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La position de Ch Melman : deuxième forme de l’hystérie et parapsychose

III Diagnostiquer les psychoses

3.2. L’établissement d’une clinique différentielle névrose-psychose

3.2.2. La position de Ch Melman : deuxième forme de l’hystérie et parapsychose

La question du manque s‟installe comme problématique. On verra quelle forme elle prend dans les formulations de Ch.Melman.

Sans doute en continuation avec les Nouvelles études sur l’hystérie de 1982- 1983, Melman commence son séminaire de l‟année suivante à propos des « structures lacaniennes des psychoses » par la proposition d‟une deuxième forme d‟hystérie dont le rapport au manque de l‟Autre serait particulier. Le débat par rapport aux structures des

1

Jean Claude Maleval, 1997, op. cit., p. 192.

2

Jean Claude Maleval, 1997, op. cit., p. 194.

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psychoses est réglé1, Melman affirme d‟abord que les psychoses sont des faits de structure. La discussion tourne autour de la clinique différentielle névrose-psychose, dans laquelle l‟hystérie occupe une place prépondérante.

La question de la différence entre hystérie et psychose hystérique était d‟actualité à ce moment-là. Quoique Maleval refuse le terme de « psychose hystérique », Melman reprend les épisodes psychotiques chez les hystériques pour les reformuler.

Prenons par exemple cette deuxième forme de l‟hystérie qui s‟apparente à la psychose et se caractérise par un défaut de la «coupure originelle dans l‟Autre » (l‟Ur- coupure)2 . C‟est de cette coupure originelle inscrite dans l‟Autre que la coupure du sujet devient possible. Selon Melman, un défaut de la coupure originelle serait compensé par une espèce de « coupure volontaire (…) coupure appliquée par un sujet qui, elle, ne viendrait redoubler aucune coupure dans l‟Autre », une coupure « non prescrite et non repérée par ce qui se passerait dans l‟Autre ; donc une coupure indifférente à toute référence paternelle et phallique »3.

Melman discerne cette coupure indifférente à la référence phallique dans ce rapport avec le côté féminin des formules de la sexuation, sous-entendant que celui-ci est hors référence phallique. On trouve là un problème, car la psychose est aussi hors référence phallique. Encore que Lacan soutienne la folie de la femme, cela ne veut pas dire qu‟il y ait une parenté entre féminité et psychose. Le côté féminin des formules de la sexuation est défini par cet hors référence phallique mais c‟est un hors référence qui est cependant référé au phallus ; c‟est plutôt la dimension d‟un au-delà de celui-ci. La psychose ne partage pas ce point, car la référence phallique n‟est pas installée, il ne s‟agit pas là d‟un au-delà mais d‟un manque de celle-ci. Il y a donc chez Melman un glissement entre position féminine et position psychotique4. La deuxième forme de

1

Cf. 2.2.4 et 2.3.

2

Charles Melman, 1983-84, Les structures lacaniennes des psychoses. Séminaire 1983-1984, Paris: Éditions de l‟Association Freudienne Internationale, 1999, p. 14.

3

Charles Melman, 1983-84, op.cit., p.18.

4

« D‟une façon plus générale le diagnostic de psychose chez une femme est rendu difficile du fait que sa folie équivoque volontiers avec le tableau imaginé de ce que serait une féminité enfin accomplie » Charles Melman, 1982- 83, Nouvelles études sur l’hystérie. Séminaire 1982-83, Paris: Édition de l‟Association Freudienne Internationale, 1984, p. 228

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l‟hystérie de Melman est une hystérie qui n‟a aucune référence phallique et dont les exemples seraient les idéaux féministes et certaines formes d‟homosexualité spécialement contraignantes dans ses traits paranoïaques et persécutifs.1

Cette hypothèse s‟associe à la question que Melman se posait au début de son séminaire sur l‟hystérie « celle de savoir s‟il pourrait ex-sister un sujet moins fasciné par le père »2. C‟est étonnant que cette question trouve sa réponse dans le champ clinique de l‟hystérie et non pas dans le terrain des psychoses. Roland Chemana propose de mettre en question cette deuxième forme de l‟hystérie : « Cette forme qui semble structuralement assez différente de la forme de l‟hystérie, est-ce encore de l‟hystérie3

? », mais Melman insiste à soutenir cette seconde forme d‟hystérie spécifiée par le défaut de référence phallique. À l‟inverse, Maleval affirme que justement la présence de la signification phallique était une des caractéristiques principales de la différence entre folie hystérique et délire psychotique.

