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La posture de reconnaissance à l’égard de l’infirmier débutant par les médecins : cas

Dans le document Le sentiment identitaire professionnel (Page 179-185)

Chapitre 2 : La reconnaissance professionnelle reconnue et vécue par les débutants

3. La posture de reconnaissance à l’égard de l’infirmier débutant par les médecins : cas

Contexte des débuts professionnels :

Katie (IDE 1) travaille depuis trois mois dans un service de soins en oncologie, premier poste depuis sa prise de poste en tant qu'infirmière. Elle a choisi son service d’affectation. Elle a bénéficié d'un mois complet d'intégration qui a pris la forme d'un tutorat en doublon avec une infirmière expérimentée.

Quatre mois après sa prise de poste en tant qu’infirmière dans un service de gériatrie, Nicole (IDE 2), la nouvelle diplômée décrit des situations vécues dans lesquelles des indices de reconnaissance peuvent être relevés. Elle n’a pas vécu de période d’intégration lors de sa prise de poste. Elle est venue observer une infirmière du service pendant une semaine avant d’être embauchée, et ce sur son temps personnel.

Marc (IDE 3) a débuté en tant qu’intérimaire puis il a pris son second poste depuis deux mois dans le service d’accueil des urgences pour lequel il avait postulé et dans lequel il avait déjà réalisé son stage durant sa dernière année de formation.

Anne (IDE 4) a pris son poste en tant qu'infirmière il y a quatre mois dans un service de psychiatrie adulte, directement après le diplôme. Elle n’a pas été tutorée pendant sa période d’intégration.

Le médecin comme un acteur de la reconnaissance institutionnelle professionnelle des infirmiers débutants

Le médecin se situe comme un acteur de la reconnaissance institutionnelle professionnelle. Dans une partie de son rôle professionnel, l’infirmier applique la prescription médicale, tout en restant personnellement responsable de ses actes professionnels (Art. R. 4312-32) et de ses décisions.

L’évocation d’une situation professionnelle qui s’est déroulée alors que la débutante était seule le premier jour de travail, décrit la première confrontation professionnelle au médecin du service :

Après mon mois d’intégration, où du coup j’ai été confronté moi directement au médecin, donc ce premier jour j’étais de l’après-midi, donc je faisais les entrées, donc j'ai pu faire les entrées. Moi j’étais avec le binôme aide-soignante, et elle a pu me demander comment je procède. […] Où j’ai pu prendre des décisions, où j’ai été confronté au médecin, au médecin qui pose des questions sur les patients, qui est arrivé, prendre la prise en charge toute seule du patient du début, répondre aux questions du patient (Katie, IDE 1, EdE 1, ligne 43).

La reconnaissance institutionnelle peut être perçue par l’infirmière débutante lors des échanges verbaux et non verbaux (ici, le regard) avec le médecin du service. Elle évoque une situation qui illustre une reconnaissance de son changement de statut d’étudiant à infirmier.

(le médecin) parce qu'il me parlait vraiment en tant que professionnelle, voilà vraiment je me suis sentie […] c'est qu'il avait confiance en moi, le fait que j'ai réussi à poser ma voie d'abord […] car j'avais quand même un peu de pression et donc le fait d'y arriver, voilà, sans trembler, j'étais un peu fière de moi, voilà [**] et lui, il m'a regardé comme si cela faisait un petit moment que j'étais dans la maison, voilà, alors que ce n'était pas le cas et il le savait alors (Nicole, IDE 2, EdE 2, ligne 208 ).

La reconnaissance professionnelle émanant des médecins peut se traduire vis-à-vis du groupe professionnel des infirmiers, plus qu’à l’égard d’un seul infirmier.

Il y a beaucoup de médecins, d’internes, qui disent c’est vrai franchement sans vous les infirmiers, on est pas grand-chose. Parce que nous, ils nous disent, on écrit que le papier, on vous dit quoi faire, on vous guide, mais si vous n’étiez pas là, on ferait rien, il y aurait rien qui avancerait, et on serait un peu… on est leur bras droit en fait (Marc, IDE 3, EdE 3, ligne 268).

La reconnaissance professionnelle de la part des acteurs non mandatées par l’institution (équipe de soins) et mandatées (cadres et médecins) (De Ketele, 2011) peut prendre l’allure d’une reconnaissance anticipée par un stage de formation réalisé sur le lieu de la prise de poste. Cette reconnaissance anticipée favorise l’intégration du débutant. Le cas de Marc le démontre car en effet, il se sent intégré dans l’équipe des urgences. Cette intégration est exprimée en termes de complicité avec les membres de l’équipe interprofessionnelle.

Je connaissais déjà l’équipe, ils savaient ce que je valais, ils me connaissaient (Marc, IDE 3, EdE 3, ligne 30).

Anne évoque une situation professionnelle de gestion d'une urgence. Un patient se présentant dans le hall de l'hôpital fait subitement une crise et se retrouve à terre. L'alerte est donnée comme le prévoit la procédure et l'ensemble du personnel disponible des unités de soins accourt.

