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L’étude des psychoses: déficit, logique négative et le problème du sujet

III Diagnostiquer les psychoses

3.2. L’établissement d’une clinique différentielle névrose-psychose

3.2.4. L’étude des psychoses: déficit, logique négative et le problème du sujet

Le souci diagnostique des années 80 continue jusqu‟à nos jours sous la forme de nouvelles catégories qui semblent s‟imposer comme nouveaux diagnostics. La généralisation du diagnostic de psychose est à l‟œuvre. L‟innovation inclut l‟initiative de créer un vocabulaire pour rendre compte de l‟expérience analytique des psychoses.

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Marie-Hélène Brousse, 2009, « La psychose ordinaire à la lumière de la théorie lacanienne du discours. », Quarto 94-95, p. 13.

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Jacques-Alain Miller, 2009, op.cit., p. 48-49.

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Pierre Naveau essaie de saisir une spécificité du transfert des psychoses ordinaires dans son article de 2008 « Le transfert dans la psychose ordinaire », paru chez Quarto. La caractéristique transférentielle spécifique serait la présence de certains moments de transfert négatif.

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« Les symptômes Ŕ nous traitons, bien sûr, ici de symptômes psychiques (ou psychogènes) et de l‟être- malade psychique Ŕ sont des actes nuisibles ou, à tout le moins, inutiles pour la vie globale, dont la personne déplore souvent qu‟elle les exécute contre son gré, et qui s‟accompagnent pour elle de déplaisir ou de souffrance. Leur nocivité principale gît dans la dépense psychique qu‟ils occasionnent par la lutte qu‟il faut mener contre eux. (…)Étant donné que ce qui est en cause dans ce résultat est principalement qu‟ « être malade » est un concept qui est par essence pratique. Mais si vous adoptez un point de vue théorique et ne tenez pas compte de ces quantités, vous pouvez facilement dire que nous sommes tous malades, c‟est-à-dire névrosés, car les conditions pour la formation de symptômes peuvent être aussi mises en évidence chez les normaux. » Sigmund Freud, 1916, « Vingt-troisième conférence. Les voies de la formation des symptômes. », Conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris: Gallimard, 1999, p. 455-456.

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Mais celui-ci n‟a pas été incorporé par le champ freudien. Bien que le terme de psychose ordinaire soit d‟usage aujourd‟hui, en prenant de plus en plus une place dans le diagnostic, on n‟utilise plus ceux de néo-déclenchement, néo-transfert, néo-phallus ou néo-Nom-du-Père. Par contre, celui de débranchement a jouit d‟un meilleur sort.

La nouvelle nomenclature n‟entraîne pas forcément des changements par rapport à la pratique. Le poids de la tradition d‟un abord phénoménologique semble éclipser la lecture de la position subjective sous transfert.

Prenons par exemple l‟affaire de la psychose ordinaire. L‟idée d‟une « psychose dissimulée » ou «voilée » ou d‟une « psychose qui n‟est pas manifeste jusqu‟à son déclenchement »1 met l‟accent sur un abord phénoménologique, empirique, de manifestations plus ou moins discrètes. On n‟a pas l‟habitude de dire de même pour la névrose ou la perversion. On ne dit pas « névrose non manifeste » ou « perversion non manifeste », on est d‟accord là qu‟il s‟agit de positions subjectives de l‟être. On ne dirait pas qu‟une position subjective n‟est pas manifeste, car une position subjective ne peut pas se dissimuler ou se voiler à une écoute analytique : on l‟entend ou on ne l‟entend pas, mais on ne suppose pas qu‟une position subjective puisse se cacher ou se dissimuler.

L‟abord psychanalytique des psychoses paraît être marqué par la tradition clinique de la psychiatrie classique. Bien qu‟on reconnaisse les apports de celle-ci à la pensée psychanalytique, dont la naissance n‟est possible que par le geste de la psychiatrie qui réserve la folie au champ de la médecine, il semble que la tradition psychiatrique ait hypothéquée l‟avenir de la psychanalyse des psychoses. Lacan l‟avait déjà annoncé en 1967, lors de son Petit discours aux psychiatres de Sainte-Anne : ce qui ne permet pas à la psychanalyse d‟avancer dans le traitement de la psychose c‟est que les analystes reprennent la position psychiatrique, c‟est-à-dire celle de se défendre de l‟angoisse produite dans la rencontre avec le fou par des barrières protectrices (murs, peur, théorie). La théorie: le psychotique comme objet d‟étude plutôt que comme sujet en traitement. Il faut bien distinguer ce qui relève des apports de la séméiologie psychiatrique classique de ce que Lacan appelle la position psychiatrique.

