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Dès lors qu’elle est médicalisée, la procréation avec tiers donneur ne peut plus être considérée comme un acte purement privé, elle engage la société tout entière et le sens que celle-ci veut donner à la filiation. Or il est à craindre que la levée de l’anonymat ne fragilise la position et des donneurs et des parents, sans apporter une véritable réponse aux jeunes adultes qui la réclament aujourd’hui.

Tout d’abord, un certain nombre d’arguments en faveur de la levée de l’anonymat sont discutables.

Pour défendre la levée de l’anonymat, certains avancent des raisons médicales. Cependant, comme l’a rappelé M. Pierre Jouannet lors de son audition par la commission spéciale, les CECOS ont « toujours pu répondre aux questions des médecins sans avoir à révéler l’identité du donneur. Si l’on souhaitait désormais des informations génétiques plus précises, il suffirait de conserver un échantillon d’ADN des donneurs pour procéder ultérieurement à tous les tests souhaités, sans qu’il soit nécessaire, là encore, de dévoiler leur identité ». On sait de plus que l’article L. 1211-5 du code de la santé publique prévoit d’ores et déjà une dérogation au principe d’anonymat « en cas de nécessité thérapeutique ». Cet argument n’est donc pas recevable.

D’autres arguent qu’il serait utile de lever l’anonymat pour éviter de possibles rencontres incestueuses entre enfants conçus d’un même donneur. Le risque, pour exceptionnel qu’il soit, n’est pas nul qu’une personne conçue par don de sperme tombe amoureuse d’une autre conçue avec le sperme du même donneur et puisse vouloir des enfants avec elle. Mais si elle s’en inquiète, elle peut interroger le CECOS où elle a été conçue qui a les moyens, toutes les paillettes étant codées, de savoir si deux personnes conçues par don sont ou non issues d’un même donneur. Il n’est pas nécessaire pour cela de lever l’anonymat.

Surtout, la levée de l’anonymat dans le cadre de l’AMP présente le risque majeur de remettre en cause la primauté symbolique du caractère social et affectif de la filiation.

Comme l’a rappelé avec justesse M. Axel Kahn lors de son audition par la commission spéciale, « l’humanité de l’homme et son entendement l’amènent

parfois à fonder une filiation à part entière sur l’investissement affectif, comme dans le cas de l’adoption ou de la fécondation avec recours à un tiers. À l’inverse, la certitude que les enfants seront ce à quoi les destinent leurs gènes réduit la filiation humaine à celle des animaux ou des plantes à fleurs, c’est-à-dire à la filiation génétique. »

Votre rapporteur rejoint tout à fait cette approche. La filiation par le cœur, par l’esprit, et par le désir d’avoir des enfants ensemble, est ce qu’il y a de plus important dans une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur. Pour reprendre la formule utilisée par le Comité consultatif national d’éthique (1), « les parents ne sont pas des gamètes ».

Par ailleurs, la levée de l’anonymat pourrait fragiliser la position des parents et des donneurs.

Des parents tout d’abord, car la dépersonnalisation du don que permet l’anonymat est une garantie. Elle permet aux familles de se construire sereinement, sans craindre l’irruption d’un tiers dans l’existence de leur enfant, lorsque celui-ci aura atteint sa majorité.

La levée de l’anonymat du don de gamète aurait également des conséquences importantes pour le donneur. Une personne qui n’aurait aucun projet d’enfant au moment du don pourrait être confrontée 18 ans plus tard à la demande d’un, voire plusieurs, enfants en quête de leurs origines. On peut alors légitimement s’interroger sur les conséquences de la levée de l’anonymat sur l’équilibre familial du donneur. De plus, n’est-il pas culpabilisant pour un donneur d’avoir à refuser la demande d’un enfant, même s’il ne se considère investi d’aucun rôle « paternel » vis-à-vis de lui ?

Dans ce contexte, on comprend que les 157 donneurs interrogés au cours d’une enquête récente (2) aient déclarés à 61,8 % qu’ils ne feraient plus de don en cas de levée d’anonymat, soit près des deux tiers d’entre eux. Il existe un risque réel de baisse brutale des dons de gamètes, alors même que la France connaît une situation de pénurie (3).

Enfin, la levée de l’anonymat pourrait être contraire à l’intérêt des enfants.

Pour ses détracteurs, l’anonymat serait contraire au droit de l’enfant de connaître ses origines. Mais l’argument peut être aisément retourné, car la levée de l’anonymat aurait pour effet de développer le secret dans les familles.

(1) Comité consultatif national d’éthique, avis n° 90 sur l’accès aux origines, l’anonymat et le secret de la filia-tion, novembre 2005.

(2) Enquête de la fédération des CECOS, P. Jouannet, JM. Kunstmann, JC. Juillard et JL. Bresson, octobre 2006.

(3) Selon le rapport annuel de 2009 de l’Agence de la biomédecine, 469 couples ont bénéficié d’un don d’ovocytes en 2009 et 1 639 étaient en attente. Concernant les dons de sperme, le ratio entre le nombre de demandes d’AMP rapporté au nombre de donneurs acceptés est de 7 en 2009.

En effet, la majorité des parents interrogés sur le sujet estiment qu’en cas de levée de l’anonymat, ils tairaient à leur enfant son mode de conception, de peur de voir un tiers faire irruption dans leur vie à sa majorité. L’exemple de la Suède est à ce titre éloquent. Sur une cohorte de 300 enfants nés de cette technique entre 1985 et 1993, aucun n’a demandé à connaître l’identité du donneur. Selon M. Pierre Jouannet, les praticiens expliquent ce phénomène par le fait que les parents n’ont pas informé les enfants de leur mode de conception. La levée de l’anonymat encouragerait donc paradoxalement le secret.

