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Chapitre 3 : Caractérisation des transitions agricoles et implications pour la capacité

3.6. Scénarios de neutralité énergétique

3.6.1 Potentiel énergétique des résidus agricoles et valorisation

L’estimation du potentiel énergétique des résidus agricoles inclut à la fois les résidus de culture et les excrétions animales. Pour les résidus de culture, qui sont principalement les pailles de céréales, nous reprenons le résultat de la modélisation de la NPP des résidus de culture du Chapitre 1. Nous rappelons que les résidus de chaque culture j ont été calculés en fonction de l’indice de récolte (IRj) et de la biomasse récoltée (Récoltesj) (section 1.3.2). À partir du total

des résidus de culture exprimé en énergie, nous appliquons un taux de valorisation (Rc) dit

moyen et élevé de 30% et 70% respectivement. Les deux taux sont ambitieux par rapport au

niveau actuel de valorisation d’énergie en France qui est quasi nul. Les taux moyen et élevé sont inversement liés aux objectifs élevé et moyens de conservation et enrichissement en carbone des sols (Ademe, 2013; Monteleone et al., 2015).

En ce qui concerne les excrétions animales, seules les excrétions produites en confinement sont valorisables contrairement aux excrétions pendant le pâturage (Smil, 1999a). Le temps moyen passé en confinement par animal (ti) est de 45% pour les bovins, 10% pour les ovins et caprins,

et 90% pour les porcins et volailles (Ademe, 2013; Smil, 2000, 1999a). La différence entre la ration animale ingérée et la production animale est égale à la perte de chaleur métabolique et l’énergie des excrétions (NRC, 2001). Nous considérons que l’énergie des excrétions animales (ME) représente 15 à 40 % de cette différence pour refléter les variabilités spécifiques associés au type d’animal et au niveau de digestibilité des rations animales (Ferrell et Oltjen, 2008; INRA, 2018b; NRC, 2001; Velayudhan et al., 2014). On suppose que toutes les excrétions animales en confinement sont valorisées, ce qui est une hypothèse optimiste.

La Figure 3.10 montre le résultat obtenu pour l’estimation totale du potentiel énergétique de tous les résidus agricoles. Le gisement théorique est estimé à 1600 PJ. Nous comparons cette estimation à la valorisation actuelle et les deux variantes de valorisation des résidus agricoles. Les deux variantes considèrent une valorisation complète des excrétions animales produites en confinement et se distinguent par les taux de valorisation de 70 et 30 % pour les résidus de culture (Figure 3.10). Il faut noter qu’il est peu probable que ce potentiel énergétique des résidus agricoles augmente, puisque les quantités de résidus de culture et d’excrétions animales dépendent tous deux des rendements agricoles, qui ont atteint un plateau (section 1.3.2).

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Figure 3.10 : Le contenu énergétique des résidus de culture (pailles de céréales et autres cultures) et des excrétions animales sur la période 2000 à 2013 (dans le panel de gauche) comparé à la récupération actuelle d'énergie de ces ressources et aux deux variantes de taux valorisation (dans le panel de droite). Les barres d’incertitude indiquent l’incertitude dans le calcul des excrétions animales. Sources : voir détails dans le texte, adapté de (Harchaoui et Chatzimpiros, 2018b).

Globalement, notre calcul de potentiel de valorisation énergétique des résidus agricoles se situe dans la fourchette haute des évaluations précédentes pour la France (Ademe, 2013; Meyer et al., 2018). L’incertitude réside surtout aux hypothèses des taux de valorisation des résidus de cultures (paille essentiellement). Des faibles taux de valorisation sont compatibles avec les méthodes de retour et d’enfouissement de la paille, qui font partie des principales pratiques actuelles de gestion agricole pour la conservation de la qualité des sols, la protection des sols contre l’érosion et la séquestration de carbone (Smil, 1999b). En revanche, des taux élevés (près de 100 %) de valorisations étaient courants dans les systèmes préindustriels, comme en témoigne le rôle central de la paille comme source d'énergie (Harchaoui et Chatzimpiros, 2018a; Toutain, 1958). Des taux de valorisations plus proches de la variante élevée calculée, sont potentiellement compatibles avec une gestion durable des sols si le digestat des méthaniseurs est retourné au sol (Einarsson et Persson, 2017). Dans cette problématique il est essentiel de trouver le bon compromis entre valorisation énergétique et gestion environnementale dans l'utilisation de la paille (Gabrielle et Gagnaire, 2008; Monteleone et al., 2015). Par ailleurs pour compléter l’analyse des résidus de cultures, il faut remarquer qu’un indice de récolte élevé

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favorise la production de grains au détriment de celle des pailles. De ce point de vue, le potentiel de valorisation énergétique de la paille a diminué avec l'industrialisation de l'agriculture. S’agissant des excrétions animales, nos estimations varient entre 108 et 291 PJ. Cet intervalle est en accord avec une analyse récente (Degueurce et al., 2016), qui s’appuie sur une description détaillée de la production bovine, tenant compte du type de logement et de la qualité des litières, et qui propose une valeur de 111 PJ pour les excrétions seulement des bovins représentant environ 75 % de l’ensemble des excrétions.

