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Notre recherche s’inscrit dans une épistémologie qualitative. Nous présenterons dans cette section le type de notre recherche. Le type de recherche peut être défini par l’objectif de recherche (explorer, décrire ou expliquer), mais aussi par le type de méthodes d’investigation utilisées (Fortin, 2010). Si nous définissons notre étude en fonction de l’objectif de recherche, nous pouvons dire que notre recherche est descriptive. Si nous définissons notre recherche en fonction des méthodes d’investigations utilisées, nous pouvons dire que notre recherche est aussi qualitative, c’est ce que nous aborderons dans les deux prochaines sections.

1.1 Une recherche de type descriptif

Notre recherche est une recherche de type descriptif (Duhamel et Fortin, 1996; Ouellet, 1994) recourant à l’éducation comparée, basée sur une enquête de terrain

« au cours de laquelle les données sont recueillies auprès d’une population ou de portions de celle-ci » (Duhamel et Fortin, 1996, p. 168). Le but de notre recherche est donc de décrire et de comparer l’activité du travail éducatif de professionnels exerçant dans deux contextes différents à des fins de compréhension. Pour Fortin (2010), « la description peut comporter deux niveaux » (p. 10) d’une part, la découverte, ou l’exploration « lorsqu’il s’agit de comprendre un phénomène vécu selon le point de vue des personnes qui en font l’expérience » (Ibid.) et d’autre part, la description qui consiste à déterminer les caractéristiques et la nature d’un phénomène pour en faire ressortir l’importance et les dimensions « dans un contexte interprétatif » (Ibid.).

1.2 La comparaison

Si Jullien (1817), l’un des pionniers de l’éducation comparée, en essayant de transposer la démarche comparative utilisée dans les sciences de l’anatomie vers le champ de l’éducation, défendait une épistémologie positiviste (Schriewer, 2006), aujourd’hui, les méthodes comparatives sont divisées en deux groupes antagonistes : "l’approche logique" et "l’approche empirique". Cette seconde approche se veut en rupture avec la première de conception positiviste (Peyron Bonjan, 2009). Connue aussi, sous le nom de Grounded theory ou théorie ancrée, cette approche ne vise pas à fournir une description exhaustive des objets, mais à développer une théorie reposant sur les faits et provenant du terrain (Ibid.). « Cette méthode tient compte des observations dans des contextes précis et ne peut aucunement viser à une généralisation » (p. 33).

Pour Meuris (2008), l’éducation comparée est marquée par deux grandes voies méthodologiques. D’une part, la voie quantitative qui s’applique sur des grands nombres de cas et utilise des outils mathématiques et statistiques. D’autre part, la voie qualitative visant la compréhension d’un nombre restreint de cas. Nous verrons, dans

la prochaine section, en quoi notre recherche est une recherche qualitative s’inscrivant dans la tradition de la théorie ancrée (Grounded theory).

Comme le rappelle Van Daele (1993), « l’éducation comparée n’a pas d’approches, ni de théories ou de méthodes spécifiques » (p. 115), mais les emprunte à d’autres disciplines, en particulier les sciences sociales. Les observations de Groux (1997) vont dans le même sens. Rechercher « une méthodologie de l'éducation comparée » (p. 118), c’est s’apercevoir qu'il y a une pluralité de méthodes, de démarches et que les débats sur les approches théoriques et la méthodologie en éducation comparée « n'ont pas permis de privilégier une théorie » (Ibid.). C’est pourquoi les démarches scientifiques hétérogènes coexistent au sein de la discipline. Nous spécifierons à présent pourquoi nous avons choisi une approche qualitative.

1.3 L’approche qualitative

Notre recherche est une recherche qualitative. Comme le note Paillé (1989), plusieurs expressions sont utilisées dans la littérature scientifique pour désigner la recherche qualitative. Tour à tour "terrain" en France, "méthode de recherche qualitative" au Québec, "qualitative research" et "fieldwork" ou "field research" en anglais, mais également « analyse qualitative, méthode de recherche qualitative, "qualitative social research", "grounded theory", "naturalistic research", ethnographie, ethnométhodologie, étude de cas, "case study", etc. » (p. 8). Comme le rappelle Paillé (1989), la recherche qualitative « doit presque tout à l’anthropologie » (p. 11). Les anthropologues à la fin du XIXe siècle ont dû inventer des méthodes de recueil de données (entretien sans questionnaire, récit de vie, observation participante) pour étudier des cultures autres qu’européennes et souvent marquées par l’absence de pratiques d’écriture (Paillé, 1989). C’est surtout avec les travaux de l’école de Chicago en Amérique du Nord dans les années 20 et les années 30, que les recherches qualitatives se développent (Ibid).

