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Chapitre 1 – Introduction

1.2 Fonctionnalisation directe des liens C-H par catalyse au Ni

1.2.2 Nécessitant des groupes directeurs

Lorsque les liens C-H ne sont pas suffisamment activés ou acides, leur fonctionnalisation par catalyse au nickel requiert généralement l’emploi d’un groupe directeur qui est greffé, de manière réversible ou non, sur le substrat. Le groupe directeur (directing group ou DG) est généralement un groupe fonctionnel nucléophile qui se lie au métal afin de rapprocher le lien C-H d’intérêt du centre métallique et de faciliter le bris de ce lien, afin de donner un intermédiaire cyclique. Cette stratégie a deux avantages : d’une part elle abaisse l’énergie d’activation pour la formation du lien Carbone-Métal car la métallation devient alors unimoléculaire (facteurs entropiques favorables), et d’autre part elle permet de contrôler la régiosélectivité de la métallation car elle impose des conditions stériques pour la formation d’un métallacycle. En effet, on a vu que dans les réactions impliquant des aromatiques polyfluorés, l’activation C-H est dirigée vers le site

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portant le maximum de substituants fluors en ortho; mais dans la métallation des azoles, il n’y a en réalité qu’un seul site réactif qui est la position 2. Si l’on souhaite réaliser la fonctionnalisation des liaisons C-H non-activées (i.e. liens Csp²-H d’oléfines ou d’arènes non fluorés ou liens Csp³-H de

substrats aliphatiques) où plusieurs sites sont de caractère électronique semblable, l’utilisation d’un groupe directeur s’avère cruciale pour diriger la réaction vers un seul produit. Les DG se différencient surtout par leur denticité, qui correspond au nombre d’atomes du groupe qui se lient au centre métallique afin de réaliser la métallation du substrat qui les porte.

Les groupes directeurs monodentés mènent donc à une espèce cyclométallée (portant le lien carbone-métal) bidentée. Parmi ceux-ci, les azines se sont révélées efficaces pour la fonctionnalisation C-H catalysée par le nickel. Certains articles reportent l’efficacité de ces groupes directeurs pour la fonctionnalisation des liens C-H par addition oxydante à partir de complexes de Ni0. Par exemple, en 2013, L. Ackermann reportait la transformation des anilines en indoles par

annulation en présence d’alcynes catalysée par Ni(cod)2 (Schéma 1.16).25 Pour ce faire l’azote de

l’aniline est muni du groupe directeur 2-pyrimidyl qui permet de lier le nickel afin de réaliser l’activation C-H en position ortho de l’aniline. L’insertion formelle de l’alcyne dans le lien nickel- hydrure suivie de l’élimination réductrice fournit le produit d’ortho-alcènylation du substrat; l’annulation prend place après activation du lien N-H par le métal, insertion de l’oléfine et deshydrogénation in situ. Cette réaction s’est également avérée possible lorsque le DG est un fragment 2-pyridyl, bien que plus difficile à difficile à dissocier du substrat. Un autre exemple de l’utilisation du groupe directeur 2-pyridyl a été publié en 2017 par M. Miura : greffé encore une fois sur l’azote du substrat, ce DG permet l’activation C-H de la position 6 des pyridones, suivie de l’alkylation par insertion d’alcènes (Schéma 1.17).26 Le produit d’insertion Markovnikov a été

trouvé comme majeur, et dans le cas où l’alcène est un diène non tendu, la seconde fonction oléfine peut s’insérer dans le lien Carbone-Nickel afin de donner des composés cycliques.

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Schéma 1.16. Mécanisme de préparation des indoles par annulation des pyridines avec des alcynes.

Schéma 1.17. Réaction d’alkylation des pyridones avec les alcènes.