On voit bien donc qu‟un débat s‟installe par rapport à la distinction entre hystérie et psychose, allant jusqu‟à l‟attribution de caractères propres de la psychose (l‟absence de référence phallique) à l‟hystérie. Notons aussi que la psychose est conçue en tant qu‟impossibilité de coupure, étant donné que la coupure n‟est pensable que dans sa référence à un signifiant paternel. Cette coupure indifférente à toute référence paternelle et phallique n‟a donc d‟autre option que d‟être placée du côté de la névrose. La question de l‟opération d‟une coupure, d‟un manque chez les psychotiques semble être impensable.

La raison, en son opposition à la déraison, va de pair avec une opération d‟interdiction, de renoncement à une jouissance réalisé par le sujet4

. Il est pourtant intéressant de souligner cette idée d‟une coupure volontaire qui ne viendrait redoubler aucune coupure originelle dans l‟Autre. Il y a donc la possibilité d‟une coupure qui ne s‟appuiera pas dans le manque de l‟Autre, selon Melman.

1

Charles Melman, 1983-84, op.cit., p. 19.

2

Charles Melman, 1982-83, op.cit., p.13.

3

Charles Melman, 1983-84, op.cit., p. 22.

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Il renomme les présentations folles de l‟hystérie en termes de parapsychose 1 , comprenant par ce concept une « (…) tentative de résoudre l‟impasse causée par le défaut de rapport sexuel et réaction contre la distribution des places opérée par le Nom- du-Père. Réactionnel donc, il inclut la symbolisation de ce nom, même s‟il prend la voie de tenter d‟en nier toute autorité »2

Melman remarque que cette distinction entre psychose et parapsychose n‟est pas seulement une distinction théorique, mais qu‟elle implique la conduite à adopter. On se retrouve alors face à un obstacle en ce qui concerne la conception du traitement analytique des psychoses:

Les difficultés dans l‟abord clinique de la psychose ne seront pas levées tant que nous ne serons pas plus à l‟aise avec un meilleur établissement de ce que nous pourrions, de ce que nous devrions appeler une rationalité à proprement parler psychanalytique. (…) On ne peut pas dire qu‟elle reste à établir, puisqu‟elle a été longuement inaugurée, mais on sent en tout cas combien ses principes peuvent à chaque moment se trouver défaits.3

À ce propos Calligaris remarquait « On n‟ose pas dire psychanalyse quand il s‟agit d‟un psychotique.»4, en ajoutant qu‟une psychothérapie avec un psychotique bascule souvent du côté médical. Le terme « psychanalyse » se réserve au champ des névroses, quant aux psychoses, la prudence régnait. Le point précis où réside la difficulté est le transfert. À différence de Maleval, Melman défend la capacité des psychotiques à établir des transferts et il propose de reformuler l‟autisme des psychotiques en termes d‟altérisme, néologisme qui nomme le rapport privilégié avec le grand Autre. Cependant, l‟auteur note qu‟au point de vue théorique la question du transfert psychotique fait problème, « C‟est là qu‟on voit que nous sommes encore dans des amalgames grossiers »5. La discussion se tresse autour du possible-impossible

1 « Mais on conçoit que le refus hystérique de se prêter à l‟impératif phallique, autrement dit à la mascarade de la

féminité ou bien, au contraire, son acceptation massive afin d‟en lever le semblant de mesure, puisse la projeter dans l‟hors Ŕsens, réaliser une psychose (…) Pourquoi convient-il qu‟il paraisse cependant, devant un syndrome susceptible d‟associer délire, hallucinations et confusion, opportun de marquer qu‟il s‟agit non pas d‟une psychose mais de ce que justifie d‟être individualisé comme parapsychose ? » Charles Melman, 1982-83, op.cit., p.227.

