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Chapitre 2 : Moyens de production : équipements des fermes et entrées d’azote et d’énergie

2.2. Périmètre des moyens de production

2.2.3. Les moyens de traction : animaux de travail et machines agricoles

agricoles

Parmi les équipements des fermes, les moyens de traction sont primordiaux dans la quasi- totalité des travaux agricoles. Leur utilisation couvre tout le calendrier agricole. Ils sont indispensables à la préparation des sols, le semis, le labour, la récolte et le battage21. En début de période dans cette étude, ces travaux sont effectués par l’agriculteur et à l’aide des animaux de travail qui sont les seules forces d’énergie mécanique utilisées par le système agricole. Avec l’invention des moteurs à combustion interne, la force musculaire de l’animal de travail va être substituée par la machine agricole. Aujourd’hui, la quasi-totalité des travaux en France se font à l’aide de machines agricoles de plus en plus puissantes, réalisant de plus en plus rapidement des tâches de plus en plus variées et qui fonctionnent à l’énergie fossile. Un moyen d’analyser la capacité de travail disponible au sein de l’exploitation agricole est de comparer la puissance nominale d’un être humain, d’un animal de travail et celles des machines agricoles qui sont

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disponibles aujourd’hui. La Figure 2.2 permet de mesurer l’écart des puissances en jeu exprimées en kW (unité de puissance) selon le type de moyen de traction. Un cheval a une puissance nominale moyenne de l’ordre 0.73 kW (Stevenson et Wassersug, 1993). Le cheval- vapeur (cv) est l’unité de référence de puissance d’un attelage et le restera pour les premiers moyens de traction mécanisés. Le rapport de puissance entre le cheval et l’être humain (autour de 0.05-0.1kW (Smil, 2008a)) est un peu moins d’un ordre de grandeur. En revanche, le rapport de puissance entre la machine agricole moyenne aujourd’hui et celle d’un cheval est supérieur de 2 ordres de grandeurs. Un tracteur en France aujourd’hui a une puissance moyenne de 60 kW (Agreste, 2016c) alors que celle de la moissonneuse-batteuse va bien au-delà autour de 300 kW. Dans les deux sous-sections qui suivent, nous définissons les sources de données pour la reconstitution des effectifs des animaux de travail et des parcs de machines ainsi que les puissances associées.

Figure 2.2 : Comparaison des ordres de grandeur de puissance mécanique de travail disponible aujourd’hui exprimée en kW par unité de traction (en échelle logarithmique). Source : cette étude, voir détails dans le texte.

70 Effectif des animaux de travail

L’animal de travail22 occupe une place déterminante dans l’énergie utilisée par le métabolisme

agricole préindustriel. Les effectifs des animaux de travail sont renseignés de manière discontinue dans les statistiques agricoles. Ces effectifs incluent les chevaux de travail, mulets, ânes, vaches et bœufs de travail. Nous présentons ci-après les hypothèses et les données utilisées pour la reconstitution des effectifs des animaux de travail pour chaque catégorie animale. Nous avons considéré que tous les effectifs d’animaux de l’espèce chevaline de la ferme renseignés dans les statistiques étaient des chevaux de travail entre 1882 et 1960 (INSEE, 1961; Ministère de l’Agriculture, 1898). Ces effectifs incluent chevaux, poulains, pouliches et juments. Pour les années de 1960 à 1973 qui sont critiques dans la chute du nombre de chevaux de travail, nous avons des statistiques précises de l’usage des chevaux entre chevaux pour la boucherie, chevaux de selle et chevaux pour le travail (Ministère de l’Agriculture, 1974). Pour les années de 1989 à 2013, les effectifs de chevaux de travail sont considérés égales aux effectifs des chevaux dit lourds extraites de la base de données Agreste (Agreste, 2019). Les données pour les années manquantes sont reconstruites par interpolation.

L’une des difficultés dans la reconstitution du cheptel des chevaux de travail provient du fait que les statistiques ne renseignent pas sur le cheptel des chevaux dédié aux autres usages que les travaux agricoles. Au cours de cette étude, nous n’avons pas trouvé de document statistique qui précise à la fois les effectifs des chevaux utilisés dans les exploitations de la ferme France et celui des chevaux utilisés de manière exclusive dans les autres secteurs tels que le transport hippomobile, la poste, ou l’armée. C’est pourquoi, nous avons considéré, comme le précisent certaines statistiques sans ambiguïté (INSEE, 1952) que le nombre de chevaux renseigné dans les statistiques agricoles du début de période correspond bien au nombre de chevaux de la ferme et donc à celui des chevaux de travail. D’un point de vue énergétique, l’incertitude sur le nombre de chevaux a peu d’impact car les statistiques indiquent directement le nombre total de journées de travail pour tous les chevaux (Ministère de l’Agriculture, 1898).

