• Aucun résultat trouvé

1.2 L’industrie forestière et la main-d’oeuvre

1.2.3 Main-d’oeuvre et travail sylvicole

La sylviculture repose sur une grande diversité de tâches, de capacités et d’ins- truments. Cette section présente les principales opérations sylvicoles qui concernent les travailleurs immigrants, décrit leur organisation et leurs conditions de travail et met en contexte la question de la «crise» de la main-d’oeuvre sylvicole.

Opérations sylvicoles

La plantation et le débroussaillage sont deux métiers23 parmi les rares en foresterie qui, dans un contexte de «mécanisation de plus en plus généralisée des opérations forestières», sont encore essentiellement manuels. (CSMOAF, 2004, 6)

Généralisé par l’introduction d’une obligation d’aménagement dans les contrats forestiers, «le débroussaillage n’a acquis [...] un certain sens qu’au milieu des années

21. Techniquement, le «débroussaillage», compris comme nettoiement du sol, réfère à un travail syl- vicole distinct de l’éclaircie pré-commerciale. Elle fait précisément référence à la coupe non-commerciale des arbres préalablement plantés. On détermine alors quel arbre «encourager» ; les autres sont coupés. Étant donné que les deux travaux sont effectués par les mêmes travailleurs, qui sont désignés comme des «débroussailleurs», et qu’ils sont effectués par le même outil, la «débroussailleuse», le terme «dé- broussaillage» réfère en ces pages à toutes ces activités indistinctement.

22. Pour une évolution détaillée de la situation des débroussailleurs, voirCSMOAF, 2004.

23. Le troisième métier manuel d’importance, l’abattage manuel d’arbres, relève de l’exploitation commerciale de la forêt, avec les conditions propres à ce milieu, et est donc ici laissé de côté.

1980.» (Ibid., 5) Depuis 2004, le débroussaillage est reconnu par le gouvernement comme un métier effectué dans des activités d’aménagement forestière et de sylviculture. (Ibid.) L’ouvrier sylvicole débroussailleur (ou simplement débroussailleur), «emprunte son nom à l’outil avec lequel il réalise ses travaux : la débroussailleuse.» (Ibid., 15) Le débrous- saillage ne fait l’objet d’aucune reconnaissance officielle de formation. (Ibid., 9) On considère généralement qu’il s’agit d’un travail «peu qualifié», où c’est «le rendement du travailleur [qui] fait foi de sa compétence.» (Ibid., 9)

Bien qu’il ne fasse pas l’objet de l’énonciation d’une norme de métier par le minis- tère de l’emploi du Québec, comme le débroussaillage, le reboisement est inscrit dans la liste des métiers semi-spécialisés du ministère de l’Éducation, de l’Enseignement su- périeur et de la Recherche. (MEER, 2013) Selon leur définition, le reboiseur est une personne qui «travaille pour un entrepreneur en travaux forestiers, une société d’amé- nagement forestier, une coopérative forestière, un groupement forestier ou un conseil de bande» et qui «met en terre des petits plants de résineux [ou de] feuillus.»

De manière générale, les deux métiers partagent plusieurs caractéristiques com- munes quant à leur organisation et les conditions en milieu de travail.

Organisation et conditions de travail

Le travail sylvicole s’effectue principalement en région éloignée des villes et des villages. (CSMOAF, 2004, 7) Étant donné cet éloignement, un grand nombre de tra- vailleurs ne résident pas dans leur domicile lors de la saison et sont plutôt hébergés directement sur les lieux de travail, dans un camp forestier. (Bouliane et al., 2002 in

CSMOAF, 2004, 7) Le transport vers les camps forestiers est généralement sous la res-

ponsabilité des travailleurs eux-mêmes, mais certaines entreprises offrent des services de navette depuis les centres urbains. Au sein même des camps, certaines entreprises offrent un transport par autobus des travailleurs vers les lots de travail (à planter ou débroussailler), alors que d’autres laissent aux employés la responsabilité de s’équiper de véhicules adéquats pour ces conditions routières.

Depuis quelques années, le travail sylvicole est encadré par une norme issue de l’industrie (élaborée en collaboration par l’AETSQ, la FQCF et le RESAM), soit les Pratiques de gestion des entreprises sylvicoles (PGES). Comme l’indique le site internet du Bureau de Normalisation du Québec, «ce programme cible [...] le travail au noir, la non-conformité de la sous-traitance en cascade, le non-respect des règles de santé et de sécurité au travail ainsi que le manque de transparence envers les travailleurs et

accorde une grande importance à la qualité des travaux.» (BNQ 2015) Cette norme prévoit entre autres des conditions minimales à respecter pour l’hébergement et les installations sanitaires, et des mesures de sécurité et de prévention.

