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44. Pour étudier la question des relations entre droit et langue dans les relations commerciales internationales, il nous semble nécessaire d’aborder, de façon plus générale, la question du lien entre droit et langue de façon plus générale. La question est en effet, de façon plus large, de déterminer de quelle façon le droit se saisit de la langue. La réponse est loin d’être évidente. Le droit a-t-il vraiment vocation à régler des questions linguistiques ? Quelles sont les hypothèses dans lesquelles le droit, étatique ou international, se saisit- il de la question linguistique ?

45. La langue appartient au droit dans la mesure où le droit est contraint à se saisir de la langue pour assurer d’autres objectifs politiques. Il s’intéresse à la langue de deux façons, d’une part pour la réglementer en tant que telle et édicter des règles d’orthographe, de syntaxe ou autres, d’autre part pour déterminer le statut de la langue, et définir, au sein d’un Etat, quelles sont les langues nationales et les langues officielles44, ou, dans le cas des organisations internationales, quelles sont les langues de travail.

46. La langue a souvent été vue comme un emblème de l’Etat-Nation. Les politiques linguistiques n’existent que pour servir un objectif politiquement déterminé, d’abord dans le cadre de l’Etat, désormais souvent au sein des organisations internationales, ces finalités étant diverses, et en évolution. Le législateur intervient donc pour créer un droit de la langue et établir une politique linguistique, qui consiste en la

44 Cf. Sylvain Soleil, « Langue française », in Denis Alland et Stéphane Rials (dir.), Dictionnaire de la culture

32 « détermination des grands choix en matière de rapports entre les langues et la société 45» et qui sera mise en œuvre grâce à la planification linguistique.

47. Ces deux idées de planification linguistique et de politique linguistique sont apparues parallèlement, au début des années 1960. Monsieur Einar Haugen46 utilise pour la première fois, en 1959, le terme « language planning », traduit en français par « planification linguistique », à propos de l’intervention de l’Etat norvégien qui mène alors une action linguistique standardisatrice, notamment via les règles d’orthographe. L’objectif est de donner à la Norvège, qui avait longtemps subi la domination danoise, une identité nationale, avec comme attribut une langue commune standardisée.

48. Dans le même temps, la notion de politique linguistique fait son apparition dans les travaux de chercheurs anglophones, hispanophones, germanophones ou francophones47. Il ressort de ses travaux une distinction entre la politique linguistique, c'est-à-dire les décisions du pouvoir en matière linguistique, et la planification linguistique, la mise en œuvre de ces décisions48. Les notions de politique linguistique et de planification linguistique, très liées à la sociolinguistique49, ne peuvent être envisagées qu’en lien avec le contexte dans lequel elles sont apparues et évoluent. Leur émergence correspond à la période de décolonisation d’un nombre important de pays africains et asiatiques. Monsieur Louis-Jean Calvet considère ainsi que « la politique linguistique semble être née comme réponse aux problèmes des

45 Louis-Jean Calvet, Les politiques linguistiques, Paris, P.U.F. coll. Que sais-je ?, 1996, p. 3

46 Einar Haugen, « Planning in Modern Norway », Anthropological Linguistics, 1/3, 1959, cité par Louis-Jean Calvet, op. cit., p. 4

47 Cf. notamment Joshua Fishman, Sociolinguistics, Rowley, Mass, Newbury House Publishers, 1970, Rafaël Ninyoles, Estructura social y politica linguistica, Valencia, 1975, Helmut Glück, «Sprachtheorie und Sprach(en)politik », OBST, 18, 1981, cités par Louis-Jean Calvet, op. cit., p. 6

48 Cf. Louis-Jean Calvet, op. cit., p. 8

33 pays en voie de développement ou des minorités linguistiques 50». Mais le champ de la politique linguistique est de toute évidence plus large : elle permet aussi de répondre aux problématiques linguistiques propres aux pays occidentaux, tels que la place de l’espagnol aux Etats-Unis depuis l’accroissement de l’immigration hispanique, la gestion de la langue dans les Etats plurilingues tels que le Canada, la Belgique ou la Suisse, ou en Europe en raison de la construction de l’Union européenne.

49. Les linguistes ont ainsi élaboré un certain nombre de modèles théoriques51, qui doivent permettre de rendre compte des différentes situations linguistiques, de les analyser en fonctions de quatre grandes catégories de facteurs, énumérés par Monsieur Louis- Jean Calvet :

 les « données fonctionnelles », c'est-à-dire les différentes langues véhiculaires, transnationales, grégaires, à usage religieux…

 les « données diachroniques », par exemple l’« expansion des langues, [le] taux de transmission d’une génération vers l’autre, etc. » ;

 les « données symboliques » telles que le prestige des langues, les stratégies de communication, les sentiments linguistiques de la population d’une unité linguistique ;

 les « données conflictuelles » qui regroupent les « types de rapports entre les langues, [la] complémentarité fonctionnelle ou [la] concurrence, etc. »52.

50 Louis-Jean Calvet, op. cit., p. 9

51 Cf. Louis-Jean Calvet, op. cit., pp. 24- 42

34 Les critères pris en compte par ces modèles sont très variés et regroupent à la fois des questions linguistiques, sociologiques, juridiques, ce qui permet à Monsieur Louis- Jean Calvet de considérer que « la réflexion sur les situations de plurilinguisme nous ramène à la langue de façon beaucoup plus riche. Il ne s’agit plus ici d’agir sur le corpus pour lutter contre des emprunts, par exemple, ou pour moderniser la langue, mais pour la rendre fonctionnelle afin qu’elle puisse jouer le rôle qu’on entend lui faire jouer du point de vue du statut 53». L’objectif de ces interventions n’est alors pas tant d’agir sur la langue elle-même que sur sa place dans l’unité sociopolitique en cause. La politique linguistique s’est d’abord épanouie dans le cadre de l’Etat-Nation, la langue étant souvent vue comme l’un de ses emblèmes. La question est alors de savoir si ce constat est toujours d’actualité dans une société mondialisée.

50. Il s’agit donc de déterminer en premier lieu pourquoi l’Etat intervient sur la langue : pour des raisons purement pratiques, d’efficacité de communication, d’efficacité économique, ou avec des objectifs politiques plus ambitieux ? Quelles sont alors les modalités de cette intervention étatique ? Enfin, une fois précisé le contenu de la politique linguistique au sein des Etats (chap. I), il importe de savoir comment la question linguistique est appréhendée dans l’ordre international, là où le champ d’action de l’Etat est moindre (chap. II).

53 Louis-Jean Calvet, op. cit., pp 42- 43

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Chapitre I- Les politiques linguistiques dans