Si les recherches quantitatives visent à mesurer et vérifier, les recherches qualitatives visent à comprendre (Paillé et Mucchielli, 2012). Nous définirons donc les méthodes qualitatives avec Mucchielli (1991), comme « des méthodes des sciences humaines qui recherchent, explicitent, analysent des phénomènes (visibles ou cachés) » (p. 3) qui ne sont pas mesurables comme un style personnel de relation à autrui ou une procédure de décision ou encore une stratégie face à un problème (Mucchielli, 1991).

1.4 Approche compréhensive (ou courant interprétatif)

L’approche qualitative « vise la compréhension et l’interprétation des pratiques et des expériences plutôt que la mesure de variables à l’aide de procédés mathématiques » (Paillé et Mucchielli, 2012, p. 13), de procédures statistiques ou « d’autres moyens de quantification » (Strauss et Corbin, 2004, p. 28). Nous situons notre recherche dans une dimension qualitative, car nous nous plaçons dans une démarche de compréhension de l’activité du travail éducatif et non de sa mesure. Il s’agit donc de chercher le sens et non l’explication (Ibid.). Husén (1989) rappelant que le paradigme « dépend de l'objectif et du type de problème que le chercheur entreprend d'élucider » (p. 389), note que « le paradigme positiviste, empirique et quantitatif est plus adapté aux problèmes de politique et de planification » (Ibid.), alors que le paradigme qualitatif, « axé sur la compréhension, l'interprétation et le savoir des praticiens et acteurs s'applique mieux aux situations éducatives » (Ibid.). Le courant interprétatif, motivé par le but de comprendre le sens que les personnes donnent à leur expérience, est rattaché à la pensée de Max Weber (1864-1920) (Savoie-Zajc, 2000) et à la sociologie compréhensive (Grawitz, 2001). Pour ce sociologue, qui s’oppose45 aux positivistes (Ibid.), la préoccupation des sciences humaines devait être de comprendre les situations et les faits sociaux et humains, en opposition avec le projet d’expliquer une relation de cause à effet entre des variables constitutives des phénomènes

45 Comme le note Grawitz (2001), Weber ne fait pas allusion à son contemporain français Durkheim qui avec Comte inaugurent l’ère du positivisme. Dans un contexte qui ne favorise pas en 1870, les échanges franco-allemands, Grawitz (2001) souligne que plus qu’une opposition, la sociologie française et la sociologie allemande ont deux approches complètement dissemblables. C’est par les États-Unis où Weber connaîtra la consécration qu’il sera connu en France.

(Savoie-Zajc, 2000). Fortin (2010), oppose le paradigme naturaliste ou interprétatif postulant que la réalité sociale est multiple et construite « sur les perceptions individuelles qui peuvent changer avec le temps » (p. 25), au paradigme post- positiviste postulant « une réalité objective indépendante de l’observation humaine » (Ibid.). Tout en rappelant que de nombreuses conceptions épistémologiques existent, Lenoir, Hasni, Lacourse, Larose, Maubant, et Zaid, (2012) distinguent quatre grands courants épistémologiques : « le positivisme et le post-positivisme46; le constructivisme-interprétatif; la critique (Marxisme, émancipatoire); le féminisme post-structural » (p. 69). Ces auteurs distinguent deux axes d’interprétations épistémologiques : les interprétations réalistes et les interprétations idéalistes (Ibid.). Le Moigne (1995) distingue les épistémologies positivistes ou réalistes reposant sur des hypothèses ontologique47 et déterministe48, avec des représentants comme Platon

(427av J.-C.- 348 av. J.-C.), Aristote (384 av. J.-C. 322 av. J.-C), Auguste Comte (1798-1857) et Descartes, des épistémologies constructivistes considérant que « la connaissance implique un sujet connaissant et n’a pas de sens ou de valeur en dehors de lui » (p. 67). Dans cette perspective, Le Moigne cite Kant, Piaget et Morin (Le Moigne, 1995). Le constructivisme repose sur l’hypothèse phénoménologique (Le Moigne, 1995) selon laquelle la réalité connaissable peut être définie ou perçue « par l’expérience que s’en construit chaque sujet » (Le Moigne, 2001, p. 133). Paillé (2012) distingue « quatre grands groupes de postures épistémologiques dans les sciences humaines et sociales » (p. 5) : les épistémologies de l’action, les épistémologies critiques, les épistémologies du contrôle (basées sur la mesure du modèle explicatif) (Paillé, 2012) correspondant à une « vision classique des sciences de la nature, transposée dans les sciences humaines et sociales » (p. 6) et les épistémologies du sens reposant sur un constat phénoménologique, un constat

46 Le postpositivisme à la différence du positivisme « reconnaît que toutes les observations sont faillibles et susceptibles d’erreurs » (Fortin, 2010, p. 25).

47 « Réalité postulée indépendante des observateurs qui la décrivent » (Le Moigne, 1995, p. 19). 48 « L’hypothèse déterministe postule qu’il existe quelque forme de détermination interne propre à la réalité connaissable, détermination elle-même susceptible d’être connue » (Le Moigne, 1995, p. 21).

herméneutique, et un constat interactionniste (Paillé, 2012). C’est dans ce dernier groupe que se situe notre recherche.

