• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1 : Modélisation de la production nette agricole

1.2.1 Contexte des statistiques agricoles

Avant de présenter en détail les sources de données statistiques, il est intéressant de présenter rapidement le contexte des statistiques agricoles en France dans la longue durée. La frise chronologique représentée dans la Figure 1.1 permet de situer les dates importantes et la période d’étude choisies. La France est parmi les rares pays (avec le Royaume-Uni (Toutain, 1971) et les États-Unis) à disposer de données statistiques agricoles sur la longue durée et à l’échelle nationale. Les statistiques agricoles regroupent deux formes de statistiques : les enquêtes décennales et les statistiques annuelles. Après une première tentative non aboutie en 1814, la première grande enquête consacrée à l’agriculture apparait en 18407. Elle sera suivie de celle

de 1852, 1862, 18828 et 1892 qui sera la dernière enquête décennale. Les premières enquêtes avaient pour objectif de définir et mesurer la richesse agricole de la France (Kaya, 2013). Néanmoins, elles se heurtent à une crainte des paysans agricoles se méfiant d’une volonté masquée de taxation du gouvernement (Vivier, 2013). À partir de 1862, les enquêtes agricoles commencent à offrir une meilleure vision de la situation nationale. L’intérêt premier derrière les enquêtes change et il s’agit alors de savoir si l’approvisionnement alimentaire de l’agriculture est suffisant pour la France (Laurent, 1966). Dans le courrier accompagnant le rapport de l’enquête de 1862 destiné à l’empereur Napoléon III, le commissionnaire de l’enquête indique parmi les objectifs celui « d’apprécier les conditions de la production des diverses denrées alimentaires ou propres aux usages industriels que l’agriculture obtient par l’exploitation du sol ou par l’élevage des animaux ». Les statistiques ne cesseront de s’améliorer au cours de la fin du XIXe siècle avec des questionnaires plus simplifiés et des moyens de

6 2013 est la dernière date disponible de la FAO pour les données détaillées de bilan alimentaire.

7 La première tentative d’enquête agricole qui date de 1836 (Kaya, 2013) s’était étalée sur plus de huit années

de collecte et travail avec plus de 100 000 employés mais elle se heurte à de nombreuses difficultés dans la centralisation des données.

17

collecte de données chiffrées plus adaptés. En 1881, Léon Gambetta, président du Conseil et ministre des Affaires étrangères crée par décret le ministère de l’Agriculture. La statistique agricole se sépare alors de la Statistique générale de la France qui demeurait au Ministère du Commerce. La première statistique agricole annuelle (SAA) apparait en 1885 et permet de retracer l’ensemble des données sur la production agricole d’une année complète de 12 mois (année civile ou campagne) pour chaque département français. Les SAA se sont poursuivies depuis jusqu’à aujourd’hui.

Figure 1.1 : Frise chronologique situant la période d'étude de l’agriculture française entre 1882 à 2013 et l'évolution des statistiques agricoles. Source : cette étude.

La centralisation des données départementales continue à être progressivement améliorée au cours du début du XXe siècle avec un rôle accru des professeurs d’agriculture dans l’établissement des SAA. Les statistiques décennales de 1902, 1912 et 1922, complémentaires aux SAA, ne seront pas poursuivies par souci d’économie (Augé-Laribé, 1945) mais une grande enquête sur l’économie rurale devient indispensable en 1929. André Tardieu, alors ministre de l’Agriculture dit en 1931 au sujet de cette enquête : « cette enquête a d'abord, une importance scientifique […]. Nous n'avons aucun renseignement sur les produits d'origine animale, sur la