Les hétérocycles azotés se sont, en outre, révélés utiles comme groupes directeurs dans la fonctionnalisation C-H où le lien C-Ni est formé par métallation directe en présence d’une base (CMD). Ainsi, en 2016, L. Ackermann reprenait sa stratégie pour la métallation directe ortho des anilines par un catalyseur de NiII, cette fois ci pour réaliser l’alkylation avec des halogénures

d’alkyle primaires ou secondaires (Schéma 1.18).27 Également, en 2017, B. Punji reportait une

réaction d’alcynylation catalytique des indoles, des (benz)imidazole, des pyrroles et des pyrrazoles avec une sélectivité en ortho du groupe directeur.28 Alors que le partenaire de couplage est un

bromo-alcyne, l’espèce qui semble réaliser l’étape de métallation est un complexe de NiII. Ici, tout

comme pour l’ortho-alkylation des anilines de L. Ackermann, on propose que l’intermédiaire cyclonickellé réagit avec le bromo-alcyne par SET (pour donner une espèce NiIII) ou par addition

oxydante C-Br (pour donner une espèce NiIV), afin d’obtenir le produit de couplage croisé par

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Schéma 1.18. Mécanismes proposés pour l’ortho-alkylation des anilines catalysée par NiII.

Enfin, en 2019, C. Cai a utilisé le groupe directeur 2-pyridyl greffé sur des arènes non activés pour transformer la position ortho-C-H du cycle aromatique en groupement C-OR (OR = OAc, OMe, OEt, OBz).29 Ce couplage C-O réalisé par un catalyseur de NiII permet l’introduction

du groupement -OR soit sous forme de d’oxydant tel que PhI(OAc)2 (pour OR = OAc), soit sous

forme de sa version protonée ROH (pour OR = OMe, OEt, OBz) auquel cas l’addition d’un co- oxydant tel que les sels d’AgI ou une atmosphère d’oxygène est nécessaire (Schéma 1.19). Les

auteurs proposent ainsi que l’intermédiaire cyclométallé, alors riche en électron, est aisément oxydé pour donner le produit de couplage C-O par élimination réductrice. La valorisation des liens C-H par couplage avec des hétéroatomes et l’utilisation de l’oxygène moléculaire comme oxydant fait de ce procédé d’un grand intérêt économique.

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Lorsque le DG se lie au métal par deux points d’ancrage afin de faciliter la métallation du substrat, on obtient un intermédiaire cyclométallé tridenté, ce qui implique en principe une plus grande stabilité du lien carbone-métal, mais qui laisse entrevoir des transformations nécessitant des conditions réactionnelles plus agressives. La majorité des rapports dévoilant des procédés de fonctionnalisation C-H catalysés par le nickel utilisent des groupes directeurs pour lesquels la bi- denticité comporte un ligand pyridine relié au substrat par une liaison amide, lequel constitue la seconde dent du DG, une fois déprotoné. Dans ces cas, le DG est greffé aux substrats portant une fonction acyle par amidification, et permet une régiosélectivité en position β du carbonyle (i.e. position 2 du cycle aromatique dans le cas des fragments benzoyles) pour former un intermédiaire cyclonickellé à 5 chainons. Ainsi, en 2011, N. Chatani reportait la première fonctionnalisation des liens ortho C-H catalysée par le nickel et assistée par un groupe directeur, obtenu par amidification avec le 2-pyridinylmethylamine (Schéma 1.20).30 Après coordination des deux dents du groupe

directeur au centre métallique, la nickellation C-H donne un intermédiaire tridenté où le lien C-Ni permet l’insertion d’un alcyne, après quoi une élimination réductrice permet de compléter l’annulation et résulte en une isoquinolone. Cette réaction procède sans l’utilisation d’une base externe, puisque le proton de la nickellation est capté formellement par un hydrure, lequel résulte de l’activation N-H de la fonction amide par le pré-catalyseur de Ni0.

Schéma 1.20. Premier exemple de fonctionnalisation C-H assitée par un groupe directeur et catalysée par le nickel.

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En 2013, le même chercheur reporte deux nouvelles réactions catalytiques complémentaires : tout d’abord l’alkylation des liens Csp²-H dans les benzamides et acrylamides,31

puis l’arylation des liens Csp³-H dans les amides aliphatiques (Schéma 1.21).32 Cette fois, les

auteurs optent pour un groupe directeur plus rigide que celui reporté en 2011, où la fonction amide dérive de la 8-aminoquinoline (8AQ), ce DG ayant prouvé précédemment son efficacité avec des métaux plus lourds comme le palladium ou le ruthénium. De plus, on y utilise des pré-catalyseurs de NiII et le groupe directeur bidenté vient se lier au métal après une étape de déprotonation, et la

métallation est formée par CMD assistée par la base, ce qui justifie l’emploi de Na2CO3 en quantités

supra-stœchiométriques. Le partenaire de couplage dans ces deux études sont respectivement les bromures d’alkyles primaires, et les iodures d’aryles, et les auteurs proposent que le lien carbone- halogène s’additionne sur l’intermédiaire cyclonickellé pour donner un espèce NiIV qui résulte en

un couplage carbone-carbone subséquemment, par élimination réductrice.