La rémunération des travaux est forfaitaire et à la productivité (Comité sectoriel

de main-d’oeuvre en aménagement forestier, 2004, 7), et est attribuée en fonction du

nombre de plants mis en sol ou de surface débroussaillée (en hectares).24 Le calcul des taux varie selon les types de travaux effectués25 et de l’état du terrain. Plus un terrain est «beau» (moins d’obstacles, de dénivelés, etc.), plus on considère qu’il est facile, et donc rapide, à traiter. La rémunération à la pièce est alors moindre, et vice versa. La valeur des travaux contractés est versée à l’entrepreneur par Rexforêt en fonction d’une grille de calcul (VoirBureau de mise en marché des bois,2015) ; la rémunération de ses employés est à sa discrétion. Dans un sondage tenu auprès des employeurs en 2012, les salaires hebdomadaires médians des débroussailleurs et des reboiseurs étaient de 900$ et 815$. De plus, respectivement 26% et 17% déclaraient verser des salaires de plus de 1000$ par semaine, plaçant les travailleurs sylvicoles en position avantageuse par rapport au salaire médian de l’ensemble des travailleurs Québécois, qui se situait en 2012 à 713$.(Institut de la statistique du Québec,2015)

Deux types de contrat de travail sont présents au sein des entreprises. Certains ouvriers sylvicoles sont embauchés comme des travailleurs autonomes (ou entreprise unipersonnelle juridiquement constituée), alors que d’autres sont directement salariés des entreprises. Le PGES prévoit toutefois qu’un maximum de 50% de la valeur des contrats des travaux soit effectués par sous-traitance, incluant les entreprises uniperson- nelles juridiquement constituées, ce qui risque de faire augmenter le nombre de salariés au sein des entreprises. Dans tous les cas, les contrats sont temporaires, soit la durée d’une saison. Le type de contrat de travail a des impacts importants, notamment sur l’éligibilité aux programmes gouvernementaux, dont l’assurance-emploi à laquelle seuls les salariés ont droit.

24. En 2012, respectivement 80% et 88% des employeurs ont affirmé rémunérer au rendement leurs employés débroussailleurs ou reboiseurs. (BIP, 2012, 24)

25. Bien que l’on désigne ces emplois par «plantation» et «débroussaillage», la nature des tra- vaux varie selon les traitements sylvicoles appliqués. En débroussaillage, il peut s’agir par exemple de nettoiement, d’éclaircie précommerciale ou d’élagage.

Saisonnalité et assurance-emploi

Étant donné sa nature saisonière, l’assurance-emploi fait partie intégrante de la dynamique du marché du travail sylvicole.26 La sylviculture québécoise est organisée autour d’un horaire de travail intensif, concentré entre les mois de mai et novembre : jusqu’à la fin de l’été pour la plantation et jusqu’à la tombée de la neige pour le débroussaillage. Pendant la «saison morte», les travailleurs qui ont cumulé un nombre suffisant d’heures de travail touchent des prestations d’assurance-emploi, ce qui leur assure un revenu complémentaire.

Une bonne partie des ouvriers sylvicoles y a recours27 et il est largement admis, incluant par les acteurs institutionnels, que les emplois sylvicoles devraient permettre d’y avoir accès.28

La durée moyenne de la saison de débroussaillage a diminué au cours des dernières années. La norme professionnelle produite par le Comité sectoriel de main-d’oeuvre en

aménagement forestier (2004) indique 20 semaines par année, alors que celui du Chan-

tier sur la saisonnalité (2010) parle de 16 semaines, comparativement aux 24 semaines

qui étaient la norme 10 ans auparavant. (Ibid.) Une diminution accentuée de la lon- gueur des saisons qui rendrait inéligible les travailleurs ou une exclusion expresse de la sylviculture au programme d’assurance-emploi alimenteraient sans aucun doute la crise de la main-d’oeuvre sylvcole.

Crise (ou «pénurie») de main-d’oeuvre sylvicole

Les questions du recrutement et de la rétention de la main-d’oeuvre sylvicole sont parmi les principales préoccupations des acteurs du secteur depuis plusieurs années. De manière générale, il est largement admis que les conditions de travail atypiques (travail saisonnier, éloigné, manuel, rémunéré à la performance) et la précarité à laquelle elles mènent rendent le secteur peu attrayant29 (Comité interministériel, 2001). Ce constat se poursuit lors de la publication de la norme professionnelle pour le métier de débrous-

26. Seuls les postes d’ingénieur, de mesureur et de techniciens ne sont pas nécessairement saison- niers ; la totalité des postes de débroussailleurs et de reboiseurs le sont. (BIP, 2012)

27. Bien que cela ne soit pas une mesure directe du taux de travailleurs qui y ont accès, le rapport Bouliane indique que seulement 40% des travailleurs ont un emploi secondaire en 2000. (Bouliane et al.,