18

structure économique du pays, sur la répartition de la propriété́ et des exploitations, […] sur les industries agricoles. Cela signifie que l'agriculture française n'a pas de base scientifique ni en ce qui concerne les disponibilités, ni en ce qui concerne les besoins » (Ministère de l’Agriculture, 1976). En effet, l’enquête de 1929 avait pour ambition de faire un inventaire général de la production animale et végétale qui coïnciderait également au projet de 1924 émanant de l’Institut International d’Agriculture de Rome (ancêtre de la FAO) d’établir un recensement mondial de l’Agriculture. Après la Seconde Guerre mondiale et sous l’impulsion de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) fondé en 1946 (Richard-Schott, 2009), les statistiques agricoles connaissent une profonde modernisation avec l’introduction des enquêtes par sondage et le développement de nombreux rapports de conjoncture sur les engrais, l’équipement mécanique et l’outillage des exploitations agricoles. Les recensements généraux de l’agriculture à partir de 1955 prendront le relai des statistiques décennales. Le dispositif moderne des statistiques proche de celui qui existe aujourd’hui, ne commencera qu’à partir de 1964. Cette date coïncide avec la mise en place d’outils de traitement statistiques de plus en plus raffinés (par exemple des contrôles de surface à l’aide de photographies aériennes, Ministère de l’Agriculture, 1965) et la création du service central des enquêtes et études statistiques (INSEE, 1990).

De manière générale, les données disponibles dans la SAA sont relatives aux statistiques d’utilisation de terres et de production agricole (végétale et animale) suivies de données sur les moyens de production qui font l’objet du chapitre 2. Les données de la partie végétale couvrent la superficie, les rendements à l’hectare, les quantités récoltées et celles de la partie animale couvrent les effectifs, le poids des animaux et les totaux de productions animales. Les productions agricoles renseignées excluent les pertes sur les champs ou au cours du transport vers la ferme. Enfin, les statistiques agricoles, à partir de 1946, renseignent sur les conditions atmosphériques de chaque campagne agricole. Elles incluent des commentaires permettant de comprendre la sensibilité des productions d’herbages et fourrages annuels aux étés secs et distinguent les années de mauvaise récolte qui sont 1893, 1906, 1921,1976, 1989 et plus récemment 2003 et 2016. La statistique de 1961 en particulier offre une rétrospective détaillée des grands hivers et grands étés en France du point de vue de climatologique9 depuis 1845 (Ministère de l’Agriculture, 1962).

19

Parmi les chercheurs qui ont exploré cette richesse de données agricoles dans la longue durée,

J-C. Toutain et son équipe de chercheurs au Centre national de la recherche scientifique à partir

des années 1960 ont établi une analyse quantitative macro-économique sur les comptes agricoles avec des séries décennales pour la période de 1789 à 1938. Cette étude s’insérait dans une vaste recherche consacrée à l’histoire quantitative de l’économie française10. Ce travail

majeur d’histoire sur le produit de l’agriculture française donne lieu entre autre à deux ouvrages clés, l’un sur le produit de l’agriculture et l’autre sur la consommation alimentaire en France de la moitié du XVIIIe siècle aux années 1960 (Toutain, 1971, 1958) intitulés: Le produit de

l’agriculture française de 1700 à 1958 et La consommation alimentaire en France de 1789 à 1964. Ces analyses avaient surtout un objectif de lecture économique de la croissance agricole

en France. Au cours de ces dernières années, deux travaux de thèses s’appuient sur une partie de données extraites de ces archives statistiques à des échelles régionales à partir de 1852. L’une porte sur les empreintes environnementales de l’approvisionnement alimentaire de Paris (Chatzimpiros, 2011) et l’autre sur la production et spécialisation agricole par région en termes de flux biogéochimiques d’azote, de phosphore et de carbone (Le Noé , 2018). Plus récemment, une analyse retrace l’évolution des émissions de gaz à effet de serre des secteurs agricoles et forestiers aux échelles régionales et nationales depuis 1852 (Garnier et al., 2019). Ces trois analyses portent sur la longue durée mais poursuivent des objectifs autres que l’analyse des transitions agricoles. Notre étude est complémentaire aux analyses précédentes et elle a pour ambition de reconstruire des séries longues continues de production nationale et de caractériser les transitions à l’échelle nationale.