• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3 : Caractérisation des transitions agricoles et implications pour la capacité

3.3. Efficacité énergétique, autosuffisance et retour sur investissement

3.3.3 Comparaison du retour sur investissement énergétique avec la

la littérature

Nous voulons mettre en perspective nos résultats de l’EROI avec la littérature en termes de résultats et de divergences méthodologiques.

Discussions du périmètre de calcul

Comme le soulignent Murphy et al. (2011b), l'analyse de l’EROI est sensible au périmètre du système. Dans le cas des systèmes agro-alimentaires, plus le périmètre du système étudié est large, plus l’EROI est faible, car l'énergie investie s'accumule au cours des étapes de transformation des aliments pour une production alimentaire donnée (Pelletier, 2008). Par exemple, en 2011, l'industrie agroalimentaire française a consommé 214 PJ (Agreste, 2013b), ce qui ramènerait l'EROI modélisé à 2,4. Par ailleurs, l'énergie grise des machines agricoles pourrait être incluse dans le périmètre des entrées d’énergie comme nous l’avons évoqué dans le précédent chapitre. Cette énergie grise pourrait être estimée à 80 PJ en supposant un poids spécifique de 64 kg/kW de puissance de machine agricole, une intensité énergétique de 140 GJ·t-1 et une durée de vie des machines de 10 ans (Aguilera et al., 2015), ce qui ramènerait

l'EROI à 2,1. Si l'on considérait également l'énergie investie dans la distribution, la vente au détail, le stockage et la cuisson des aliments, l'EROI du système agro-alimentaire chuterait facilement en dessous de 1. Ces postes de consommation annexes au système de production ne sont pas pris en compte dans l’analyse qui aurait été impossible sur une période longue de 130 ans. Il convient de noter que contrairement aux projets pétroliers ou de biocarburants pour lesquels un EROI inférieur à 1 serait absurde et justifierait l'abandon du projet de production (Pimentel et Patzek, 2005), les produits alimentaires eux sont indispensables par leur nature

38 Les travaux de Cleveland et O’Connor (2011) montrent par exemple que l’EROI (calculé à la tête de puits) de

l’huile de schiste en 2010 est de l’ordre de 2 contre un EROI du pétrole conventionnel estimé entre 20 et40 dans les années 1990.

106

énergétique spécifique et doivent être fournis sans interruption, quelle que soit l'énergie nécessaire.

Divergences méthodologiques

Nous précisons que la plupart des études d’EROI de l’agriculture, de la littérature scientifique, sont centrées sur des cultures spécifiques (Bonny, 1993; Murphy et al., 2011b; Ozkan et al., 2004; Pracha et Volk, 2011) ou des systèmes d'élevage (Pelletier, 2008; Pimentel, 2004) et seules quelques-unes évaluent l'évolution de l’EROI dans le temps à des échelles régionales ou nationales (Cleveland, 1995; Galán et al., 2016; Gingrich et al., 2018b; Grešlová et al., 2019; Guzmán et al., 2018b; Hamilton et al., 2013; Markussen et Østergård, 2013). Cependant, il est difficile de comparer les EROI d'une étude à l'autre en raison d'importantes divergences méthodologiques concernant le choix du périmètre du système et la manière dont les flux énergétiques sont pris en compte dans le système. Un facteur d’écart le plus important par rapport au choix du périmètre du système est dans la manière dont les aliments importés du bétail sont comptabilisés. Des études antérieures ont tenu compte de l'importation des aliments du bétail en tant qu'entrée similaire au pétrole et à l'électricité en ajoutant son contenu énergétique calorique dans le dénominateur de l’EROI (Galán et al., 2016 ; Guzmán et al, 2017 ; Gingrich et al., 2017). Nous estimons que le dénominateur de l’EROI ne devrait pas agréger l'énergie investie en tant que combustible énergétique dans le système (tels que carburant, électricité) avec l'alimentation du bétail qui se transforme en production animale. Autrement, le calcul est incohérent car il implique que les indicateurs d’EROI et d'ECE varient selon que le bétail est nourri avec des aliments produits dans le pays ou importés de l’étranger. Nous soutenons que l’ECE et EROI sont deux indicateurs clairement distincts, mesurant l'efficacité énergétique à deux niveaux différents du système. Nous soutenons donc que le fourrage pour la production de viande et de lait n’est pas une énergie investie mais une énergie interne au système et notre approche méthodologique est similaire de celle de (Hamilton et al., 2013). Évidemment, dans notre étude, nous tenons compte dans le dénominateur de l’EROI de l’énergie grise des aliments importés pour le bétail i.e. de l’énergie investie dans la production de ces aliments importés (chapitre 2).