2

Charles Melman, 1982-83, ibid.

3

Charles Melman, 1983-84, op.cit., p. 70.

4

Charles Melman, 1983-84, op.cit., p. 74.

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dialogue avec le psychotique. Melman était pour un dialogue possible, dialogue néanmoins chargé de fascination et de charme1. Mais Czermak lui rétorquait:

Que tu puisses dire, c‟est du possible, ne fait pas de doute là-dessus. La question est à quelles conditions? À quelles conditions puisque ce charme que tu évoquais donne l‟idée aux uns et aux autres qu‟il y a, je dirais au possible, ce dialogue ; il est mené de façon telle qu‟après tout, à quoi aboutit-il ? Nous savons que le plus souvent il aboutit, il faut bien le dire, au pire!2

Du charme de la fascination au pire3…, cela semble bien dessiner les positions des analystes à l‟égard des psychoses dans les années qui suivirent la mort de Lacan.

Par le biais du traitement, les propositions étaient presque nulles. Melman paraît avancer sur la voie de névrotiser la psychose : « C‟est un mode de guérison de la psychose, que d‟orienter ce champ de l‟Autre par une référence phallique.»4

, dont l‟exemple est Schreber, qui, selon l‟auteur, « (…) a instauré un ordre phallique artificiellement, au prix de son sacrifice (…) »5

. En même temps, Melman considérait une prétention caduque le fait de « vouloir au nom de l‟analyse opérer ce qui serait greffe du Nom-du-Père, ou symbolisation du Nom-du-Père »6. Se passer du père, à condition de s‟en servir, envisager alors le traitement des psychoses par le biais d‟une greffe du Nom-du-Père n‟étant pas spécifique d‟une démarche analytique.

D‟une part, on assiste à une dissociation entre l‟opération d‟une référence phallique et le Nom-du-Père Ŕ c‟est-à-dire que l‟instauration d‟une référence phallique artificielle est possible même si le Nom-du-Père est forclos-, d‟autre part, la question de la spécificité de la pratique analytique avec des psychotiques s‟installe comme problème, parmi tout ce qui peut se présenter sous la rubrique de la thérapeutique. La

1

Charles Melman, 1983-84, op.cit., p. 77.

2

Charles Melman, 1983-84, op.cit., p. 93.

3

« J‟ai été frappé par le fait que tu évoques le charme qu‟avaient eu pour les uns et les autres ces deux patientes que tu as examinées, le fait justement me frappait parce qu‟en ce qui me concerne, je trouve que cela n‟a aucun charme. Du coup je me posais de façon renouvelée la question : Qu‟est-ce qui fait un tel charme? J‟ai souvent eu l‟expérience de patients qui, à cause de ce charme-là, avaient été embarqués dans des analyses au titre de ce qu‟ils auraient été névrosés (…) Souvent dans ces cas-là dont j‟ai eu l‟occasion de les rencontrer, en sorte que c‟est un charme plutôt bref, souvent lié à tout le bien qu‟on se souhaite… et qui serait ce vœu d‟une espèce de transparence qui, lorsqu‟elle se présente en effet, s‟avère on ne peut plus angoissant » Marcel Czermak, 1983-84, op.cit., p.91, Intervention dans le séminaire.

4

Charles Melman, 1983-84, op.cit., p.138.

5

Charles Melman, 1983-84, op.cit., p.119.

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spécificité de la psychanalyse réside dans la vérification « des déterminations subjectives que le parlêtre reçoit de son rapport au signifiant.»1

À nouveau, la cure des hystériques folles, « parapsychotiques » semble plus encourageante que celle des psychotiques.

3.2.3. La position de J-A Miller: l’homme aux loups et l’invention de la psychose