Les deux médecins sont restés là et nous (les infirmiers) demandaient de faire des choses, et du coup il relevait de mon service car il n’était pas hospitalisé, du coup, c’est moi qui me suis occupée, d’aller prendre des gants, de prendre la tension (Anne, IDE 4, EdE 4, ligne 152).

La reconnaissance institutionnelle du rôle de l'infirmière débutante, en poste sur l'unité de soins dans lequel va être hospitalisé le patient, renforce le sentiment d'appartenance professionnelle. Dans cette situation, on est face à une reconnaissance assignée (Jorro, 2009) par les médecins qui situent la néo-infirmière dans son rôle d'infirmière. Ils la reconnaissent à ce moment-là comme une infirmière de ce poste de travail et non pas, comme un sujet « Anne, une infirmière qui débute et vit un processus de transformation identitaire ». L'identité professionnelle est alors plutôt prescrite par des membres de l'équipe pluridisciplinaire. Ce mode d'injonctions s'appuie sur la distribution des rôles et des taches dans une équipe. Il relève de la logique de la reconnaissance de la culture professionnelle (Thévenet & Neveu, 2002). Cette dernière est caractérisée par une référence à la culture d’établissement, à ses normes et valeurs. La situation montre ici une organisation des soins et de la collaboration se rapportant aux rôles prescrits et aux représentations que chacun se fait du rôle des autres acteurs professionnels, « Il relève de ton service » (EdE 4, ligne 185). Cette reconnaissance assignée entraîne une attitude très prescriptive dans certaines situations professionnelles, ici du médecin vis-à-vis de l’infirmière en poste.

Le médecin m’a demandé de lui prendre une glycémie, je suis allée chercher tout ce qui fallait pour prendre une glycémie, lui prendre une tension (Anne, IDE 4, EdE 4, ligne161).

On est face à une posture de contrôle de la professionnalité par autrui, ici les médecins. La posture de contrôle d’une identité assignée réduit l’identité professionnelle de l’infirmière à celle d’une infirmière « exécutante ». Ce n’est pas le vécu de cette posture de reconnaissance assignée qui influence le sentiment identitaire de cette infirmière.

En effet, dans cette situation de prise en charge d'un patient dans une situation d'urgence, c'est surtout le rôle prescrit (non autonome) de l'infirmière qui est mobilisé. Le ton des médecins est alors très directif, sous la forme d'ordres vis-à-vis des infirmiers. Ils lui rappellent sa

responsabilité en tant qu'infirmière dans la prise en soins effective du patient. Ces attitudes et comportements s'appuient sur des protocoles et des procédures bien huilées, chaque membre de l'équipe sait ce qu'il a à faire, connait son rôle exact et son niveau de responsabilité.

Les médecins m’ont dit « puisqu’il est de ton service, on va l’accompagner dans une chambre et on va l’allonger ; de toute façon, tu l'aurais vu en entretien, il relève de ton service » (Anne, IDE 4, EdE 4, ligne 185).

4. La posture de reconnaissance à l’égard de l’infirmier débutant

par les collègues de travail, les bénéficiaires des soins, les

stagiaires et les proches du débutant : cas de Katie, Nicole, Marc

et Anne

Dans la verbalisation du vécu subjectif des débutants infirmiers, les acteurs non mandatés par l’institution (De Ketele, 2011) sont décrits. Il peut s’agir des collègues infirmières, des aides- soignantes, des patients, des stagiaires et aussi, de la famille et des proches du débutant lui- même. La sphère personnelle intervient dans la reconnaissance professionnelle dans la mesure où le sujet est influencé par la reconnaissance des personnes qui ont de la valeur à ses yeux. Erikson (1968, p. 173) évoque « l'assurance intérieure d'une reconnaissance anticipée de la part de ceux qui comptent » comme faisant partie des sentiments pouvant être éprouvés personnellement par le sujet lorsque celui-ci déploie un sentiment identitaire optimal.

Le sentiment optimal de l'identité est, d'autre part, vécu simplement comme un bien-être psychosocial. Ses concomitants les plus manifestes sont le sentiment d'être chez soi dans son corps, le sentiment de « savoir où on va » et l'assurance intérieure d'une reconnaissance anticipée de la part de ceux qui comptent (Erikson, 1968, p. 173).

L’infirmière débutante peut s’avérer être une ressource pour l’aide-soignante dans la collaboration. Cette présence professionnelle, témoin de ses capacités, peut déclencher la reconnaissance de l’infirmier débutant vis-à-vis de lui-même. De même, la démonstration aux collègues de travail de ses capacités professionnelles renforce la reconnaissance.

Je faisais les entrées, donc j'ai pu faire les entrées. Moi j’étais avec le binôme aide-soignante, et elle a pu me demander comment je procède. Moi j’étais là en premier plan, pour parler au patient […] (Katie, IDE 1, EdE 1, ligne 45).

Ben, j'étais capable [**] parce que quand on est assis dans un bureau et qu'on mène des entretiens, c'est du travail infirmier. Mais là [/] gérer une urgence, montrer qu'on est capable, ça c'est bien (Anne, IDE 4, EdE 4, ligne 269).

