événement », d’après ces auteurs, est beaucoup plus large et moins précis.

En effet, pour Négroni (2010), les bifurcations professionnelles impliquent l’apparition d’événements qui dégradent la situation de travail « et qui ne permet[tent] plus de se projeter dans un futur acceptable » (p.179), autrement dit, dans une situation de travail acceptable. Elle ajoute que « ces événements placent l’individu dans une situation de contexte contraint, ce qui est prépondérant, c’est ce que va faire l’individu de l’événement » (op. cit., p.180). Certains événements vont avoir un impact plus important que d’autres sur la trajectoire, ce qui peut amener la personne à bifurquer professionnellement.

Denave (2010) va plus loin dans cette idée. Pour cela, elle s’appuie sur deux enquêtes de Voegtli sur des maladies chroniques (les attaques apoplectiques et la séropositivité). Ses travaux montrent qu’une même maladie (donc perçue comme un événement) peut aussi bien être considérée comme un événement qui bouleverse les conditions de vie que comme une continuité du fait de la familiarisation des acteurs avec l’univers de la souffrance et de la mort.

En d’autres termes, un même événement peut être considéré comme un élément catastrophique pour certaines personnes, alors que pour d’autres non. Denave (op. cit.) ajoute un autre élément important à partir des travaux de Millet & Thin : « si la genèse de

l’événement dépend en partie de la position et des dispositions des acteurs, ses effets sur la trajectoire individuelle se comprennent à la lumière du contexte d’action et du passé incorporé des acteurs » (p.172). Ceci impliquerait donc que les effets des événements dépendraient des appartenances et conditions sociales. A travers leur recherche sur les ruptures scolaires des collégiens, ces auteurs montrent que des événements analogues qui touchent d’autres familles, vivant dans d’autres conditions et avec d’autres ressources, ne produisent pas d’effets équivalents : « l’événement ne constitue donc pas l’explication des situations scolaires des collégiens » (op. cit., p.172). De par ce fait, les auteurs arrivent à la conclusion suivante : « […] un événement produit des effets lorsqu’il se produit dans un contexte singulier et qu’il s’articule de manière spécifique avec des dispositions incorporées par les acteurs » (op. cit., p.173). En d’autres termes, pour comprendre l’événement, il faut tenir compte du contexte dans lequel il se produit.