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Deux portraits de poste en détail, à partir de deux exemples de travailleuses

SUIVI DE L’ÉVOLUTION DES TMS CHEZ DES TRAVAILLEUSES D’USINES DE TRANSFORMATION SAISONNIÈRE DU CRABE :

5. Deux portraits de poste en détail, à partir de deux exemples de travailleuses

La travailleuse A est au poste d’emballage à l’usine de la côte nord : à ce poste, la travailleuse doit vider le panier de crabes dans la boîte en carton. La travailleuse B occupe pour sa part le poste d’empaquetage à l’usine de la côte nord : le crabe défile sur la ligne, la travailleuse saisie le crabe sur le convoyeur et selon la grosseur, elle le déposera dans le panier devant elle ou dans le panier à coté d’elle ou encore, elle le rejettera sur le convoyeur, si la section de crabe saisie ne correspond pas à la grosseur qu’elle empaquète.

Les deux travailleuses ont rapporté des douleurs aux épaules. La travailleuse A à l’épaule droite, et la travailleuse B à l’épaule gauche. Le nombre de jours travaillés pendant la saison pour la travail- leuse A est de 69 jours et de 62 jours pour la travailleuse B. Le taux de réponse au schéma corporel est de 100 % pour la travailleuse A et de 95 % pour la travailleuse B. Le pourcentage de jours tra- vaillés, avec douleurs au début du quart, donc au début de la journée de travail, est de 100 % dans les deux cas. Le pourcentage de jours travaillés, avec douleurs à la fin du quart de travail, donc la travailleuse termine sa journée de travail avec des douleurs, est également de 100 % dans les deux cas. Ce qui est intéressant de regarder dans cette situation est le pourcentage de jours où il y a eu augmentation de la douleur entre le début et la fin de la journée de travail. En d’autres termes, le pourcentage de jours où le niveau de douleur a augmenté entre le début et la fin de la journée de travail. Ce nombre est passé :

- du niveau 2 au niveau 3 : 36 % chez la travailleuse A et, pour la travailleuse B, de 22 % environ ; - du niveau 2 au niveau 4 : 6 % pour la travailleuse A et 4 % pour la travailleuse B ;

- et le niveau de douleur passé du niveau 3 au niveau 4 est de 6 % pour la travailleuse B.

Si on regarde le nombre de jours travaillés par semaine et l’augmentation des douleurs au cours de ces journées entre le début et la fin du quart de travail, on constate que pour la semaine 3, sur sept jours de travail, il y a eu sept jours d’augmentation de la douleur ; pour la semaine 4, sur six jours de travail, il y a eu six jours d’augmentation de la douleur.

Si on regarde un peu plus loin sur le graphique, on s’aperçoit que les semaines 9 et 10, il y a eu éga- lement sept jours de travail, mais ce n’est pas sur les sept jours qu’il y a eu augmentation de la dou- leur. Par exemple, à la semaine 9, il y a eu cinq jours où, sur les sept jours travaillés, il y a eu aug- mentation de la douleur.

Donc, si on tient compte du nombre d’heures travaillées au cours de ces semaines, on s’aperçoit que, pour la travailleuse A, à la semaine 3 où il y a eu une augmentation de la douleur à chaque jour travaillé, elle a travaillé 91 heures et la semaine 4, 78 heures. Par opposition aux semaines 9 et 10, où la travailleuse cumule 72 heures, mais n’avait pas travaillé à chaque jour de la semaine. Le même portrait est semblable pour la travailleuse B, qui est au poste d’empaquetage.

Ainsi, on constate que les travailleuses ressentent effectivement des douleurs. En dépit de leur dou- leur, ces travailleuses demeurent au travail. Dans ce contexte et face à ces conditions de travail, quelles sont les stratégies auxquelles ont recours ces travailleuses pour gérer leur douleur, afin de parvenir à se maintenir au travail ?

Débutons tout d’abord par le modèle théorique sur lequel repose cette étude. Il est basé sur le mo- dèle de Nicole Vezina sur les troubles musculo-squelettiques et cette étude propose d’ajouter cer- tains éléments.