La reconnaissance des acteurs de l’équipe lui confère une place d’infirmière dans l’équipe. Demander l'avis de l'infirmière débutante, c'est la considérer comme appartenir à l'équipe pluridisciplinaire, qu'elle a un rôle à jouer dans la prise en charge du patient, qu'elle participe aux décisions prises concernant celui-ci.

C’était lors des réunions quand on me demandait aussi mon avis, pour changer certaines choses (Nicole, IDE 2, EdE 2, ligne 238).

Là il y avait le psychologue (…) on avait peur qu'il (le patient) refasse une tentative de suicide. Et donc il m’avait demandé mon autorisation à moi, si on lui prenait un téléphone sans fils, si voilà, avec les médecins bien sûr (…). Mais c’est vraiment le médecin et moi qui avons décidé. Du coup c’était tout bête, mais le fait qu’on m’ait demandé mon avis, voilà je me suis sentie un peu importante aussi [**] dans les décisions à prendre (Nicole, IDE 2, EdE 2, ligne 264).

La reconnaissance de la famille et des proches de l’infirmier débutant : vécu de Katie et d’Anne

La reconnaissance professionnelle passe aussi par des autrui significatifs qui renvoient au débutant infirmier des signes de reconnaissance. Cette reconnaissance par la famille et les proches du débutant infirmier influence également la reconnaissance de soi par soi.

La reconnaissance des proches inscrit le débutant infirmier dans une place professionnelle aux yeux de sa famille mais aussi de l'infirmier lui-même.

J'ai pris le rôle d'infirmière réellement, on va dire dans le privé, c'est vrai que tous les regards étaient tournés vers moi ». « A la base, (mon père) il ne devait pas rester dans le service d'à côté mais moi je voulais qu'il soit là, ouais, moi j'ai pris ce rôle naturellement, euh, auprès des médecins qui s'occupaient de lui. C’est mon père qui m'a rappelé dix minutes après. Ben, c'est bon, je sais pas ce que tu as dit, mais je reste là [**] (Katie, IDE1, EdE1, ligne 188).

Mon entourage était très fier pour moi, j'ai eu beaucoup de félicitations, le titre d'infirmière c'est bien ; Il y a eu mon cousin qui a appelé pour avoir un conseil, c’est plutôt flatteur, mais en même temps je n'aurais pas ça tous les jours non plus. Être plus dans le conseil, et je ne suis pas infirmière libérale, je ne suis pas médecin non plus et du coup, chacun son rôle, après être infirmière de toute la famille, pas moi (Anne, IDE4, EdE4, ligne 347).

La reconnaissance des étudiants à l’égard du débutant infirmier

Les étudiants infirmiers présents sur le service mettent l’infirmière débutante à sa place d’infirmière, responsable de leur encadrement. Ils sollicitent l’infirmière pour les accompagner dans leurs apprentissages.

Mais après parfois j’ai des doutes, est-ce que je fais les choses bien ; même avec les élèves parce qu’en ce moment, il y en a une de troisième année, je sens vraiment que je suis passée à un autre statut […]. Parce qu’elle me demande de l'aiguiller aussi, et je me dis que je ne suis plus étudiante et que je dois être capable de l’encadrer. Et là aussi on se rend compte qu'on est infirmière qu'on a des responsabilités. Bien qu'on en avait aussi avant mais on se sentait quand même plus épaulé, et là, même si on est épaulé, c'est une équipe, mais voilà c’est encore autre chose (Nicole, IDE2, EdE2, ligne 325).

Dans ce second exemple, la reconnaissance de la part des étudiants, des élèves ou des stagiaires n’est pas verbalisée par la débutante. Cependant, la situation d’encadrement mobilise chez elle son système de valeurs « c’est super important pour moi » (EdE 8 ligne

340) et déclenche un sentiment d’identité professionnelle.

Hier soir, j’ai pris le temps, il y avait deux étudiants infirmiers, je les ai pris avec moi, ça aussi ça a été reproché, mais ce n’est pas grave. Ils avaient pratiqué très peu de soins, ils avaient l’occasion de poser une sous cut chacun, et [.]. Donc oui, je peux me sentir infirmière en encadrant, oui c’est super important pour moi, ou prendre en charge deux étudiants qui peuvent être à l’école, en bac pro (Vivianne, IDE 8, EdE 8, ligne 338).

Reconnaissance de l’infirmier en tant que débutant

Cette reconnaissance de la spécificité des débuts n’apparait que dans la situation de Nicole. Les infirmières plus expérimentées reconnaissent l’infirmière débutante en tant qu’infirmière, et spécifiquement en tant qu’infirmière nouvellement diplômée. Il s’agit de la reconnaissance par des autrui significatifs de la professionnalité spécifique du débutant.

(L’infirmière expérimentée) elle me dit je comprends tu es nouvelle, on a toutes débuté (Nicole, IDE2, EdE2, ligne 97).

5. La posture de reconnaissance déclenchée par le débutant

Dans le document Le sentiment identitaire professionnel (Page 179-185)