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3.1 Chercher un emploi

3.1.3 Obstacles

Peu après le début de la recherche d’emploi, les immigrants ont l’impression qu’ils font face à des obstacles. Ils vivent plusieurs échecs ou lorsqu’ils réussissent à trouver un emploi, il est insatisfaisant.

Deux obstacles semblent se dresser devant eux. Le premier, saillant dans leur dis- cours, concerne la (non-)reconnaissance de leurs qualifications. Le second, plus subtile et incertain, est celui de leur origine ethnique et de la discrimination dont elle pourrait être l’objet.

Être déqualifié

Plusieurs immigrants rencontrés dans le cadre de cette recherche ont l’impression que le marché du travail québécois est difficilement accessible parce que les postes sont (trop souvent) exigeants en capital humain. C’est particulièrement le cas pour les travailleurs fortement scolarisés, qui étaient majoritaires parmi les participants.

Condition minimale pour intégrer le secteur d’emploi correspondant à leur forma- tion, leur qualification doit être reconnue par le gouvernement ou le «système» qué- bécois. Or, la non-reconnaissance institutionnelle de leur diplôme les place dans une position de déqualification formelle. Conséquemment, la scolarité et les formations des travailleurs valent peu, voire rien du tout, pour les employeurs ; ils ne peuvent donc pas les embaucher en vertu de leur diplôme.

Cela entraine non seulement des difficultés de recherche d’emploi à court terme, mais motive aussi une réorientation du parcours professionnel à plus long terme. Au niveau subjectif, la déqualification contribue à l’émergence de sentiments de dévalorisa- tion. Les participants ont conclu de ces difficultés de recherche d’emploi qu’ils doivent se réorienter vers des métiers plus accessibles, souvent moins exigeants en qualification : des «petits métiers».

J’avais mon diplôme, oui, universitaire bien sûr, que j’ai fait [reconnaître] par des équivalences. On m’avait donné la première année collégiale. Avec ça, je pouvais pas travailler, je pouvais rien faire du tout. [. . . ] Je m’attendais à ce qu’on me donne une année à l’université pour pouvoir avoir mon diplôme. Mais en arrivant ici, là, j’étais déçu. [...] J’étais très choqué. Ça, ça m’avait vraiment bouleversé. [...] J’avais beaucoup regretté. Et moi je pensais vraiment [que c’était] ça qui allait déterminer ma vie ici. Ce diplôme-là. (T12,ingénieur)

Ici, malheureusement [...] les diplômes [étrangers] ne sont pas valorisés. J’ai déjà un diplôme, j’ai étudié à telle université. Ils ne vous croient pas. Ou ils vous croient, mais ne donnent pas la valeur vraiment à ce diplôme. Et vous, ça vous [donne] des petits métiers. (T15, informaticien)

En plus des problèmes de reconnaissance de leurs qualifications, plusieurs tra- vailleurs ont souligné que les employeurs étaient réticents à embaucher des personnes qui n’avaient pas d’«expérience québécoise». Cela place les nouveaux arrivants dans une situation qui n’est pas bien différente de celle des diplômés récents : ils cherchent à développer de l’expérience en décrochant un premier emploi... qu’ils risquent de se voir refusé étant donné qu’ils n’en ont pas. Ce cercle vicieux, qui dévalorise a priori l’expérience acquise à l’étranger et, par extension, la valeur de leur travail, entraine des sentiments d’indignation face à l’absurdité perçue de la chose.

[Même si je le voulais,] j’ai pas travaillé comme camionneur. [...] Ici, pour faire ce métier, tout le monde demande l’expérience. Mais, où tu peux faire l’expérience si [personne t’embauche ?] J’ai essayé d’aller avec un ami. Pour voir pratiquement ce qu’il faut faire dans ce métier. J’ai pas pu aller avec [lui], parce qu’il a parlé avec son employeur et il lui a dit qu’il peut pas prendre une autre personne dans le camion. (T8)

Les compagnies ici, là, exigent de l’expérience québécoise. Alors que nous autres, ce qu’il faut comprendre [...] nous sommes des nouveaux ici. Nous n’avons pas

d’expérience québécoise, nous autres. Mais nous avons l’expérience chez nous et puis nous sommes capables. [...] On voit que nous sommes capables de faire quelque chose, quelque chose qui est vraiment rentable. Alors, [...] quand tu appelles dans une compagnie, pis qu’ils te disent : «Est-ce que tu as une expérience québécoise ?» [... Tu réponds :] «Non, je n’ai pas d’expérience québécoise dans ce domaine-là. Justement, c’est pourquoi je demande [un emploi].» (T16)

Les obstacles rattachés à la reconnaissance ou la valorisation de la qualification peuvent sans doute expliquer à eux seuls bons nombres de problèmes vécus par les immigrants lors de la recherche d’emploi. Toutefois, plusieurs participants ont l’im- pression qu’un obstacle encore plus pernicieux est à la source de leurs problèmes : ils soupçonnent être victime de discrimination à l’embauche.

