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II Comprendre les psychoses

2.1. Avec Lacan?

Nous avons choisi de commencer le parcours des antécédents par le commentaire d‟un événement, les Journées sur les psychoses de l‟École freudienne de Paris en 1979. Cet événement et les débats qui s‟y sont déroulés, nous permettent de saisir avec précision l‟état d‟élaboration du problème de la psychose dans la communauté lacanienne pendant les dernières années de la vie de Lacan.

Les Journées sur les psychoses de l‟École freudienne de Paris ont eu lieu en avril 1979 dans l‟ombre de la crise qui avançait sur l‟École et qui allait bientôt finir par sa dissolution. Les incidentes1 autour de la question de la passe rongeaient l‟École fondée par Lacan et laissaient présager une nouvelle scission. Bien évidemment, ces journées n‟échappent pas à ces événements et elles marquent la fin d‟une série de rencontres de travail commencée en 1967. Les articles et débats publiés dans les Actes des journées permettent de se faire une idée de l‟ambiance qui régnait dans la communauté psychanalytique lacanienne à propos de la psychose avant la mort de Lacan, datée du 9

1

Voir Élisabeth Roudinesco, 2009, Histoire de la psychanalyse en France. Paris : Fayard, 2009. Spécialement le chapitre IV de la troisième partie: L‟École freudienne de Paris : la débâcle, p. 1441-1506.

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septembre de 1981. Les participants ont été nombreux1, parmi eux plusieurs membres des cartels intéressés au problème des psychoses voulaient dire leur mot sur ce sujet.

L‟ouverture des Journées par Lacan a été au moins laconique Ŕ ou peut-être ironique- se limitant, lui, à dire : «J‟ouvre le Congrès et je passe la parole à Solange Faladé.»2 Cela sera tout ce qu‟il dira pendant toutes les journées. Une première approche du sommaire des Actes nous présente une production plutôt hétéroclite, à cheval sur plusieurs domaines, où se combinent essais théoriques de comprendre la psychose et efforts pour rendre compte d‟une expérience qui mêle des pratiques hétérogènes: le travail analytique3, la contention4, la relaxation5, et même la rééducation motrice6. Une même visée semble traverser tous les articles : l‟effort pour mieux comprendre la psychose. En fait, c‟est dans ces termes que Solange Faladé, à la suite de Lacan, a présenté les journées :

(…) un certain nombre de cartels s‟intéressant au problème Ŕ disons entre guillemets : des „psychoses‟- ont voulu nous faire part de l‟état de leur travail, de leurs interrogations et parfois de ce qui leur paraissait pouvoir être un début de quelque chose qui pourrait nous aider à aller plus loin dans la

compréhension de la psychose.7

Dans cette direction « d‟aller plus loin dans la compréhension de la psychose», on peut entendre comme toile de fond qu‟un débat s‟allume et s‟enflamme en divisant les eaux entre les participants: celui de la structure ou l’a-structure de la psychose. Vingt après la QP - où justement Lacan a dégagé des lignes d‟efficience d‟une structure

1

« Je n‟ai pas besoin de beaucoup de monde. Et il y a du monde dont je n‟ai pas besoin.» Jacques Lacan, 1980, « Lettre de dissolution.» Autres écrits, Paris : Seuil, 2001, p. 318.

2

Jacques Lacan, 1979, « Ouverture », Lettres de l’École. Les psychoses, p. 9.

3

Voir par exemple la communication de Charles Joseph Nasser intitulée « Écoute analytique de cas dits de psychose hallucinatoire chronique » dans laquelle l‟auteur témoigne d‟un travail analytique avec un sujet psychotique à partir de certains signifiants clés et leur articulation dans une « chaîne désirante» dont l‟effet a été l‟arrêt des hallucinations et délires. (p. 110-111)

4

Jean-Jacques Moscovitz propose dans son article « La question de s‟autoriser analyste face à la psychose » que le travail de l‟analyste auprès du psychotique consisterait en la contention. (p. 94).

