• Aucun résultat trouvé

3.4 Quitter l’emploi

3.4.2 Préparer la sortie

Les témoignages des participants sont univoques quant à leurs perspectives d’avenir dans le secteur sylviculture : on ne peut pas y «rester toute sa vie» (T1), à cause de la dépendance et de l’impact négatif du travail sur la santé. Rester longtemps en sylviculture, ça «détruit le corps» (T12) en même temps que la productivité diminue, ce qui rend le travail moins intéressant. C’est pourquoi il faut planifier sa sortie, autant pour les travailleurs sylvicoles «à long terme» que ceux «de passage».

Bien sûr, le contexte de sortie projeté varie : un salaire raisonnable est une condition nécessaire pour les deux groupe, mais elle n’est pas suffisante pour ceux qui cherchent un emploi qualifié. Dans les deux cas, la planification passe par deux étapes : d’abord

identifier les conditions sous lesquelles on est prêt à partir, ensuite élaborer et mettre en œuvre un (des) plan(s) pour les atteindre.

Les conditions de sortie

Comme ils l’ont fait une première fois au moment de décider d’introduire le sec- teur sylvicole et ensuite continuellement en y restant pendant quelques saisons, les travailleurs évaluent leur sortie en fonction des possibilités qui se présentent à eux sur le marché du travail par rapport à différents critères.

D’abord, pour les deux catégories de travailleurs, le rapprochement avec la famille motive la sortie de l’emploi sylvicole. Après avoir passé plusieurs étés dans le bois, quit- ter la sylviculture permettrait de ne plus en être éloigné pendant de longues périodes.

Je compte chercher du travail [ailleurs], parce que ce ne serait pas vraiment facile [de faire la plantation], alors que [ma femme] reste ici avec l’enfant. Elle ne conduit pas. Elle a besoin de transport. [...] Je ne pense pas [continuer pendant des années dans le secteur], avec la famille. (T10)

Toutefois, bien que cela soit souhaitable, il ne s’agit généralement pas du principal critère de sélection. Ce sont plutôt les aspects économiques qui reviennent comme un leitmotiv. Ils sont liés bien souvent à la responsabilité de pourvoir aux besoins de la famille, considérés comme étant primordiaux.12

On fait ça parce que [c’est payant. ...] Si j’ai un truc mieux, qui me paie au moins 16-17$/heure, [j’y vais]. Parce que c’est [équivalent] à ma production. C’est ce que je fais [en sylviculture]. (T6)

Bien que tous les travailleurs connaissent des contraintes économiques, leurs condi- tions de sortie sont définies différemment selon la place que prend la sylviculture au sein de leur parcours professionnel.

Pour les travailleurs sylvicoles à long terme, la sortie est planifiée avec le moment où le «corps» ne leur permettra plus d’être productifs, donc au moment où le travail ne sera plus rentable. Ils ne visent pas à occuper un emploi «qualifié», mais un qui leur permettra de garder un niveau de vie satisfaisant. Pour certains, cela signifie chercher un

12. Le nombre de revenus dans les ménages étant inconnu pour un grand nombre de participants, il est difficile de statuer sur l’ampleur de la responsabilité. Les témoignages laissaient toutefois présager que les travailleurs fournissaient l’essentiel du revenu familial, qu’ils vont «chercher le pain». (T16)

autre emploi manuel perçu comme étant bien rémunéré (par exemple la mécanique ou la construction), alors que pour d’autres, cela signifie de trouver un travail «intellectuel» qui ne repose pas autant sur la bonne forme physique.

Non, c’est pas encore pour des années... Je commence déjà à ressentir [...] que je commence à m’affaiblir. Il ne faudrait pas que je passe tout mon temps dans la forêt. Ça use beaucoup ! Déjà, moi, j’ai avancé en âge [50 ans], il ne faut pas continuer à m’user davantage. Il faut maintenant essayer d’emmagasiner un peu d’énergie, en trouvant un travail intellectuel, qui ne demande pas beaucoup d’ef- forts physiques. (T15, 8 saisons)

Pour les travailleurs de passage, on vise à trouver un travail au moins aussi payant que la sylviculture, mais plus satisfaisant. Il y a toutefois divergence au sein de ce groupe quant aux moyens projetés pour y arriver ; deux stratégies se profilent, où elles peuvent être comprises comme des réponses différentes aux obstacles rencontrés lors de la recherche d’emploi présylvicole. La première consiste à rechercher un emploi dans son domaine de formation, alors que la deuxième met plutôt de l’avant une réorientation professionnelle.

Pour les tenants de la première stratégie, qu’on pourrait nommer de persistance, travailler dans son domaine de formation demeure un facteur important. Ils visent à occuper des emplois qu’ils considèrent être à la hauteur de leurs qualifications perçues, quitte à devoir retourner aux études pour les faire reconnaître par le marché du travail québécois et ses institutions.

Pour ceux qui adoptent la deuxième stratégie, qu’on pourrait qualifier d’adaptation, il s’agit plutôt de s’insérer sur le marché du travail d’abord et avant tout en fonction d’une évaluation des opportunités disponibles. Ils perçoivent leur domaine de formation comme étant trop difficile à introduire, ce qui les incite à se réorienter. La qualité des conditions de travail et l’ouverture des postes sont alors prédominantes. La volonté de trouver un emploi qui corresponde à leurs champs d’intérêt ou qui est plus satisfaisant n’est toutefois pas évacuée, sans quoi ils resteraient simplement eux aussi en sylviculture le plus longtemps possible.