Les effectifs de bœufs de travail sont renseignés pour les années 1882,1892,1929,1938 et pour toutes les années entre 1948 et 1970. Pour les années manquantes, nous avons considéré que les bœufs de travail représentaient 72% de l’effectif total de bœufs, qui est le ratio moyen des

22 Nous choisissons le terme animal de travail en considérant que ce terme englobe d’autres appellations comme

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années 1882,1892,1929,1938. Les effectifs de vaches de travail sont renseignés pour toutes les années entre 1948 et 1970. À partir de ces données, nous en déduisons que les vaches de travail représentent 20% du cheptel de toutes les vaches et nous appliquons ce rapport constant sur le cheptel total de vaches pour les années de 1882 à 1947. Nous considérons que les effectifs de bœufs et vaches de travail sont nuls à partir de 1970 (en 1969, ils sont respectivement moins de 50 000 et 95 000). Enfin, nous considérons que tous les ânes et mules des statistiques agricoles sont des animaux de travail pour toute la période.

Figure 2.3 : Évolution de la surface de l’avoine (en Mha, axe de gauche) comparée aux effectifs de chevaux de la ferme en France (en millions de têtes, axe de droite) entre 1882 et 2013. Source : voir détails dans le texte.

Avant de présenter les données des effectifs des animaux de travail, il convient d’analyser succinctement la motorisation des moyens de tractions et la substitution des animaux de travail comme un exemple emblématique d’impact de transformation sociotechnique sur l’allocation des terres dans la production agricole. En effet, il est intéressant d’examiner en parallèle les séries longues de l’effectif total des chevaux et celles des surfaces dédiées à l’avoine (Figure 2.3), qui est une culture complétement dédiée à l’alimentation des chevaux23. En 1882, l’avoine vient juste après le blé en ordre d’importance des céréales représentant plus de 25% de la surface et 30% de la production en tonnes de céréales. Les surfaces d’avoine et les effectifs de chevaux augmentent jusqu’au début de la Première Guerre mondiale, date à laquelle les surfaces d’avoine et les effectifs des chevaux sont à leurs niveaux records respectifs de 4 Mha et plus de

23 La paille d’avoine est destinée à l’alimentation de bovins et ovins et les graines d’avoines au cheval (Journaux,

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3.2 millions de chevaux. Cette augmentation entre 1882 et début du XXe siècle coïncide avec le progrès des instruments et des machines agricoles tractées qui nécessitent plus d’animaux de travail. Un exemple illustratif de cette progression de la mécanisation non motorisée est le nombre de faucheuses qui passe en France de 20 000 en 1882 à plus d’un 1.3 million en 1929 (Ministère de l’Agriculture, 1976). Ensuite vient la mécanisation motorisée avec les premières machines agricoles à vapeur et moteurs à explosion qui commencent à être utiliser dans les surfaces agricoles en France. Et au moins de 50 ans entre 1914 et 1963, les surfaces d’avoine sont divisées par 4 et l’effectif des chevaux par 4.5. Les surfaces d’avoine sont corrélées au nombre de chevaux jusque dans les années 1970, comme le montre la Figure 2.3. Nous devons isoler les deux Grandes Guerres mondiales qui sont des périodes durant lesquels les chevaux sont réquisitionnés des fermes agricoles pour être incorporés dans l’Armée française. Durant la Première Guerre mondiale, plus de 1 million de chevaux sont perdus (Milhaud, 2014). Au-delà de ces pertes de vies animales durant des circonstances terribles, la tendance de la baisse générale du nombre de chevaux est liée à l’introduction progressive à partir des années 1930 de la traction motorisée. Aujourd’hui, la France a moins de 450 000 chevaux qui sont majoritairement des chevaux de loisirs et de courses, et la surface d’avoine représente moins de 1 % de la surface des céréales. Cet exemple reflète une première conséquence de la transformation sociotechnique de système de traction à base de biomasse vers un système moteur à base d’énergies fossiles. La motorisation des machines, qui démarre dans l’entre-deux- guerres, substitue les « chevaux-vapeurs » aux chevaux de travail.