5

Jean- Pierre Lehmann, 1979, « Relaxation et théorie analytique, préambule d‟une recherche », Lettres de l’École.

Les psychoses, p.171 6

Christiane Bardet- Giraudon, 1979, « Éléments érotomaniaques et éléments paranoïaques dans une psychose paranoïde », Lettres de l’École. Les psychoses, p. 161.

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autre que la névrose et l‟opératoire qui fait sa spécificité- le problème surgissait encore : la question semble rester dans le statu quo ante.

Les articles témoignent de l‟embarras dans lequel se trouvaient les élèves de Lacan à ce moment par rapport à la psychose. Bien que de nombreux analystes s‟occupent des psychotiques, les efforts de théorisation de ces expériences n‟arrivaient pas à bon port:

Depuis Freud, les analystes qui ont pris des psychotiques en traitement n'ont pas manqué. Ils n'ont pas manqué de nous le faire savoir non plus, mais il faut bien reconnaître qu'une certaine intransmissibilité semble être la règle, quels que soient les efforts de ces généreux pionniers. Le séminaire de Lacan sur les psychoses date d'il y a vingt-quatre ans. Là aussi, nous avons l'impression de rester sur notre faim.1

L‟enthousiasme dépassait les possibilités de formalisation2

. Les questions théoriques ont la priorité pour les auteurs. À titre d‟exemple, on peut citer quelques interrogations surgies de la réunion préparatoire des Journées et répertoriées par Charles Melman:

Qu‟est-ce qui ferait la spécificité de la psychose ? S‟il y a à admettre que la clinique de la psychose se confond avec la clinique du rapport du sujet au signifiant, est-ce qu‟il est possible d‟en donner une illustration suffisamment parlante ? Que dire à propos de la question de la forclusion de la métaphore paternelle ?3

C‟est étonnant de constater que ces questions formulées en 1979 ont été largement traitées par Lacan en 1958 et cependant sont de nouveau posées. Cela laisse suggérer que vingt années n‟ont pas été suffisantes pour se servir des formules. Après les questions, il y a aussi quelques propositions: « Aborder la question du transfert chez le psychotique. Esquisser les possibilités d‟une figure topologique donnant support aux manifestations de la psychose. Enfin dire un mot sur la question de la cure analytique

1

Marc Strauss, 1979, Intervention à la table ronde. Lettres de l’École. Les psychoses, p. 214.

2

« Quoi qu‟il en soit, il existe dans l‟École des cartels, et ceux qui travaillent sur la question de la psychose se sont trouvés réunis le samedi 24/2, au cours d‟une réunion fort nombreuse et où des questions fort pertinentes furent posées, mais où en même temps se précise que les lignes de force susceptibles d’organiser ces journées ne

parvenaient pas à se dégager.» C‟est nous qui soulignons. Charles Melman, 1979, « Des psychoses, d‟un point de

vue lacanien. » Lettres de l’École. Les psychoses, p. 11.

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des psychoses. »1 Le transfert et la cure, deux points que Lacan a laissés « aux glossateurs de l‟avenir »2

, restent comme problématiques mais situés en fin de liste entre les inquiétudes relevées.

D‟abord, on voit bien comment les interrogations tournent autour du problème de la spécificité de la psychose, de sa structure et de la nécessité de les comprendre. Sur un deuxième plan apparaissent la question du transfert et de la cure. En 1979 le bouleversement est tel chez les disciples de Lacan qu‟ils n‟arrivent pas à se mettre d‟accord sur le point de la structure ou l‟a-structure de la psychose. Pour quelques-uns (S.André, J-A Miller, G. Pommier,) la structure de la psychose est évidente et hors discussion, pour d‟autres le terme de structure appliqué à la psychose doit être mis en question (Ch. Melman, Robert Lefort). Nous reprendrons ce débat.