L’activité est l’élément central au cœur du modèle. L’activité de travail est réalisée par une travail- leuse, qui a ses propres caractéristiques. Et ces travailleuses, dans le cadre de mon étude, vivent des épisodes de douleur. Les travailleuses évoluent au sein d’une entreprise, qui, pour les fins de cette étude, se situe dans un contexte de travail saisonnier. L’entreprise a ses propres objectifs de produc- tion autant en termes de qualité et de quantité et donne à la personne des tâches à accomplir. Elle offre à la personne des moyens de travail en termes de dispositif technique, d’organisation du tra- vail, de structures sociales, etc.

Par ailleurs, cette étude propose d’ajouter au modèle l’aspect de « l’environnement ». Par « envi- ronnement », on entend les conditions météorologiques influençant la sortie des bateaux en mer, à savoir si les vents sont forts, s’il y a des orages et que les conditions ne sont pas très bonnes, les bateaux ne peuvent pas sortir. Les pêcheurs ont un quota de pêche qui est imposé. Cette contrainte en raison du mauvais temps incitera les pêcheurs à tenter de rapporter une plus grande quantité de crabes à l’usine pour s’assurer d’atteindre leur quota avant la date de fermeture de la zone de pêche. Tout cela va à l’usine, tout doit être transformé, on ne peut pas conserver le crabe – la matière pre- mière. Donc, cela va avoir des conséquences sur l’activité de travail. Le concept d’environnement englobe également le fait qu’il s’agisse de communautés rurales, en région éloignée et où on re- trouve peu de possibilités d’emplois. L’environnement inclut également tout ce qui concerne l’assurance-emploi et les lois qui sont associées à ce régime.

Toutes ces composantes auront un impact sur l’activité de travail des travailleuses. Les travailleuses tentent de trouver un équilibre entre la production qui est à atteindre et leur santé. Pour atteindre cet équilibre, les travailleuses réguleront leur activité de travail, notamment, en développant des straté- gies, par exemple au niveau de l’activité de travail.

À titre d’exemple. J’ai mal à la main droite, mais je veux atteindre la production qui est demandée. Donc, la façon dont je vais réguler mon activité pourrait être, par exemple, d’utiliser la main gauche, laquelle est moins douloureuse. Ceci peut être considéré comme une stratégie d’adaptation à l’activité de travail.

Ce que l’on propose d’ajouter au modèle sont des stratégies qui pourraient être développées par les travailleuses en termes de requêtes qu’elles formuleront auprès d’autres personnes pour modifier leurs situations de travail.

À titre d’exemple : Demander à la maintenance de trouver une solution pour ne pas avoir tant à m’étirer pour atteindre un panier sur le convoyeur.

Également, il y a des stratégies au niveau personnel et médical.

À titre d’exemple. J’ai mal à l’épaule, donc, je vais prendre un anti-inflammatoire.

C’est le modèle sur lequel on se réfère. Maintenant, juste avant d’aborder les stratégies plus en dé- tail, je présenterai quelques éléments méthodologiques propres à la documentation des stratégies pour vous situer.

Les données sont tirées des observations et des rencontres d’auto-confrontation réalisées en 2005 et 2006. Tels que mentionnés, trois types ou trois classes de stratégies ont été documentés : les straté- gies au niveau de l’activité de travail, requêtes faites auprès d’autres personnes pour modifier la situation de travail et sur le plan personnel et médical.

Les résultats ont mené à l’élaboration d’une catégorisation des stratégies. Et, pour chacune des ca- tégories, une définition ancrée empiriquement a été élaborée. L’élaboration des catégories a été réa- lisée, tout d’abord, à partir des stratégies des travailleuses de la côte nord que l’on a validée avec les travailleuses de Terre-Neuve.

Les stratégies correspondent au nombre total de stratégies différentes développées par chacune des travailleuses. Une même stratégie était comptée une seule fois par poste, même si la travailleuse l’utilisait à plusieurs reprises sur le même poste. Au niveau de l’activité de travail, il y a dix catégo- ries qui ont été obtenues.

Prenons les exemples des travailleuses A et B. On constate que ces travailleuses ont développé des stratégies au sein de chacune des catégories de stratégies obtenues suite à l’analyse de l’ensemble des stratégies développées par toutes les travailleuses. Si l’on s’attarde plus particulièrement sur l’une de ces catégories, par exemple, la catégorie « opérations » : on totalise trente stratégies diffé- rentes chez la travailleuse A et trente-huit stratégies différentes développées par la travailleuse B. Donc, un peu plus de stratégies différentes chez la travailleuse B.