En résumé, la quantification du potentiel énergétique permet d’établir l’ordre de grandeur du gisement disponible des résidus agricoles. À la lumière du résultat obtenu pour les deux variantes, nous pouvons affirmer que la valorisation totale des résidus pourrait au mieux couvrir la consommation actuelle de l’agriculture (Figure 3.10).

En 2016, la production totale de biogaz en France est d'environ 30 PJ (équivalent pétrole), dont seulement un quart environ (7,8 PJ) provient de l'agriculture (Ademe et al., 2017; CGDD, 2018) (le reste provient des matières organiques des stations d'épuration, des déchets urbains et des industries agroalimentaires). La biomasse provenant de l’agriculture est de 26 PJ et s’ajoute aux 200 PJ (CGDD, 2018) de surplus agricole alloué aux biocarburants liquides (détail du calcul en Annexe A3.B). Le reste du surplus agricole autour de 880 PJ est une production alimentaire. Ainsi, en incluant la production de biocarburants de première génération en grande compétition avec la production alimentaire, le système agricole en France a actuellement une neutralité énergétique d'environ 25 %. La neutralité énergétique et, par conséquent, la capacité de l'agriculture d'être une source d'énergie nette pour la société et de se substituer massivement aux combustibles fossiles sans réduire la production alimentaire semble extrêmement difficile à atteindre.

Même dans le cas d’une valorisation énergétique très élevée des résidus agricoles, la nécessité de valoriser de l’énergie supplémentaire à partir de sources internes apparait comme une condition nécessaire pour parvenir à la neutralité énergétique et remplacer les combustibles fossiles. L’option qui reste pour y parvenir est de réduire l'alimentation du bétail et va être également mise en œuvre dans la section qui suit.

Auparavant, il est intéressant d’analyser également ce potentiel énergétique des résidus à l’échelle régionale. La Carte 3.1, qui concerne l’année 2013, souligne à la fois la disparité géographique des potentiels énergétique des résidus mais également le type de résidus entre cultures et excrétions animales. L’hétérogénéité géographique des potentiels énergétiques

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reflète bien la spécialisation régionale actuelle, associée au découplage entre production végétale et animale. Par exemple, la région Centre a un potentiel très riche en résidus de culture et quasi nulle en excrétions animales alors que la Bretagne a des résidus animaux et végétaux du même ordre de grandeur. Ces indicateurs géographiques seraient intéressants à comparer à la localisation des investissements de projets actuellement en cours par région. Nous ne soutenons pas ici qu’il faille poursuivre les projets sur la simple base de ces estimations mais nous mettons en évidence que la spécialisation des régions entre cultures et élevages se retrouve dans les types de gisement disponibles des sources internes d’énergie de l’agriculture. Comme le montre certains travaux de recherche sur le terrain à de plus petites échelles, la réussite de la valorisation optimisée de résidus agricoles nécessite parfois des approches très ciblées par filière et engageant une approche multi-acteurs (Cohen et al., 2018).

Carte 3.1 : Potentiel énergétique totale des résidus agricoles par région exprimé en PJ pour l’année 2013. Les résidus de culture incluent les pailles de céréales et autres résidus. Sources : cette étude, (Agreste, 2019)

Tous les calculs de gisement des résidus agricoles présentés jusqu’à présent, ne tiennent pas compte de la consommation énergétique associée pour valoriser ces résidus, qui est intégrée le bilan énergétique complet des scenarios présentés dans la section qui suit. En effet, la valorisation des résidus agricoles a un coût énergétique associé aux étapes logistiques et techniques, telles que la compression, le ramassage, le prétraitement et le transport des matières au digesteur (Giuntoli et al., 2013). Le décompte détaillé de coût énergétique n'entre pas dans le cadre de cette étude. En revanche, nous présentons une approximation simple en supposant

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une consommation de respectivement 0,17 J de biomasse primaire par J récupéré à partir des résidus de culture et 0,32 J par J récupéré à partir des excrétions animales. Ces facteurs de coûts énergétiques de récupération sont dérivés du Tableau 3.1, en faisant deux hypothèses : i. le carburant dépensé pour la collecte augmente proportionnellement au rendement non économique des cultures (1-IR) et ii. la consommation d'énergie dans les bâtiments d'élevage double pour tenir compte des coûts énergétiques associés à la collecte, le transport, la préparation et le pompage du lisier. Ces coûts de récupération d'énergie, résumés dans le Tableau 3.2 se situent au bas de la fourchette d'une analyse détaillée des différents systèmes de biogaz en Suède (Börjesson et Berglund, 2006).