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Chapitre 2 : Moyens de production : équipements des fermes et entrées d’azote et d’énergie

2.3. Les entrées d’azote

2.3.3. La fixation biologique d’azote

Seules certaines bactéries (des genres Rhizobium) sont capables de fixer l’azote et le rendre accessibles aux organismes vivants. Ces bactéries, dans les sols, vivent au sein de nodosités sur les racines de certaines plantes seulement qui sont essentiellement de la famille des légumineuses. Nous pouvons distinguer dans cette famille : les légumineuses à graines récoltées (légumes secs et soja) et les légumineuses fourragères (luzerne, trèfle, sainfoin) récoltées ou pâturées (Schneider et Huyghe, 2015). La légumineuse met en place une symbiose avec ces bactéries qui permet à ces dernières de capturer le N2 et le transformer en N disponible

pour la plante. Au cours de cette symbiose, les bactéries fournissent du N assimilable à la plante et la plante en échange fournit de l’énergie acquise lors de la photosynthèse (glucides) aux bactéries. La BNF désigne ce processus symbiotique. La BNF d’un système agricole dépend essentiellement de la taille des surfaces allouées aux cultures de légumineuses. Les ordres de grandeur des taux de fixation de BNF par les légumineuses sont de 30 à 300 kgN·ha-1 (Anglade et al., 2015; Herridge et al., 2008).La BNF constitue l’entrée principale de N dans l’agriculture préindustriel.

Dans la reconstitution des entrées azote du système agricole en France, la BNF est calculée comme la somme des BNF des prairies, permanentes, temporelles et artificielles28. Cependant, il n'existe pas de données statistiques publiées et disponibles pour la BNF. En revanche, toutes les prairies participent à la BNF en fonction du type des pratiques agricoles et du type des cultures des légumineuses. En France, les prairies artificielles sont ensemencées exclusivement de légumineuses fourragères alors que les prairies temporaires et permanentes sont ensemencées de graminées fourragères non-légumineuses en association avec des légumineuses (Vertès, 2015). Pour chaque année, la BNF est modélisée comme la somme des BNFi de chaque

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type de prairies i : permanentes, artificielles et temporaires. BNFi est calculée en multipliant les

surfaces des prairies par les taux de fixation (rBNF,i en kgN·ha-1) respectifs. rBNF,i est estimée en

fonction du rendement de la prairie i à partir de l'équation 2.1.

rBNF,i =Yi/NHIi × Ni (2.1)

Où Yi est le rendement récolté (kg·ha-1) extrait des données de production des prairies (calculés

dans le chapitre 1), Ni est la teneur en N de chaque matière végétale disponible dans le Tableau

A1.1 en l’annexe, et NHIi l'indice de récolte N considéré égal à 60% pour les prairies artificielles

(Anglade et al., 2015) et à 80 % pour les prairies permanentes et temporaires. Dans la reconstitution historique de la BNF, nous avons négligé la BNF des légumineuses à graines dans les cultures arables (soja et légumes secs) par simplification de calcul étant donné les petites surfaces en jeu en France.

Figure 2.7 : a. Évolution de la surface fixatrice d'azote en France entre 1882 et 2013, exprimée en Mha (axe de gauche). La surface fixatrice est décomposée en prairies permanentes, temporaires et artificielles. Le rapport de surface qui est le rapport entre la surface fixatrice et la SAU en % est représenté sur l’axe de droite. b. Évolution du taux de fixation en kgN ha-1. Source : cette étude, voir détails dans le texte.

Durant la première moitié du XIXe siècle en France, les légumineuses fourragères se substituent à la jachère comme moyen de fertilisation azotée des grandes cultures non-fixatrices. La prairie artificielle, associée aux bovins, est le moteur d’entrée d’azote du métabolisme agricole

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préindustriel. Les bovins sont les vecteurs de la mise en circulation de l’azote, en convertissant l’azote fixée des prairies (Billen et al., 2009a). Ils rendent disponible cet azote pour l’alimentation humaine de deux manières. La première est sous la forme de viande et de lait. L’autre est indirect à travers leurs fumures qui permettent de fertiliser les cultures non-fixatrices (i.e. les céréales) qui sont destinées à l’alimentation humaine29 (Chatzimpiros, 2011). Ce mode de fertilisation à base de cultures fourragères légumineuses est en place au début de la période étudiée et va se poursuivre jusqu’au premier tiers du XXe siècle. La Figure 2.7a montre l’augmentation des surfaces des trois types de prairies en France au cours du temps. La surface des prairies artificielles gagne plus de 0.6 Mha entre 1882 et 1960 pour culminer à 3.3 Mha. Un autre moyen de caractériser le type de fertilisation d’un système agricole sur différentes échelles spatio-temporelles est de calculer le rapport de surface, qui est défini comme le rapport entre la surface fixatrice et la SAU. Nous appelons surface fixatrice, la surface des cultures fixatrices destinées aux animaux d’élevage (qui sont essentiellement les prairies et les cultures de soja). L’indicateur de rapport de surface sera de nouveau utilisé pour d’autres échelles régionales dans le chapitre 4, afin d’estimer la capacité d’un système agricole à couvrir ses besoins de fertilisation azotée. En France, ce ratio qui est à 28 % en 1882 (Figure 2.7a, sur l’axe de droite) ne cesse d’augmenter jusqu’à culminer en 1970 à 55 %, avant de reculer de manière marquée jusqu’à la fin des années 1980 et se stabiliser depuis autour de 45 %. Cette chute à partir des années 1970, correspond au choix d’une fertilisation à base d’engrais industriels et marque l’abandon des prairies artificielles comme pilier de la fertilisation du métabolisme agricole en France, en place depuis le milieu du XIXe siècle. La baisse de la surface des prairies est également due à la substitution des prairies par le maïs fourrager comme fourrage pour vaches laitières, comme nous l’avons souligné dans le chapitre 1. La Figure 2.7b montre le résultat obtenu pour l’évolution du taux de fixation rBNF à l’échelle de la France qui oscille entre 30 et

40 kgN·ha-1 excepté durant les Deux Guerres mondiales et l’après Seconde Guerre mondiale où le taux progresse de 25 à 40 entre 1950 et 1970.

29 Les adages « Veux-tu du blé ? Fais des prés » ou « Point de fumier sans prés, et sans fumier point de blé »

(Bujault, 1845) sont certainement nés de ce raisonnement lié à la fertilisation des terres arables par le bétail nourri par les prairies.

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