Pour Paillé et Mucchielli (2012), « l’analyse qualitative s’enracine notamment dans le courant épistémologique de l’approche compréhensive » (p. 40) qui postule que les faits humains sont « des faits porteurs de significations véhiculées par des acteurs » (Ibid.). En effet, à la différence des sciences physiques ou des sciences de la nature, la réalité sociale, « champ d’observation du chercheur en sciences sociales » (p. 43), a une « signification spécifique » (Ibid.) pour les êtres humains « vivant, agissant et pensant » (Ibid.) à l’intérieur de cette réalité sociale (Ibid.). Le paradigme interprétatif s’inscrit dans l’interactionnisme symbolique et s’intéresse à « l’expérience quotidienne des acteurs » (Morrissette, 2010, p. 7), à leurs cadres de référence, à leur vécu (Horth, 1986), et « à l’univers de significations auquel les acteurs se réfèrent et donc aux logiques qui sous-tendent leurs actions » (Morrissette, 2010, p. 7). S’inspirant de l’anthropologie, de l’interactionnisme au niveau théorique (Horth, 1986; Savoie-Zacj, 2009) et de la phénoménologie au niveau épistémologique (Horth, 1986), « l’approche qualitative s’appuie donc sur des fondements épistémologiques et théoriques qui lui permettent de saisir la réalité et de comprendre le vécu des personnes de l’intérieur » (Horth, 1986, p. 20). Comme le note Mucchielli (1991), la connaissance sociologique, dans le courant de l’interactionnisme49 né avec l’école de Chicago à partir des années 50 (Paillé, 2010), ne peut pas être mise au point avec une « méthodologie de type durkheimien cherchant à extraire les données de leur contexte afin de les rendre objectives » (Mucchielli, 1991, p. 14).

L’approche compréhensive est la recherche de signification (Paillé et Mucchielli, 2012). « Alors que l’explication porte dans les sciences de la nature sur une relation de cause à effet, la compréhension dans les sciences humaines doit déceler le sens

49 Qui rompt avec le courant fonctionnaliste qui « tend à dominer le paysage sociologique à partir des années 50 » (Paillé, 2010, p. 30) dans lequel l’homme a une fonction dans la société.

d’une activité ou d’une relation » (Grawitz, 2001, p. 108). Comprendre le contexte présent permet d’atteindre le sens, car seul le contexte peut faire apparaître la signification (Paillé et Mucchielli, 2012) laquelle n’est pas dans la « connaissance des causes, mais dans la connaissance de tous les éléments présents reliés entre eux » (Paillé et Mucchielli, 2012, p. 41). Comme le rappelle Mucchielli (1991), « impossible à découper en tranches bien distinctes » (p. 15) et intégrant des aspects « très divers de la réalité» (Ibid.), le fait humain est global et incarné dans une expérience, une histoire et dans une réalité politique, économique, institutionnelle, technique, biologique, psychologique, familiale, etc.

L’approche qualitative, s’inscrivant dans la sociologie de l’école de Chicago, est l’héritière des fondements de la théorie ancrée (Grounded Theory) développée dans les années 1960, par deux sociologues américains Glaser et Strauss (Morrissette, 2010). Ces deux auteurs seront les premiers à employer le terme "qualitative research" (recherche qualitative) (Paillé, 2010). Cette tradition de recherche invite les chercheurs à aller rapidement sur le terrain car la démarche d’investigation se nourrit des va-et-vient entre construction théorique et exploration (Morrissette, 2010). L’idée est d’éviter ainsi une démarche déductive qui infligerait un modèle de référence à l’objet de recherche, « pour plutôt privilégier un processus inductif qui favorise la construction de l’objet à partir de la complexité des pratiques quotidiennes qui retiennent l’attention » (Morrissette, 2010, p. 5).

La théorie ancrée désigne « une théorie qui dérive des données systématiquement récoltées et analysées à travers le processus de recherche » (Strauss et Corbin, 2004, p. 30). « La récolte des données, l’analyse et la théorie éventuelle sont inter-reliées » (Ibid.) dans cette méthode. Le chercheur commence sa recherche avec un champ d’études plus que par une théorie préconçue (Strauss et Corbin, 2004). La théorie émerge des données recueillies sur le terrain (Ibid.). À la différence des « approches scientifiques classiques ou traditionnelles » (Guillemette et Luckerhoff, 2009, p. 6) qui s’inscrivent dans l’approche hypothético-déductive, privilégiant « l’élaboration et

la vérification ou la corroboration d’hypothèses » (Ibid.), l’approche mise au point par Glaser et Strauss, en 1967, est une théorisation empirique et inductive qui prend racine dans « l’anthropologie sociale et culturelle ainsi que dans la sociologie qualitative de l’école de Chicago » (Paillé et Mucchielli, 2012, p. 30). Nous présenterons, dans la prochaine section, la population-cible et l’échantillon prévu.