De plus, le projet gouvernemental, tel qu’il est rédigé, crée une inégalité entre les enfants issus d’un don. En effet, l’accès à l’identité du donneur dépend uniquement de son consentement. Dans les cas où plusieurs enfants au sein d’une même famille seraient issus d’un don de gamètes, certains pourraient connaître l’identité de leur donneur alors que d’autres se le verraient refuser.

Enfin, ne faut-il pas s’interroger sur le bénéfice réel de la levée de l’anonymat au regard des conséquences sur l’équilibre des familles et la vie privée des donneurs ? Les 50 à 100 personnes qui demandent la levée de l’anonymat ne peuvent faire oublier les quelque 50 000 qui ne demandent rien. Comme l’a en effet déclaré M. Christophe Masle, président de l’Association des Enfants du Don, lors de son audition par la commission spéciale, « la levée de l’anonymat ne saurait résoudre toutes les difficultés car, conçus ou non par don, les enfants se questionneront toujours sur leurs origines. Croire que ces réponses se trouvent hors de l’individu, c’est nier sa capacité à en trouver aussi à l’intérieur de lui.

Que ces données soient désormais accessibles risque de faire croire aux enfants qu’ils en ont besoin pour se construire alors qu’il existe bien d’autres façons d’y parvenir. »

En tout état de cause, la levée de l’anonymat n’étant pas, par principe, rétroactive, le projet de loi n’apportera pas de réponse satisfaisante à ceux qui, aujourd’hui, réclament l’accès à l’identité de leur donneur.

Pour toutes ces raisons, votre rapporteur estime que la levée de l’anonymat est non seulement discutable sur le plan éthique mais également contre productive sur le plan pratique.

C’est pourquoi, sur proposition du rapporteur et avec l’assentiment d’une grande partie des députés membres de la commission spéciale, des amendements de suppression des articles 14 à 18 ont été adoptés afin de maintenir le droit en vigueur.

Cependant, les conditions de conservation des informations relatives aux donneurs par les CECOS ne sont pas satisfaisantes. Les auditions réalisées par la commission spéciale l’ont montré et il est apparu nécessaire de mieux les encadrer.

Les données non identifiantes, principalement de nature médicale, sont à l’heure actuelle conservées dans un dossier qui peut être communiqué pour des

raisons thérapeutiques. En principe, les informations touchant à l’identité des donneurs, à l’identification des enfants nés et aux liens biologiques existant entre eux sont conservées, quel que soit le support, de manière à garantir strictement leur confidentialité. Seuls les praticiens des CECOS y ont accès.

Cette pratique fait l’objet de nombreuses critiques qui n’hésitent pas à la qualifier de « double état civil ». De fait, il semble que les conditions de conservation des informations relatives aux donneurs soient variables selon les CECOS. Surtout, et bien qu’il s’agisse de données à caractère personnel, la commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) n’en a jamais contrôlé l’utilisation.

Ce vide juridique peut potentiellement mettre en danger l’anonymat des donneurs et crée inutilement un sentiment de défiance à l’égard des CECOS. Pour cette raison, la commission spéciale a adopté un amendement, à l’initiative de votre rapporteur, qui prévoit qu’un décret en Conseil d’État viendra préciser les conditions de conservation des données par les CECOS sous le contrôle de la CNIL.

V.- L’ASSISTANCE MÉDICALE À LA PROCRÉATION

L’assistance médicale à la procréation s’entend des pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, le transfert d’embryons et l’insémination artificielle.

Elle ne peut avoir que deux finalités : remédier à l’infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué ou éviter la transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité.

Les bénéficiaires doivent être des couples formés d’un homme et d’une femme, mariés ou pouvant attester d’une vie commune d’au moins deux ans. Ils doivent être en âge de procréer et ils doivent être vivants, et le décès d’un des membres du couple interdit la poursuite de l’AMP. Le couple doit demeurer uni et le dépôt d’une requête en divorce ou en séparation ainsi que la fin de la vie commune interdisent l’insémination et le transfert d’embryons.

Il est possible de procéder à une AMP en recourant à un don de gamètes, mais l’embryon ne peut être conçu avec des gamètes ne provenant pas d’un au moins des membres du couple, ce qui interdit le double don de gamètes.

Il est également possible à un couple d’accueillir l’embryon conçu dans le cadre d’une AMP mise en œuvre au bénéfice d’un autre couple, et qui ne ferait plus l’objet d’un projet parental du couple au bénéfice duquel il a été conçu, à condition que ce dernier y ait consenti. L’accueil d’embryon est subordonné à une décision de l’autorité judiciaire.

Selon le rapport annuel de l’Agence de la biomédecine, en 2008, 20 136 enfants sont nés en France grâce aux techniques d’AMP. Ils représentent environ 2,4 % des enfants nés de la population générale cette même année (828 404).

121 515 tentatives de FIV ont été réalisées, dans la grande majorité des cas avec les gamètes du couple, l’AMP intraconjugale représentant 94,5 % de l’ensemble des tentatives. Seules 94 tentatives d’AMP ont été menées dans le cadre d’un accueil d’embryon.

Les taux de grossesse échographique après tentative d’AMP, c’est-à-dire le pourcentage de grossesses après implantation des embryons, varient, selon les techniques, entre 12,6 et 29,6 %.