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Nous n’emploierons pas le terme "analyse de contenu" dans la mesure où comme nous le rappellent Paillé et Mucchielli (2012), il faut sortir « de la logique classique de l’analyse de contenu » (Paillé et Mucchielli, 2012, p. 325). Il s’agit de privilégier « une forme d'analyse qualitative, mais nullement d'analyse de contenu » (Paillé, 1994, p. 151). Pour Kaufmann (2008), c’est le terme « malaxage de matériau » (p. 89) qui décrirait le mieux notre démarche d’analyse.

La méthode de recueil de données et la méthode d’analyse que nous utiliserons sont des adaptations de la théorie ancrée (Grounded theory). Pour Kaufmann (2008), la théorie ancrée, en tant qu’enquête de terrain constituant un point de départ visant à fabriquer un nouveau type de théorie, évolutive et continuellement reliée aux données, est une innovation significative. Mais cette évolution d’un nouveau mode de production de théories fondées uniquement sur les faits n’est pas encore, selon lui, complètement aboutie. « À mesure de la montée en généralité en effet, le chercheur doit apprendre à se libérer de la seule induction, et d’une induction trop puriste, pour la combiner avec des propositions théoriques établies, cependant mises à l’épreuve du terrain. Il doit malaxer concepts issus du frottement avec les faits, et des concepts plus exogènes faisant le voyage inverse, vers le terrain » (p. 91).

L'expression "analyse par théorisation ancrée", fait écho aux propositions de Paillé et Mucchielli (2012). Elle constitue une traduction, mais aussi une adaptation de la grounded theory. Comme le soulignent Paillé et Mucchielli (2012), deux points de la méthode originale de la théorie ancrée sont souvent mis en discussion par les chercheurs : la recommandation d’appréhender le terrain sans lectures préalables et la prétention de la production de la théorie à partir du terrain. C’est pourquoi nous préférerons parler, à l’instar de Paillé (1994), d’analyse par théorisation ancrée. En effet, l’analyse est ancrée dans les données empiriques de terrain et la théorisation est

alors entendue comme « un processus jamais tout à fait accompli » (Paillé et Mucchielli, 2012, p. 29) « délaissant l’objectif de générer une théorie » (Ibid.).

Les procédures utilisées par la recherche qualitative sont flexibles. Elles favorisent « l’expression libre du point de vue des personnes » (Paillé, 1989, p. 20). Le terrain est un lieu de découvertes de données inattendues. Il « est imprévisible puisque, par définition, le sujet est vivant et imprévisible » (Ibid.). C’est pourquoi la recherche qualitative nous semble particulièrement adaptée pour saisir la complexité de l’activité du travail éducatif. De plus, « les personnes, lieux et groupes d’intérêt pour la recherche ne sont pas considérés comme des variables, mais comme des touts » (p. 21). Le sujet humain est ainsi considéré dans son entièreté (Paillé, 1989).

L’analyse "par catégories conceptualisantes" développée par Paillé (1994) est une adaptation de la théorie ancrée (grounded theory). Il s’agit plus d' « une démarche de "théorisation" » (p. 149) que de la production d’une grande théorie. Pour Paillé et Mucchielli (2012), l'analyse à l'aide des catégories conceptualisantes est une méthode d'analyse permettant « de jeter directement les bases d'une théorisation des phénomènes étudiés » (p. 315). Théoriser : « c'est dégager le sens d'un événement, c'est lier dans un schéma explicatif divers éléments d'une situation, c'est renouveler la compréhension d'un phénomène en le mettant différemment en lumière (Ibid.). La théorisation renvoie au processus là où la théorie renvoie au résultat » (p. 150). Paillé (1994) met en évidence six étapes :

« la codification, qui consiste à étiqueter l'ensemble des éléments présents dans le corpus initial, de la catégorisation, où les aspects les plus importants du phénomène à l'étude commencent à être nommés, de la mise en relation, étape où l'analyse débute véritablement, de l’intégration, moment central où l'essentiel du propos doit être cerné, de la modélisation, où l'on tente de reproduire la dynamique du phénomène analysé, et enfin de la théorisation, qui consiste en une tentative de construction minutieuse et exhaustive de la "multidimensionnalité" et de la "multicausalité" du phénomène étudié » (p. 153).

Depuis les « travaux fondateurs de Glaser et Strauss dans les années 1960 » (Paillé, Mucchielli, 2012, p. 321), la catégorie « est devenue l’outil analytique par excellence de l’activité de conceptualisation/théorisation » (Ibid.). Le phénomène est directement désigné par une catégorie qui « est porteuse de sens » (Paillé et Mucchielli, 2012, p. 322). À la différence de la rubrique ou du thème, ce n'est pas tant « la parole de l'acteur qui est consignée par la catégorie que son sens dans un ensemble en voie de compréhension » (Ibid.). « La catégorie prend pied sur un discours dense, de première main, qu’elle hisse à un niveau synthétique de compréhension globale » (Ibid.). Alors que le réflexe « est de classer le matériau d’analyse, donc de créer des rubriques en employant des expressions qui ont pour fonction première » (Paillé et Mucchielli, 2012, p. 325) d’assembler un groupe d’éléments, l’analyse à l’aide des catégories conceptualisantes dépasse la stricte synthèse du contenu du matériau analysé et tente ainsi d’accéder au sens (Paillé et Mucchielli, 2012). Le chercheur se situe donc plus dans un processus de questionnement que dans une codification d'un corpus existant (comme c'est le cas, par exemple, en analyse de contenu) (Paillé, 1994). « L’idée est de pouvoir saisir une portion de complexité de la vie psychologique, sociale et culturelle à travers des formules qui sont évocatrices tout en étant précises et empiriquement fondées » (Paillé et Mucchielli, 2012, p. 323).

Le phénomène de compréhension appelle « une théorie herméneutique » (Paillé, Mucchielli, 2012, p. 104) entendue comme théorie et pratique de la compréhension et de l’interprétation. Plus qu’une forme linéaire, l’interprétation prend la forme d’un dialogue herméneutique avec la compréhension d’un premier sens et l’ébauche de la compréhension du tout, constamment révisée par l’approfondissement du sens (Ibid.). Le cercle herméneutique va de la construction du tout à l’explication des parties et vice versa jusqu’à la compréhension (Ibid.). Le rôle de l’interprète est plus une contribution à la construction de sens qu’une simple lecture du texte. Le sens de ce dernier ne réside pas exclusivement dans ce que l’acteur y a mis, mais le dépasse (Ibid.). La signification n’est pas la propriété de l’analyste. La compréhension advient dans la rencontre de deux mondes : celui de l’interprète et celui de l’acteur, c’est à

dire, celui des repères interprétatifs et celui des données de terrain (Ibid.). Une double herméneutique est donc en jeu dans la recherche de terrain : la première est la construction sociale du sens par les acteurs, et la seconde est la reconstruction du sens par le chercheur analysant les données (Ibid.).