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L‟introduction de la psychose ordinaire fait appel à une logique de petits indices, de manifestations discrètes qui nous rappellent les principes de la clinique de Falret, dans son opposition à la clinique pinelienne, celle des psychoses extraordinaires. La clinique psychanalytique est toujours une clinique de petits détails et non pas de signes plus ou moins intenses. La clinique psychanalytique est une clinique sous transfert et d‟effets de création du sujet. La question du sujet est réduite à l‟admiration de la génialité de certaines inventions, comme celle de Joyce qui n‟a cependant pas eu besoin d‟un analyste. L‟invention de la psychose ordinaire semble prendre appui sur un abord phénoménologique des manifestations qui laisse au deuxième plan le fait que celles-ci sont causées par une position subjective singulière. C‟est plutôt une clinique des états qu‟une clinique des positions subjectives de l‟être. Un psychotique ordinaire est quelqu‟un dont la structure subjective est psychotique mais qui ne présente pas de manifestations bruyantes.

Cette conception entraîne un abord clinique du style « ce qu‟il n‟y a pas ». La psychose ordinaire se précise par la négative « Qu‟essaie-t-on d‟épingler en parlant de la psychose ordinaire ? C‟est-à-dire quand la psychose ne va pas de soi, quand elle n‟a

pas l‟air d‟être une névrose, quand ça n‟a ni la signature de la névrose, ni la stabilité, ni

la constance, ni la répétition de la névrose. »1 La psychose ordinaire est ce qui n‟est pas une névrose ni une psychose extraordinaire. Mais, comment la définir par la positive ? Miller fait appel aux petits indices, à une question d‟intensité, de tonalité, de « plus ou moins »2, de psychoses du type roseau (psychoses ordinaires) et de psychoses du type chêne (Schreber). Plus ou moins forte, plus ou moins débile. C‟est une logique appliquée auparavant au moi, pas au sujet.

Lacan a toujours revendiqué les effets de création du sujet et n‟a jamais accepté de placer la psychose du côté déficitaire, quoi qu‟il en soit. Bien que la forclusion du Nom-du-Père soit effectivement un défaut au niveau symbolique, celui-ci est dû à une position subjective qui rejette l‟imposture paternelle. Dans les années 70, Lacan pluralise la fonction du Nom-du-Père et ce faisant, enlève la prééminence du symbolique par rapport à l‟imaginaire et le réel. Il s‟agit maintenant d‟un savoir y faire, de l‟artifice et de l‟art dont chaque sujet est capable.

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Jacques-Alain Miller, 2009, ibid. C‟est nous qui soulignons.

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Du côté de la théorisation, on constate chez les élèves de Lacan un effort pour inclure les références de Lacan des années 70, mais l‟abord des psychoses reste très marqué par la QP et la lecture rétroactive, proposée par Miller en 1979, qui y inclut la jouissance et l‟objet a. On présente le séminaire XXIII comme un progrès sur la QP, mais on lit les avancées de Lacan selon la logique des années 50. Mettre du vin nouveau dans de vieilles outres ! On accepte que le concept du Nom-du-Père des années 50 implique un défaut et une logique négative, tandis que sa pluralisation le situe comme un élément nouant, parmi d‟autres. Néanmoins les cas continuent à être élaborés selon une logique négative. On relève toujours qu‟il n‟y a pas de Nom-du-Père ou qu‟il n‟y a pas de référence phallique, mais pour la plupart des cas on a du mal à localiser ce qu‟il y a à leur place. On recourt alors aux termes imprécis comme « cession » ou « limitation de la jouissance », sans que cela permette de mieux saisir quel est ou quel pourrait être l‟élément qui maintiendrait les registres ensemble. Si la suppléance est déjà en place, on arrive à la reconnaître, mais si le sujet est en souffrance on ne voit pas bien comment le passage de la crise à une suppléance possible pourrait se produire.

La castration comme opération de régulation de la jouissance n‟est pas pensable du côté psychotique car elle dépend du Nom-du-Père, même si celle du langage vaut pour tout parlêtre, qu‟il soit névrotique, perverse ou psychotique. Le Nom-du-Père conserve sa place de privilège, même si Lacan dans les années 70 le situe comme une des suppléances possibles (entre autres) au non rapport sexuel. Le résultat est qu‟il y a quelque chose qui cloche et qui, comme tel, insiste symptomatiquement: la question du sujet dans les psychoses. Elle est manifeste particulièrement lors des échanges des journées, où les présentations des cas abondent.