Une autre différence majeure méthodologique par rapport à des études précédentes est le choix de considérer l’énergie investie par autoconsommation comme un flux à la fois sortant et entrant et non comme un flux interne au système agricole. Nous avons expliqué notre choix de l’approche du flux sortant et entrant réinvesti, en détails dans la section 2.4.2 du chapitre 2 lors

107

du calcul du flux d’autoconsommation d’énergie. Ce choix est crucial et impacte automatiquement le calcul de l’EROI et peut mener à des conclusions contradictoires, surtout pour les périodes de transition où le degré d’autosuffisance énergétique change. En effet, des études antérieures ont conclu à une diminution de l'EROI pendant l'industrialisation agricole en considérant l’autoconsommation d’énergie des animaux de travail comme un flux interne (Stanhill,1984 d'après Deleage, Julien et Souchon, 1979 ; Allaire et Daviron, 2017 d'après Bayliss-Smith, 1982). Le processus d'industrialisation s'est principalement déroulé de 1945 à 1975 dans les pays occidentaux et se caractérise par le passage des sources d'énergie internes aux sources externes. Nous soutenons que l'approche des flux internes est inappropriée pour les périodes de transition parce qu'elle mesure simplement la productivité agricole par unité de travail humain et d’énergie de source externe. Par conséquent, l’EROI des systèmes préindustriels est surestimé et toute transition vers les combustibles fossiles se traduit automatiquement par une augmentation de l’énergie investie. Cela induit en erreur quant à l'efficacité énergétique totale du système. En particulier, pour l'agriculture en France, Stanhill (1984) d'après Deleage, Julien et Souchon (1979) rapporte une diminution de 70% du rapport entre la production d'énergie et les entrées d’énergie entre 1945 et 1975, ce qui est en contradiction avec l’augmentation de 40% obtenue si l'on considère l’autoconsommation d’énergie (Figure 3.3b).

Il reste une dernière divergence dans les méthodes de comptabilité des flux d’énergie pour le choix de l’énergie primaire ou l’énergie finale des animaux de travail dans le calcul de l’énergie investie du travail des animaux dans l’agriculture. Nous avons démontré dans le chapitre précédent que considérer seulement l’énergie finale reviendrait à sous-estimer d’un ordre de grandeur la part d’autoconsommation d’énergie des animaux de travail dans le dénominateur de l’EROI.

Les différences de méthodes décrites ci-dessus rendent les comparaisons de l'EROI, entre les pays, délicates. Cependant, des facteurs tels que les conditions bioclimatiques, la spécialisation de la production et l’efficacité d’utilisation des engrais ont une grande influence sur l'EROI et interviennent aussi comme des facteurs explicatifs des différences entre les études. Par exemple, pour un pays donné, une diminution de la production animale en faveur d’une plus grande production végétale à haut rendement, cultivée dans des conditions agroclimatiques favorables et à l’appui de pratiques efficaces de gestion des nutriments, aurait tendance à améliorer l'EROI. Ceux sont ces types de conditions qui se sont progressivement développés

108

dans l'agriculture en France et peuvent expliquer le contraste avec les baisses de l'EROI indiquées en Autriche (Krausmann et al., 2003), en Espagne (Guzmán et al., 2018b) et en Turquie (Ozkan et al., 2004). Si nous considérons la spécialisation agricole, entre 1961 et 2013, l'Autriche affiche un ratio quasi-stable de production de viande par rapport à la production céréalière contre une réduction de moitié pour la France (FAOSTAT, 2018). Comparés à l'Espagne et à la Turquie, les rendements agricoles en France sont au moins deux fois plus élevés et bénéficient d’un apport d’eau de précipitations régulières et une faible irrigation (Daccache et al., 2014). En Espagne, l'énergie pour l'irrigation représente jusqu'à 40 % de l'énergie directe totale investie (Guzmán et al., 2018b) contre seulement 5 % en France. L'augmentation de l'EROI en France est très proche de celle calculée pour les États-Unis entre 1970 et 1990 (Hamilton et al., 2013), qui est une période au cours de laquelle les deux pays affichent des augmentations similaires de rendements en céréales. Comme nous l’avons souligné précédemment, l’évolution de la NUEcultures est aussi un moteur important des

tendances de l'EROI. Aujourd'hui, la NUEcultures est significativement plus élevée en France

qu'en Espagne et en Turquie (Lassaletta et al., 2014a). Une NUEcultures plus élevée se traduit par

moins d’énergie grise perdue par unité de production. Enfin, l'EROI peut également augmenter avec la taille moyenne des exploitations agricoles, qui en France est environ 2,5 fois plus grande qu'en Autriche et en Espagne (Eurostat, 2017) car les exploitations plus grandes peuvent bénéficier d’économies d'échelle dans l'utilisation des équipements agricoles et la consommation de carburant associée.

3.4. Surplus agricole en tant que résultat des transitions agricoles