Être discriminé ?

Bien que plusieurs participants aient eu l’impression que la discrimination avait quelque chose à voir avec leurs difficultés de recherche d’emploi, aucun n’a pu pointer de mécanisme d’exclusion clair ou systématique. Pour désigner le phénomène, on em- ploie plutôt des formules indirectes, qui mettent l’accent sur l’avantage comparatif des Québécois d’origine ou l’ignorance des cultures étrangères. Cet «avantage» fait en sorte que les immigrants doivent faire plus d’effort pour être embauchés, ce qui est assimilé à une forme subtile de discrimination. En d’autres mots, les immigrants ont l’impression d’occuper une position défavorable a priori dans la file d’attente de l’embauche.

Si tu regardes bien, [...] nous les Noirs, ou tout autre immigrant qui n’est pas aussi Noir, on ne nous favorise pas pour le travail. Y’a quelque part une sorte d’exclusion [...] qui n’est pas tellement visible, mais qui est utilisée ici. [...] Si tu as [de la] chance, tu peux trouver [un emploi]. C’est pas tout le monde qui [exclut de la sorte], mais... Quelque part on le fait. On est bloqués comme ça. [...] Donc, la personne immigrante, qu’est-ce qu’elle va faire ? Elle doit tout faire. Pour se distinguer, pour bien faire le travail. Et c’est ça que l’employeur veut, je suppose. (T14)

Cette «pénalité ethnique» ne relèverait toutefois pas systématiquement de senti- ments négatifs envers les étrangers. Pour plusieurs participants, la perception négative que les employeurs auraient à leur égard proviendrait plutôt d’une ignorance de leur pays d’origine et de leur réalité.

Les gens ne connaissent pas les immigrants. Ils hésitent à les prendre. C’est une vérité, ça. C’est une vérité. Je veux dire, à compétence égale, le gars, il va aller vers le Québécois. Au moins, il connait le Québécois. Il sait c’est quoi, comment dealer avec un Québécois. (T6)

Ici au Québec, on a tendance à croire que les immigrants ne sont pas formés, ou bien qu’ils ne sont pas capables de grandes choses. [...] Ça serait malheureux si [...] certains employeurs [...] continuent toujours à penser comme ça, comme quoi un immigrant ne peut pas être responsable de quelque chose, de rendre un service. Il y en a même qui vous rencontrent et qui disent : [...] -«Tu parles français ? Je vous ai entendu parler en français. Est-ce que tu parles français ?» Je dis oui. «Tu as appris ça où ?, ils te demandent. Tu es arrivé ici quand ?» -«Je suis arrivé ici il y a trois mois.» -«Et c’est dans trois mois que tu as appris le français ?» Ils croient qu’il n’y a même pas d’école [en Afrique]. Ils croient qu’il y a une langue africaine là-bas. (T15)

Si certains travailleurs immigrants rapportent avec certitude une forme de discri- mination subtile, mais présente, d’autres ont des propos plus mitigés et incertains à cet endroit. La discrimination apparait comme une éventualité floue, une explication qu’on aimerait idéalement rejeter, mais qu’on ne peut se résoudre à ignorer complètement.

Chaque fois je me [dis] : «[Ceux] qui sont retenus dans une compagnie, eux là, qu’est-ce qu’ils ont là, de plus que moi ?» [...] Tu vois, ce sont des idées, des questions qu’on se pose souvent. On est tous des nouveaux. Je suis aussi nouveau, comme lui. «Pourquoi moi je ne suis pas retenu ?» Des trucs comme ça. On se pose toutes sortes de questions.

-LPB : Est-ce que tu penses que c’est parce que tu es Noir qu’ils t’engagent pas ? -T12 : Je ne peux pas dire ça non plus. Je ne peux pas exclure cette option non plus. Donc, même jusqu’à présent je me demande toujours : Mais pourquoi, pourquoi, pourquoi ? Oui. Je sais pas. Pas de réponse. (T12)

La combinaison des obstacles et des échecs rencontrés lors de la recherche d’emploi, et la discrimination perçue par certains mènent les immigrants à repenser le déroulement futur de leur parcours professionnel. Face à l’exclusion ressentie de la part d’une bonne partie du marché du travail québécois, ils en viennent à évaluer les différentes avenues qu’il leur reste.