Schéma 1.21. Stratégies complémentaires d’alkylation Csp²-H et d’arylation C-sp³-H dirigées par la fonction N-8-Aminoquinolylamide.

Le groupe directeur 8AQ reste un emblème de la fonctionnalisation directe des liens C-H catalysée par le nickel, car il répond bien au grand défi de faire réagir les liens Csp²-H et même Csp³-

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ses traces démontrent que ce DG permet de valoriser le lien carbone-nickel par quasiment tout l’éventail de réactivités observées dans la chimie organométallique (Schéma 1.22). Dans la catégorie des liens Csp²-H fonctionnalisés par cette stratégie (généralement provenant de substrats

arènes et hétéroarènes mais également des vinyles), on trouve l’arylation par Ar-I (N. Chatani, 2014)33, l’akylation par des halogénoalcanes secondaires (L. Ackermann, 2014)34; l’amination de

type Buchwald-Hartwig en présence d’un oxydant (Z. Liu et Y. Zhang, 2015)35; l’acynylation par

des bromoalcynes (F. Li, 2015)36; le couplage croisés avec le C2-H des azoles en présence d’un

oxydant (J. You, 2016)37; l’annulation en naphthyles par double insertion des alcynes (Y. Huang,

2016)38; l’halogénation par LiX (X = Cl, Br, I)39 en présence d’oxydant (B.-F. Shi, 2016) ou encore

l’iodination en présence d’iode moléculaire (N. Chatani, 2016).40

Schéma 1.22. Exemples de l’éventail des fonctionnalisations directes C-H des composés insaturés promues par le groupe directeur 8AQ.

Bien que la nickellation des liens Csp³-H représente un défi de taille, cette stratégie prodigue

des voies réactionnelles de grande variété également (Schéma 1.23). On y trouve des exemples de fonctionnalisation par alkylation avec les iodoalcanes primaires (H. Ge, 2014)41; l’amidation

intramoléculaire pour générer des β-lactames en présence de TEMPO· (H. Ge, 2014)42 ou d’iode

moléculaire (N. Chatani, 2016)43; l’arylation à partir de bromoaryles (J. You, 2014)44, la

thioarylation par les oxydants disulfurés (Y. Zhang, 2015)45, l’acènylation par des iodures de

vinyles (B.-F. Shi, 2015)46, par des alcynes internes (J. You, 2015)47 ou par des alcynes terminaux

dans un couplage de type Sonogashira donc en présence de CuI (Z.-J. Shi, 2016)48 ou encore la

thiophèn-2-ylation en présence de thiophènes et d’AgI comme oxydant (R. Qiu, Y. Xia et S.-F.

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Schéma 1.23. Exemples de l’éventail des fonctionnalisations directes C-H des composés aliphatiques promues par le groupe directeur 8AQ.

Dans tous ces exemples de fonctionnalisation C-H, l’étape de nickellation se produit sur un centre NiII, puis la réactivité du lien carbone-nickel peut ensuite passer par le même état

d’oxydation, ou par des mécanismes impliquant des valences plus hautes comme NiIII ou NiIV.

Cependant, dans ces travaux, l’intermédiaire portant le lien carbone-nickel n’est généralement pas isolé. Ainsi, peu d’études se focalisent sur ces intermédiaires clés et cherchent à isoler le mécanisme de leur formation et leur réactivité propre. Bien que des études cinétiques sur le procédé révèlent parfois que la métallation n’est pas l’étape cinétiquement limitante, peu d’indices permettent de justifier l’utilisation de très hautes températures et des temps de réactions longs, ou d’expliquer le rôle des additifs employés. Ceci démontre une connaissance relativement faible de la nature des micro-étapes ou des espèces réellement réactives dans le cycle catalytique. Afin d’améliorer rationnellement les conditions réactionnelles, et d’offrir une connaissance fondamentale plus approfondie de ces processus, il convient donc d’étudier systématiquement les intermédiaires en les isolant afin d’en comprendre les mécanismes de leur formation et leur réactivité.

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