2002in Comité sectoriel de main-d’oeuvre en aménagement forestier,2004)

28. Dans son rapport de 2010, le Chantier sur la saisonnalité remarque par exemple que «dans certains cas, comme au Saguenay–Lac-Sait-Jean, la période de travail n’est plus assez longue pour atteindre l’éligibilité à l’assurance-emploi.» (Chantier sur la saisonnalité,2010)

29. Voici la liste complète des facteurs identifiés : «rémunération nette faible, normes minimales de travail, saisonnalité, endurance physique, risque élevé d’accidents au travail, éloignement et absence prolongée du foyer, travail à forfait pour les travailleurs inexpérimentés, dépenses d’emploi souvent non

sailleur en 2004, où on peut lire qu’un «manque réel de relève [dans le secteur] se traduit par l’augmentation continue de la moyenne d’âge des travailleurs.» (Comité sectoriel de

main-d’oeuvre en aménagement forestier, 2004, 8) La non-reconnaissance des compé-

tences, à laquelle on a tenté de palier en publiant cette norme professionnelle, mènerait à une faible reconnaissance socioéconomique de l’ouvrier sylvicole et une dévaluation du métier. Ces différents éléments expliqueraient en partie les difficultés de rétention des travailleurs et participeraient ainsi à l’exacerbation de la «crise de la main-d’oeuvre sylvicole».

Plusieurs de ces problèmes ont été ciblés par les acteurs du secteur sylvicole, dont la reconnaissance des compétences professionnelles (Voir Comité sectoriel de main-

d’oeuvre en aménagement forestier, 2004) et les conditions de travail (par le PGES).

Certains ont quant à eux été davantage ignorés, comme la question de la rémunération, qui demeure une prérogative des employeurs. Finalement, d’autres sont impossibles à régler complètement de par la nature même des travaux, comme sa saisonnalité ou son isolement, ce qui rend difficile la conciliation travail-famille.

Un sondage de 2012 commandé par le CSMOAF indique que le recrutement de la main-d’oeuvre sylvicole est toujours difficile. Même si les postes de reboiseur et de débroussailleur sont les plus faciles à combler, leur recrutement demeure tout de même «difficile» ou «très difficile» pour respectivement 61% et 76% des entreprises. (Bureau

d’interviews professionnels, 2012, 39) Ce sont également ces postes qui constituent la

majorité de la main-d’oeuvre et qui connaissent le plus haut taux de roulement (Ibid., 33) ; le travail de recrutement est ainsi constamment à recommencer.

Dans un rapport de 2014 portant sur les effets de l’introduction d’appels d’offre dans l’industrie forestière au Québec, l’auteure relate que ceux-ci auraient réduit la valeur des contrats de travaux sylvicoles jusqu’à 20% sous le taux de la grille établie par le BMMB. Plusieurs acteurs s’inquiètent que cette pression accrue ne mène à une éventuelle diminution des salaires des travailleurs pour ces contrats obtenus par appel d’offre (Têtu, 2014, 35), ce qui pourrait avoir comme conséquence d’exacerber la crise. Malgré les difficultés de recrutement, l’utilisation du terme «pénurie» est générale- ment évitée, notamment parce que les travaux sylvicoles sont tout de même réalisés en bonne partie, ou en totalité, à chaque année. (Comité interministériel, 2001) Le terme

compensées, métiers peu valorisés socialement, peu de reconnaissance des compétences professionnelles, secteur d’activité qui offre peu de sécurité d’emploi, etc.» (Comité interministériel,2001, 4)

de «crise» est plutôt employé pour désigner la difficulté de recrutement.30 Une excep- tion récente à cette règle s’observe dans le rapport du Chantier sur les améliorations à apporter à la mise en oeuvre du régime forestier, dans lequel on n’hésite pas à dire que le «nouveau régime forestier s’inscrit dans un contexte de pénurie de main-d’oeuvre forestière» et qu’il faut «offrir des conditions acceptables pour assurer la rétention [des] travailleurs.» (Têtu, 2014, 35) Ces recommandations font écho à celles de 2001, où on avait alors constaté que «malgré des hausses successives des taux [offerts aux entreprises pour les travaux], les conditions de rémunération des travailleurs semblent avoir peu changé, la hausse des crédits versés n’impliquant pas nécessairement une hausse des salaires.» (Comité interministériel, 2001, 47) De manière générale, disent ces rapports, il faut s’assurer que les conditions de travail soient suffisamment intéressantes pour continuer d’attirer et de retenir les travailleurs en sylviculture et en foresterie.

Pour mieux comprendre ce qui les y attirerait (ou non), il faut maintenant se poser la question : qui sont ces travailleurs et d’où viennent-ils ?