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Chapitre 1 – Introduction

1.1 La liaison Carbone-Métal

La liaison carbone-métal (C-M) constitue le point central de la chimie organométallique qui étudie sa formation et sa réactivité. Plusieurs stratégies sont disponibles afin de former ces types de liens. Les métaux alcalins et alcalinoterreux ont une énergie d’ionisation qui est très faible et perdent facilement l’électron (les électrons) de leur orbitale s.1 Les mécanismes les plus courants

impliquent donc l’oxydation du métal accompagné de la réduction d’un lien carbone-halogène (échange métal/halogène) ou d’un lien carbone-hydrogène (déprotonation).2 Parmi les métaux les

plus courants, on trouve le lithium et le sodium comme représentants du groupe I et le magnésium comme représentant du groupe II, pour donner respectivement des composés organolithiens, organosodiques et organomagnésiens (ou réactifs de Grignard, ce dernier étant co-lauréat du prix Nobel de chimie en 1912). On propose généralement un mécanisme réactionnel commençant par un transfert d’électron (single electron transfer = SET, Schéma 1.1).

Schéma 1.1. Exemples de synthèse de composés organométalliques des groups I et II par métallation directe.

D’autres stratégies de formation des liens carbone-métal sont des métathèses impliquant un carbone déjà métallé. Un des exemples est la transmétallation, c’est-à-dire l’échange avec un autre métal déjà oxydé généralement contrebalancé par un halogène/pseudohalogène (Schéma 1.2). Un

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autre exemple est l’échange métal/halogène, le plus souvent échange lithium/halogène, qui implique l’échange de l’ion Li+ entre un organolithien et un halogénure organique.

Schéma 1.2. Exemples de synthèse de composés organométalliques par transmétallation.

Dans les deux groupes, la liaison C-M est fortement polarisée ce qui rend le carbone très réactif et généralement nucléophile. Aussi, l’absence de contribution des orbitales d à la liaison chimique limite les types de réactions possibles et les organo-lithiens, -sodiques et -magnésiens sont des bases fortes ou des nucléophiles puissants (Schéma 1.3).3

Schéma 1.3. Réactivité des composés organométalliques des groupes I et II.

Lorsqu’on passe aux métaux de transition, pour lesquels les orbitales d sont mises à contribution, de nouvelles voies s’ouvrent en termes de stratégies de formation de liens carbone- métal mais également en termes de réactivité.4 Les méthodes d’échange métal/halogène et de

déprotonation sont toujours valables pour les métaux de transitions à un bas état d’oxydation, en particulier pour les métaux de la gauche du bloc d (early transition metals, groupes III-VII) car leur énergie d’ionisation est plus faible. Quant à la transmétallation, elle est commune à tous les métaux de transition et se fait généralement à partir de composés organométalliques des métaux alcalins et alcalino-terreux (en particulier le lithium et le magnésium). Lorsqu’on s’approche des métaux plus à droite du bloc d (late transition metals), de nouvelles stratégies voient le jour. On

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notera par exemple l’addition oxydante concertée (Schéma 1.4) qui se fait le plus souvent par réaction avec des substrats portant des liens C-H ou C-X (X = halogène ou pseudohalogène) ou par substitution nucléophile sur des substrats portant des liens C-X moins encombrés (par ex. sur des carbones sp3 peu encombrés, Schéma 1.5).

Schéma 1.4. Orbitales impliquées dans le processus d’addition oxydante concertée.

Schéma 1.5. Exemples de réactions d’addition oxydante sur les métaux de transition.

Ces réactions sont favorisées par l’oxydation du centre métallique dans des espèces à bas état d’oxydation, et sont facilitées par la coordination des liens C-H ou C-X au métal par donation σ accompagnée d’une rétro-donation π dans l’orbitale anti-liante du lien C-H/C-X. D’autres stratégies de formation de liens C-M, particulièrement pour les late transition metals sont appelées la métallation directe des liens C-H, qui ne modifie pas l’état d’oxydation du centre métallique. Ces procédés sont favorisés par la coordination du carbone au métal, ce qui décroit la densité électronique dans le lien C-H et permet l’éjection d’un proton en même temps que le lien C-M est formé. Ces réactions sont souvent, mais pas toujours, facilitées par la présence d’une base qui capte

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le proton,5 et constituent la classe des réactions de Métallation-Déprotonation concertée (assistée

par une base) ou (base-assisted) concerted metalation-deprotonation (CMD, Schéma 1.6). Schéma 1.6. Représentation du mécanisme CMD par le palladium.

