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Chapitre 1 – Introduction

1.5 Potentiel des phosphinites comme groupe directeur pour la fonctionnalisation

Les ligands phosphorés ont généralement une bonne affinité pour les métaux de transition, mais ont surtout été utilisés comme ligands dans les précurseurs de complexes des late transition

metals. Les phosphines ont largement été employées comme ligands de support en catalyse

organométallique, et sont dans certains cas capables de donner des intermédiaires cyclométallés. Cependant, leur intérêt comme groupe directeur serait limité à la synthèse d’autres phosphines fonctionnalisées, puisque le phosphore est difficilement détachable des substituants alkyles/aryles par des méthodes douces. À l’inverse, les ligands phosphorés portant des liens phosphore-oxygène sont d’un intérêt supérieur puisque le lien P-O peut être clivé par hydrolyse (ou alcoolyse) afin de relâcher le substituant alcool (Schéma 1.53). Ainsi, l’étude de ces ligands comme groupes directeurs dans la fonctionnalisation des substrats organiques (en particulier des alcool) est davantage justifiée.

Schéma 1.53. Réactions d'hydrolyse et d’alcoolyse des phosphinites et des phosphites.

Historiquement, les premiers ligands phosphoré portant des liens P-O qui ont démontré une aptitude à la cyclométallation sont les phosphites P(OR)3. À la fin des années 1960, G. W. Parshall

isole des complexes possédant une phosphite cyclométallée de ruthénium (Schéma 1.54) et de rhodium, et lui permet de rationnaliser certaines réactions observées avec le cobalt (Schéma 1.55).105 En effet, lorsque la triphénylphosphite est chauffée avec des complexes hydrures de CoI

ou de RuII en présence de deutérium moléculaire, les positions ortho des fragments phényles se

trouvent à avoir incorporé le deutérium, impliquant une ortho-métallation des ligands phosphites, suivi d’échanges H/D. Le complexe de ruthénium permet même la deutération catalytique des positions ortho des phénols, par substitution des fragments C6D2H3O- par les fragments non réagis

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Schéma 1.54. Isolation de phosphites cycloruthéniées et leur implication dans l’ortho-deutération des phénols.

Schéma 1.55. Mécanisme proposé pour l’ortho-deutération des phopshites promues par le cobalt.

Plus tard, en 1986, L. N. Lewis montrera que quand les complexes de ruthénium(II) possédant un ou deux ligands triphénylphosphite cyclométallées sont chauffées en présence d’éthylène ou de propylène, les substituants Ph des ligands incorporent des substituants Et et i-Pr, respectivement, avec une sélectivité pour la position ortho (Schéma 1.56). Les auteurs proposent que l’insertion des alcènes dans le lien carbone-ruthénium mène à un métallacycle instable, qui joue le rôle de base dans la cylométallation d’un autre ligand phosphite. Les auteurs montrent également que ces mêmes complexes réagissent avec le styrène par insertion dans le lien carbone- ruthénium mais que les réactions d’insertion s’enchainent afin donner lieu à un polymère.

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Schéma 1.56. Mécanisme proposé pour l’ortho-alkylation des phosphinites.

Plus tard, de nombreux complexes contenant des phosphites cyclométallées ont été isolés et caractérisés, mais rarement utilisés pour des processus de fonctionnalisation stœchiométrique ou catalytique du lien carbone-métal. Un exemple est le dimère de palladium portant une phosphite cyclométallée, pour lequel la présence d’un lien C-Pd favorise l’activation du catalyseur pour les couplages croisés. Cependant, il a été démontré plus tard que son homologue portant, cette fois ci, une phosphinite (ROPR’2, R’ = Aryle) cyclopalladée augmentait l’efficacité de la catalyse dans le

couplage de Suzuki (Schéma 1.57).106 Les aryle-phosphinites, ayant toujours la capacité de

cyclométaller le fragment OAr, sont en effet de meilleurs donneurs en raison des deux substituants carbonés (aryles ou alkyles) du phosphore, bien que dans ces réactions, le ligand cyclométallé n’est pas le substrat de la fonctionnalisation.