Quand j’avais eu l’idée de retourner à l’école, je me disais : Qu’est-ce que je peux étudier ? Je regardais dans [un domaine similaire au mien] ; j’avais fait l’adminis- tration des affaires. Je [me disais :] «Je peux faire la comptabilité.» [Mais après, j’ai regardé] selon le marché du travail... La comptabilité, je voyais que c’est un peu booké, là... (T16)

Les plans de sortie

Une fois les conditions de sortie identifiées, les travailleurs élaborent un plan qui devrait leur permettre de les atteindre. Pour ceux qui souhaitent y rester à long terme, ce plan n’est développé que relativement tard dans le parcours et demeure flou. En outre, il ne vise pas une sortie, il tente plutôt de prévoir la suite. À l’opposé, pour ceux «de passage» qui considèrent leur présence en sylviculture comme temporaire, ce plan est élaboré et mis en branle relativement rapidement, parfois dès leur arrivée ; l’objectif est de quitter le plus rapidement possible. C’est ainsi que certains travailleurs se trouvent en recherche continue d’emploi tout au long de leur séjour sylvicole, traité comme un «plan B» qu’on est prêt à abandonner dès le moment où on trouve mieux.

Chaque année il essaie de trouver [en vain] un autre chemin. Il a même fait [les agences] de recherche d’emploi et tout ça. (Conjointe de T8)

Les efforts consentis à chercher un emploi ne modifient toutefois pas leur em- ployabilité, ou pour reprendre un concept présenté au premier chapitre, la position des travailleurs au sein des «files d’attente» du marché du travail. Bien qu’ils augmentent ce faisant les contacts avec différentes opportunités d’emploi, leur «valeur» perçue par les employeurs reste la même ; les chances de dénicher un emploi «qualifié» sont toujours relativement basses. En d’autres mots, les obstacles rencontrés lors de la recherche d’emploi présylvicole demeurent. Il faut alors trouver une façon de les contourner : soit on tente principalement de s’insérer dans des secteurs du marché du travail où on embauche dans de bonnes conditions (stratégie d’adaptation), soit on continue de chercher un emploi dans son domaine, quitte à recommencer une formation (stratégie de persistance).

À un certain moment, je serai obligé de faire une petite formation qui va me relancer sur le marché du travail. (T5)

Si je travaille dans la forêt, c’est pas la bonne expérience pour [trouver un emploi dans] mon domaine ! (T1)

Dans les deux cas, on arrive au constat suivant : (1) la formation antérieure n’est pas reconnue et chaque année qui passe risque au mieux de faire stagner, sinon de réduire leur valeur sur le marché du travail, et (2) l’expérience sylvicole risque peu de leur venir en aide s’ils souhaitent se trouver un autre emploi. Le plan de sortie prévoit donc des mesures pour augmenter leur employabilité, ce qui se traduit généralement par une quête de qualification.

Une quête de qualification

Non, c’est pas encore pour des années... Je commence déjà à ressentir [...] que je commence à m’affaiblir. Il ne faudrait pas que je passe tout mon temps dans la forêt. [...] Je pense suivre une formation cet hiver même. (T15)

La quête de qualification (projetée ou mise en œuvre) par les travailleurs sylvicoles immigrants rencontrés peut prendre diverses formes selon leurs projets professionnels et leurs contraintes : une formation courte, des études à plein ou à temps partiel.

La formation courte (par exemple un diplôme d’études professionnelles) est perçu comme permettant l’introduction rapide au sein du marché du travail et donc l’abandon tout aussi rapide de la sylviculture. Son «coût» est faible, étant donné qu’une courte formation n’exige pas un engagement à long terme, tout en donnant accès à un secteur perçu comme offrant des emplois satisfaisants.

Arrivé ici, tu peux pas t’aventurer. Faut que tu ailles l’expérience. Faut que tu ailles une formation d’ici. C’est pourquoi je compte faire ma formation mécanique à partir du mois de septembre, [ce qui me permettrait d’avoir] un diplôme d’ici. Je pourrais [alors] peut-être chercher dans mon domaine. (T2)

D’autres travailleurs planifient plutôt entreprendre des études à temps plein, soit pour se réorienter, soit pour revaloriser leurs qualifications sur le marché du travail.

Si [cette saison] finit bien, je pense que c’est l’année prochaine que je vais com- mencer à étudier. (T14)

On est en train de discuter avec ma femme [de la possibilité que je retourne aux études]. C’est une chose qu’on va discuter en large. [...] S’il s’agit de retourner à l’école, en tout cas, je voulais continuer avec [mon domaine de formation]. (T10)

Finalement, les études à temps partiel, ou l’alternance études-travail, offrent un compromis qu’ont adopté quelques travailleurs. Elles ont l’avantage de pouvoir être poursuivies en même temps que le travail sylvicole estival, tout en permettant d’obtenir à moyen terme un diplôme québécois. Elles ne sont toutefois pas accessibles à tout le monde, pour les raisons exposées ci-bas.

Quelque soit le plan élaboré, la plupart des participants n’ont pas identifié d’avenue évidente en ce qui concerne l’avenir de leur parcours professionnel. Plusieurs questions demeurent. Cesser ou continuer le travail sylvicole ? Quand ou pour combien de temps ? Étudier un peu, beaucoup ou pas du tout ? Il ne semble pas y avoir ni de consensus sur la marche à suivre, ni de formule miracle. C’est entre autres pourquoi dans plusieurs cas les travailleurs «prolongent leur séjour» sylvicole.