Par exemple, quelles sont les stratégies développées au niveau de l’empaquetage par la travail- leuse B ? Cette travailleuse a développé comme stratégies pour gérer ses douleurs aux épaules, no- tamment, de nettoyer au minimum le crabe, ne pas donner de gros coups ou cogner au maximum trois petits coups. Également, ne pas peser le crabe lui permettait de gérer ses douleurs aux épaules. Un autre exemple de stratégies consistait à saisir le crabe avec le bras qui était le moins douloureux. Tout cela était réalisé dans le but de diminuer sa charge de travail pour ne pas avoir mal à son épaule gauche. D’autres exemples, tels que saisir le crabe devant elle sur la ligne et non pas s’étirer pour aller chercher le crabe, ou encore saisir la partie du crabe la plus proche d’elle et glisser le crabe sur la ligne au lieu de le soulever. Il s’agit d’un ensemble de stratégies, au niveau de l’activité de travail, que cette travailleuse a développé pour gérer sa douleur.

Par ailleurs, sur le plan des stratégies de requêtes auprès d’autres personnes pour modifier leur si- tuation de travail. Trois catégories de stratégies ressortent des analyses. On s’aperçoit qu’il y a très peu de stratégies qui sont développées par les travailleuses au niveau de l’entreprise. La travail- leuse A a développé, au total pour cette classe de stratégies, deux stratégies comparativement à la travailleuse B, qui, au poste d’empaquetage, n’en développe aucune. À la vue de ces résultats, on constate que les travailleuses expriment très peu de requêtes auprès de la hiérarchie.

Sur le plan personnel et médical, 6 catégories de stratégies ont été obtenues suite aux analyses de l’ensemble des stratégies développées par les travailleuses, soit : médication, traitement, organisa- tion à la maison, activité réalisée dans le but de diminuer la douleur, également temps qui lui appar- tient en dedans et en dehors de l’activité de travail et attitude adoptée face à la douleur. Tel qu’on le constate, cette classe de stratégies occupe une place importante dans les stratégies auxquelles ont recours les travailleuses pour gérer leur douleur.

Dans cette classe de stratégies, la catégorie « organisation à la maison » représente pour la travail- leuse A 4 % de l’ensemble des stratégies développées et 3 % pour la travailleuse B, ce qui est très semblable entre les deux travailleuses. Toutefois, lorsqu’on s’attarde à ces stratégies développées, on constate des différences entre les deux travailleuses.

Prenons l’exemple de la travailleuse B : son conjoint travaillait à temps plein et est maintenant à la retraite. C’est lui qui s’occupe de faire le ménage et d’aller faire les courses. Comparativement, dans le cas de la travailleuse A où son conjoint est un travailleur saisonnier, c’est elle qui s’occupe de préparer les repas. Une des stratégies développée par cette travailleuse pour la classe « organisa- tion à la maison » est, entre autres, de préparer des repas pour toute la saison lorsqu’elle est dans la période hors saison, des repas congelés ou des repas en conserve. Ainsi, comme elle le dit : « Pen- dant la saison quand, moi, je termine je n’ai pas à préparer de repas, car mes repas sont prêts. » Et pour le ménage, elle dit : « Lors des journées sans travail (de repos) c’est uniquement la journée pendant laquelle je vais faire le ménage, mais c’est vraiment très très minime, c’est juste passer le balai. »

Face à ces résultats, il a été décidé de mener d’autres analyses pour en savoir davantage sur la na- ture et les enjeux que peuvent représenter ces stratégies pour la santé des travailleuses. Ces analyses nous ont amenés à constater que les stratégies développées par les travailleuses peuvent potentiel- lement avoir des impacts sur la santé des travailleuses. Par exemple, en début de la saison passer deux semaines à préparer des repas pour l’ensemble de la saison pourrait éventuellement entraîner des conséquences sur la santé musculo-squelettique de la travailleuse.

En quoi les stratégies personnelles et médicales ont-elles été intéressantes et importantes à analy- ser ? Ce sont ces stratégies qui ont permis le plus de mettre en évidence à quel point les travail- leuses dépassent leurs capacités durant une journée de travail et les limites des milieux de travail. À ce sujet, voici quelques résultats, quelques constats et quelques questionnements que cela a soule- vés.