Enfin, la Figure 2.4 montre l’évolution de tous les cheptels des animaux de travail considérés dans le système de production agricole en France.

Parc des machines agricoles

Les données du parc de machines (F) et la puissance nominale des tracteurs (Pnom) sont

disponibles depuis 192924 à partir d'enquêtes statistiques menées tous les cinq à dix ans par le ministère français de l'agriculture (Agreste, 1971 ; Agreste 2016). Pour les moissonneuses- batteuses, la puissance nominale Pnom est dérivée des fiches techniques des principales

entreprises de construction couvrant la période de 1948 à ce jour (Harvestop, 2017). Les données statistiques anciennes sur les moissonneuses-batteuses incluent les machines tractées,

24 Dans l’enquête statistique de 1929 (Ministère de l’Agriculture, 1936), les tracteurs sont divisés en tracteurs à

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qui sont soustraites du parc pour éviter un double compte (Ministère de l'Agriculture, 1963). Le parc de machines et la puissance nominale des tracteurs et des moissonneuses-batteuses sont présentés dans la Figure 2.4 et Figure 2.5 respectivement. Les moissonneuses-batteuses sont peu en nombre, mais très puissantes. Elles sont conçues pour récolter des centaines de tonnes de céréales par jour sur des centaines d'hectares et sur une fenêtre limitée des journées praticables d'une saison typique de récolte qui est de 20 à 30 jours (USDA, 1997).

Figure 2.4 : Évolution du nombre d’agriculteurs et des moyens de traction divisés en animaux de travail et machines agricoles en France entre 1882 et 2013. Sources : cette étude, voir détails dans le texte, adapté de (Harchaoui et Chatzimpiros, 2018a)

La Figure 2.4 reprend et résume l’évolution du nombre d’agriculteurs, du nombre d’animaux de travail et du nombre de machines agricoles. Le nombre de tracteurs passe de 27 000 en 1929 à plus d'un million aujourd'hui, avec un pic à 1,5 million en 1983. La part des exploitations agricoles possédant au moins un tracteur passe de 16 % en 1955 à 80 % en 1983 (Ministère de l’Agriculture, 1985). Aujourd'hui, il y a plus de tracteurs que d'agriculteurs actifs en France (Figure 2.4). L'augmentation de la taille du parc de machines (Figure 2.4) est allée de pair avec celles de la puissance des machines (Figure 2.5). La puissance nominale des tracteurs a été multipliée par quatre depuis 1948, et celle des moissonneuses-batteuses, par cinq, avec un doublement au cours des 15 dernières années.

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Figure 2.5 : Évolution de la puissance moyenne nominale (Pnom) en kW des tracteurs et des moissonneuses-

batteuses en France entre 1929 et 2013. Sources : voir détails dans le texte, adapté de (Harchaoui et Chatzimpiros, 2018a).

En résumé, la mécanisation des moyens de tractions permet au système agricole en France de multiplier par un facteur 10 la puissance mécanique installée par hectare (Figure 2.6a). La puissance mécanique installée par hectare est définie comme le rapport entre la somme des puissances nominale des agriculteurs, des animaux de travail et des machines agricoles et la SAU. Aujourd’hui, plus de 3kW de puissances nominales sont installées par ha de SAU soit plus de 84 GW au total sur la SAU totale en France. Ces niveaux de puissance sont inimagineables en terme de force musculaire. Cette puissance est du même ordre de grandeur que la puissance électrique installée du parc nucléaire et thermique en France (RTE, 2017). La Figure 2.6b montre la composition de cette puisssance entre les puissances musculaires des agriculteurs et animaux de travail et celle des machines agricoles. La transition énergétique dans les moyens de traction s’opère sur 40 ans entre les années 1930 et 1970. La puissance des machines agricoles à moteurs qui était quasi inexistante avant 1929 représente dès 1955 plus de 50% de la puissance totale disponible. En une décennie, entre 1960 et 1969, l’effectif de chevaux de travail est divisé par 6 passant de 1.5 million à 250 000 chevaux et le parc des tracteurs est multiplié par un facteur 1.8 passant de 700 000 à 1.2 million de tracteurs (Figure 2.4).

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Figure 2.6 : a. Puissance nominale mécanique installée en kW par hectare de SAU en France entre 1882 et 2013. La puissance est décomposée entre agriculteurs, animaux de travail et machines agricoles b. La part relative de chacun de ces moyens de traction dans la puissance mécanique totale (%). Source : voir détails dans le texte.