• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3 : Caractérisation des transitions agricoles et implications pour la capacité

3.2. Efficacité d’utilisation de l’azote et autosuffisance en azote

métabolisme agricole en nous appuyant sur le schéma de la Figure 3.1 qui rappelle le bilan azote de l’agriculture.

L’efficacité totale de l’utilisation d’azote (NUEtot) est définie comme le rapport entre la sortie

azote du système sous forme de production nette (N_NP) et la somme des entrées d’azote (Ntot) étudiées respectivement dans les sections 1.3.5 du chapitre 1 et section 2.3.1 du chapitre

2 :

𝑁𝑈𝐸𝑡𝑜𝑡 = 𝑁_𝑁𝑃 𝑁 𝑡𝑜𝑡

La NUEtot est un riche indicateur qui englobe l’ensemble des efficacités de gestion de

l’azote au sein du système agricole. Il intègre à la fois l’efficacité d’utilisation d’azote dans les cultures arables (NUEcultures), l’efficacité de conversion azote de la production animale (NCE

étudié dans le chapitre 1), le taux de recyclage de l’azote des effluents d’élevage (β) (égal à 0 s’il n’y a pas de recyclage et 100% dans le cas d’un recyclage parfait théorique). Nous étudions plus en détail dans le chapitre 4 la relation entre NUEtot et les trois efficacités partielles

d’utilisation de l’azote en agriculture (NCE, NUEcultures, β) à l’appui d’un modèle théorique de

bilan. La NUEtot permet de quantifier facilement les pertes totales d’azote d’un système agricole

vers l’environnement ( 𝑁𝑝𝑒𝑟𝑡𝑒𝑠) avec l’équation en fonction des entrées totales : 𝑁𝑝𝑒𝑟𝑡𝑒𝑠= 𝑁𝑡𝑜𝑡× (1 − 𝑁𝑈𝐸𝑡𝑜𝑡). La littérature scientifique renseigne davantage sur la NUE des cultures

98

arables (Lassaletta et al., 2014a; Zhang et al., 2015) que sur la NUEtot qui couvre le système

agricole dans sa globalité.

L’autosuffisance en azote34 est définie comme le rapport des entrées locales d’azote (dépôt

atmosphérique d’azote 𝑁𝑎𝑡𝑚 et fixation biologique d’azote 𝐵𝑁𝐹) à la somme totale des entrées : 𝑁𝑎𝑢𝑡𝑜𝑠𝑢𝑓𝑓𝑖𝑠𝑎𝑛𝑐𝑒 =(𝑁𝑎𝑡𝑚+ 𝐵𝑁𝐹)

𝑁𝑡𝑜𝑡

⁄ . L’autosuffisance en N est une caractéristique macroscopique clé du métabolisme agricole, permettant de mesurer le degré de dépendance aux sources externes au système, telles les engrais industriels et l’azote importé sous forme d’aliments du bétail.

Figure 3.1: Schéma du métabolisme azote du système agricole et périmètre du calcul de l'efficacité totale de l'utilisation azote (NUEtot) qui est le rapport entre la production nette agricole exprimée en azote (N_NP) et la

somme des entrées d’azote (Ntot). Sources: cette étude, adapté de (Harchaoui et Chatzimpiros, 2018a).

Pour faciliter la lecture de l’analyse qui suit, nous avons regroupés les deux composantes du rapport de la NUEtot dans la même Figure 3.2a. La Figure 3.2b montre en parallèle le résultat

obtenu pour les évolutions de NUEtot et 𝑁𝑎𝑢𝑡𝑜𝑠𝑢𝑓𝑓𝑖𝑠𝑎𝑛𝑐𝑒.

34 Notre appellation autosuffisance en azote (N) diffère du taux d’autosuffisance protéique qui est un autre

terme parfois utilisé par les politiques ou économistes pour désigner l’autonomie d’un pays ou d’une région en comparant la demande intérieure de protéines avec la production intérieure (Union Européenne, 2018).

99

Figure 3.2: a. Somme des entrées d’azote comparée à la sortie sous forme de production nette d’azote (TgN) b. Efficacité totale d'utilisation de l'azote (NUEtot) et l’autosuffisance en azote (%) de l’agriculture française entre

1882 et 2013. Sources: cette étude, adapté de (Harchaoui et Chatzimpiros, 2018a).