Avec les métaux de transition, qui sont plus électronégatifs que dans les organo-lithiens et -magnésiens, les liens C-M sont moins polarisés et plus robustes. En conséquence, le carbone est moins basique et nucléophile, ce qui permet d’ouvrir de nouvelles réactivités autour du lien carbone-métal. Par exemple, la contribution des orbitales d à la liaison chimique et le fait que le la sphère de coordination autour du métal peut être plus étendue permet de lier des molécules comme le monoxyde de carbone (CO), ou encore des molécules insaturées telles que les oléfines ou les alcynes. Ces dernières peuvent, par exemple réagir avec les liens C-M et M-H par insertion migratoire, et ces réactions ont été largement exploitées dans la synthèse des polymères telles que le polypropylène (insertions successives d’unités propylène, Schéma 1.7)6 ou le polyacétone

(insertion en alternance d’unités éthylène et CO, Schéma 1.8).7

Schéma 1.7. Mécanisme de polymérisation du propylène par un complexe cationique de zirconium.

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Schéma 1.8. Mécanisme de co-polymérisation du CO et de l’éthylène par un complexe cationique de palladium.

Les réactions inverses sont également une des particularités des métaux du bloc d : lorsqu’un ligand hydrocarboné est insaturé et possède des hydrogènes ou des groupes alkyles en position β, ces derniers peuvent migrer sur le métal par élimination β-H ou β-alkyle, respectivement, pour donner une oléfine et un hydrure métallique (M-H) ou un lien C-M. Ces réactions constituent généralement l’élément de terminaison dans la croissance des chaines de polymère, ou dans les cycles catalytiques de couplages (Schéma 1.9).2 Finalement, lorsque le

carbone lié au centre métallique est un carbène (généralement carbène de Schrock), ce lien carbène- métal peut réagir avec un autre alcène dans une réaction de métathèse (Schéma 1.10).8 L’état

d’oxydation du métal reste constant dans ce procédé, et cette découverte a valu à R. Grubbs le prix Nobel de chimie en 2005.

Schéma 1.9. Terminaison de la chaine en croissance du polypropylène par éliminations β- Hydrure ou β-Alkyle.

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Schéma 1.10. Représentation du mécanisme de métathèse des oléfines.

En raison de leur capacité à changer d’état d’oxydation facilement, les réactions inverses de l’addition oxydante sont également une particularité des métaux de transition, en particulier pour les métaux du milieu et de la droite du bloc d. Ces réactions sont plus facilement réalisées entre deux ligands carbones, deux ligands hydrures ou encore un ligand carbone et un hydrure. Ces propriétés ont été largement exploitées dans les couplages croisés entre des (pseudo)halogénures d’aryle/alkyle et d’autres espèces organométalliques (organo-cuprates, -magnesiens, -stannanes, - boranes, -zinciques) ou des carbonyles α,β-insaturés (Schéma 1.11). Ces réaction impliquant le nickel ou le palladium comme catalyseurs, ont été développées et nommées respectivement après K. Sonogashira, M. Kumada, J. K. Stille, A. Suzuki, E. Negishi et R. Heck, et a valu à ces trois derniers d’être les lauréats du prix Nobel de chimie en 2010. Plus récemment, des couplages entre des carbones et de hétéroatomes pour donner des liens C-N ou C-O, autant avec le palladium comme dans les couplages étudiés par S. L. Buchwald et J. F. Hartwig, où les états d’oxydation Pd0, PdII et PdIV sont généralement invoqués, qu’avec le nickel qui nécessite souvent la présence

d’un photo-cocatalyseur comme dans les réactions étudiées par D. W. C. MacMillan, où l’on invoque plutôt des états d’oxydation Ni0, NiI, NiII et NiIII.

Schéma 1.11. Représentations des mécanismes de couplage C-C ou C-N par le palladium.9,10

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Tous ces types de couplages nécessitent généralement un substrat portant un lien C-X afin de former le lien carbone-métal réactif. Cependant, les procédés ne requérant que la présence d’un lien C-H pour générer le lien carbone-métal et obtenir un produit à plus haute valeur ajoutée sont vus comme des cibles majeures en chimie organométallique. En effet, la fonctionnalisation directe des liens C-H est avantageuse à plusieurs égards : les substrats organiques peuvent être utilisés directement nécessiter transformation des liens C-H en liens C-X plus activés, les substrats hydrocarbonés sont moins couteux que leurs parents halogénés et l’absence d’halogénures rend le processus plus écologique, en accord avec les grands axes de la chimie verte qui cherche à éviter les substrats organohalogénés.11

Pour réaliser ces procédés de fonctionnalisation directe des lien C-H, les métaux seconde et troisième rangée du bloc d ont été plus largement étudiés, mais l’utilisation de leurs homologues de première rangée, qui sont plus abondants, suscite de plus en plus d’intérêt.12 Non seulement

l’utilisation du nickel à la place du palladium ou du platine est très avantageuse économiquement, mais les métaux du bloc 3d ont des réactivités différentes et complémentaires à celles de leurs homologues plus lourds. Alors que le palladium réalise plutôt des changements d’état d’oxydation à deux électrons (i.e. Pd0, PdII et PdIV), le nickel a une facilité à produire les états d’oxydation

intermédiaires par SET (i.e. Ni0, NiI, NiII, NiIII et NiIV), ce qui permet d’ouvrir de nouvelles voies

de transformations.

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