Schéma 1.57. Mécanisme d’activation des catalyseurs de palladium basés sur des phosphi(ni)tes cyclométallées.

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Cependant, la capacité des phosphinites à échanger les fragments alcoolate sur le phosphore a permis diverses réaction catalytiques pour la fonctionnalisation des alcools, la métallation et la régiosélectivité de celle-ci étant gouvernée par la formation de phosphinites cyclométallées. Dans ce domaine, c’est le rhodium qui a surpassé tous les autres métaux de transition, à commencer par les travaux de R. B. Bedford qui a révélé en 2003 une réaction catalytique d’ortho-arylation des phénols.107 Dans cette publication, le catalyseur de Wilkinson est additionné d’un ligand

phosphinite comme co-catalyseur et permet l’arylation sélective des phénols en position ortho, par des bromures d’aryle. Le mécanisme proposé (Schéma 1.58) consiste en l’addition oxydante de l’halogénure d’aryle sur le précatalyseur de RhI, suivi de l’ortho-métallation du ligand phosphinite

sur le centre RhIII puis de l’élimination réductrice menant au ligand phosphinite fonctionnalisé par

couplage C-C. Ce dernier peut ensuite s’échanger avec un autre phénol par trans-estérification sur le phosphore et libérer le phénol fonctionnalisé.

Schéma 1.58. Mécanisme proposé pour l’ortho-arylation des phénols de R. B. Bedford.

Cette stratégie est très avantageuse car non seulement le métal, mais aussi le groupe directeur est utilisé en quantité catalytique puisqu’il se greffe et se détache du substrat de manière réversible dans le milieu réactionnel. En effet, les groupes directeurs qui se greffent au substrat tels que les 8AQ exploitées par N. Chatani ou les pyrazines exploitées par L. Ackermann ne sont pas utilisés en quantités catalytiques car ils ne peuvent s’échanger dans le milieu réactionnel. Deux

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étapes supplémentaires pour la fonctionnalisation sont donc à compter : le greffage du DG au substrat avant le processus catalytique et la déprotection du substrat, qui nécessite d’ailleurs des conditions rudes qui ne conviennent pas à de nombreux groupes fonctionnels (Schéma 1.59).

Schéma 1.59. Réactions de greffage du DG et de déprotection du substrat requises pour divers processus catalysés par le nickel.

La stratégie de R. B. Bedford a ensuite été appliquée à différents processus catalytiques pour la transformation des alcools aromatiques tels que l’ortho-alkylation intermoléculaire par des alcènes (R. G. Bergmann et J. A. Ellman, 2005;108 D. J. Cole-Hamilton, 2006)109 ou encore en

version intramoléculaire menant à des composés cycliques (R. G. Bergmann et J. A. Ellman) (Schéma 1.60). Elle s’est également étendue aux alcools aliphatiques, en particulier les alcools homoallyliques qui produisent en présence de CO et de H2 des acétals cycliques, eux même

convertis en lactones par oxydation (B. Breit, 2008, Schéma 1.61).110

Schéma 1.60. ortho-alkylations inter- et intra-moléculaires des phénols catalysées par le rhodium, en utilisant un phosphinite comme DG.

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Schéma 1.61. Procédé d’hydroformylation des alcools homoallyliques couplée à la cyclisation menant à des cétals cycliques.

Ces transformations utilisant le rhodium démontrent la stabilité des phosphinites face à certains procédés, mais peuvent difficilement être transposées aux métaux 3d dans les mêmes conditions car les étapes de coordination/insertion sont beaucoup plus favorables avec les métaux lourds; En conséquence, aucun rapport ne dévoilait à ce jour de transformation catalysées par les métaux 3d assitée par un groupe directeur de type phosphinite. Cependant les travaux de D. Zargarian en 2014 sur les phosphinites cyclonickellées (hormis pincers) ont permis d’offrir une preuve de concept au point de vue stœchiométrique, en montrant que la cyclonickellation des phosphinites par métallation directe C-H était accessible, et que les liens C-Ni pouvaient générer des phénols dérivatisés. Cette étude constitue le point de départ de l’étude présentée dans cette thèse sur la cyclonickellation des phosphinites dérivées des alcools aromatiques.

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