La transition azote démarre juste après l’invention du procédé Haber-Bosch de 1913 pour la synthèse de l’ammoniac mais s’inscrit dans un temps relativement long. Comme nous l’avons examinée dans le précédent chapitre pour les entrées d’azote du système, cette période est caractérisée par l’augmentation des apports externes d’azote sous forme d’engrais industriels et des importations d’aliments du bétail qui vont reléguer les entrées locales d’azote (BNF et Natm) au second plan. L’autosuffisance en azote chute de 93% en 1892 à 19%

aujourd’hui (ligne bleue sur la Figure 3.2b). La dynamique temporelle de la NUEtot suit une

trajectoire complexe dans laquelle nous pouvons distinguer deux phases opposées (ligne rouge sur la Figure 3.2b). Tout d'abord, la première phase qui s’étale sur une période d'un siècle allant de la fin du XIXe siècle aux années 1970 est caractérisée par une baisse longue et continue de la NUEtot de 90 à 25 %, dont la moitié a lieu entre 1950 et 1970. Cette baisse est corrélée à

l'augmentation de la production nette d'azote (ligne rouge sur la Figure 3.2a) dans un contexte d'abondance sans précédent d'engrais industriels et de politiques stimulants le productivisme

100

sans régulation environnementale (Commission général du Plan, 1946)35. Cette transition azote

apparaît aujourd'hui comme une expérience à ciel ouvert pour l'agriculture qui a favorisé des économies d'échelle et le découplage de l'élevage et des cultures végétales (Cowling et Galloway, 2002). En totale contradiction avec l'agriculture traditionnelle, le découplage des systèmes de culture et d'élevage entrave le recyclage de l'azote des effluents d’élevage et augmente les pertes. Le couplage séculaire entre agriculture végétale et animale permettait de fertiliser les grandes cultures à partir des légumineuses fourragères non-comestibles par l’homme (Chatzimpiros et Barles, 2013). Le recyclage de l'azote des effluents d’élevage aux terres arables des grandes cultures était à la fois la pierre angulaire du maintien de la productivité dans les systèmes préindustriels et le facteur clé d’une NUEtot élevée pendant la

première moitié du XXe siècle36. Notons que des valeurs de NUEtot supérieures à 100 %, comme

en 1893, peuvent correspondre à une bonne année pour les céréales et une mauvaise année pour les légumineuses, conduisant ainsi à un bilan déséquilibré avec déstockage et appauvrissement ponctuel en azote des sols.

La deuxième phase s'étend de la fin des années 1970 à nos jours et se caractérise par un doublement de la NUEtot de 25 à 50 % en parallèle du triplement des rendements des principales

cultures (détaillé dans le chapitre 1). Cette tendance est contraire à celle de la première phase et à ce qui est habituellement observé, à savoir que l'augmentation des rendements des cultures implique la dégradation de la NUEcultures (Tilman et al., 2002). Durant cette deuxième phase, la

croissance concomitante de la productivité et de la NUEtot suggère un " âge d'or "

d'intensification de la production grâce à l'amélioration des pratiques agricoles guidées par des directives et un ensemble d’outils visant une gestion plus efficace des nutriments. La directive principale est la directive européenne de 199137 (EU, 1991) sur les nitrates qui va viser à réduire

35 Voir pour plus de détails, la perspective d’une histoire politique de Bonneuil et al. (2012) pour cette période

clé 1946-1948 de transformation des politiques agricoles favorisant le développement parallèle de la mécanisation, la voie hybride et l’emploi des engrais chimiques.

36 Le chimiste et agronome français Barral (1863) écrit « il suffit de rappeler que le secret de l'abondance des

moissons réside uniquement dans du fumier, du fumier et toujours du fumier ».

37 Directive n° 91/676/CEE concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de

101

la pollution des eaux et définir des zones vulnérables. Cette mesure met un frein à la fertilisation excessive et pousse les entrées totales de N à la baisse à partir des années 1990 (Figure 3.2a). Aujourd'hui, la France compte 50 % de plus de production nette (Figure 3.2a) et 20 % de moins d'entrées d'azote que dans les années 1980 (Figure 3.2a). Aujourd’hui, la marge d’amélioration de la NUEcultures des grandes cultures est limitée. En effet, la France a déjà réussi à augmenter

le NUEcultures à une valeur estimée à 70 % et avec des rendements de production de blé par

exemple au-dessus de 7 t·ha-1 (Lassaletta et al., 2014a). De ce point de vue, la France fait partie d’une poignée de pays qui sont parvenus à pratiquement maximiser à la fois les rendements et NUEcultures (Lassaletta et al., 2014a). Il est difficile d’estimer avec certitude la valeur maximale

que la NUEcultures pourrait atteindre lorsque les pratiques agricoles de fertilisation azotée sont

optimales à l’échelle nationale. En revanche, les possibilités d’améliorer le niveau de la NUEtot

qui est à 50% aujourd’hui (Figure 3.2b) existent et passent par une meilleure intégration spatiale entre les systèmes de culture et d'élevage, qui permettrait alors d'améliorer le recyclage de l'azote provenant des effluents d’élevage (Delaby et al., 2014).

Enfin, contrairement à la multiplicité des approches de calcul de l’indicateur de retour sur