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Politique de sécurité commune et politisation de l’Union européenne

1. De la Communauté européenne de défense à la Politique de sécurité et de défense commune :

1.3. Politique de sécurité commune et politisation de l’Union européenne

Évolutions historiques

Le début des années 1990 est marqué par une série d’événements historiques qui vont donner un nouvel élan à la politique étrangère et de sécurité de l’UE : la fin de la guerre froide, la réunification allemande, et le mouvement vers une union politique, entamé avec la relance

                                                                                                                         

33 Joseph S. Nye, Soft Power: The Means to Success in World Politics, New York, Public Affairs, 2004.

34 Brian Hocking et Jozef Bátora, « Introduction: Diplomacy and the European Union », The Hague Journal of

Diplomacy, vol. 4, no 2, 2009, p. 113‑120 ; Steffen Bay Rasmussen, « The Messages and Practices of the European Union’s Public Diplomacy », The Hague Journal of Diplomacy, vol. 5, no 3, 2010, p. 263‑287.

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européenne de Jacques Delors et l’Acte unique européen de 1986. Lors des négociations sur le traité de Maastricht en 1992, un compromis se dessine autour de la création d’une PESC, promue par l’Allemagne et la France, mais avec des objectifs forts différents. Les Français, ainsi que les Britanniques, soucieux de préserver l’intergouvernementalisme du système, obtiennent que l’intégration des instruments et effectifs de la CPE se fasse au sein du Secrétariat général du Conseil de l’UE, tandis que les supranationalistes (dont l’Allemagne) imposent en échange une fusion des groupes de travail de la CPE avec ceux de la Commission. Ainsi s’opère un premier rapprochement entre les logiques intergouvernementale et supranationale dans la politique étrangère européenne, amenant certains auteurs à évoquer une « fusion administrative » entre ces deux logiques35, alors que d’autres parlent de la

« bruxellisation » de la politique étrangère européenne par la mise en place d’institutions, comités, groupes de travail permanents dans la capitale de l’Europe36.

L’optimisme né de cette période de transition post-guerre froide est cependant de courte durée, en raison principalement de l’éclatement de la Yougoslavie et des guerres qui s’en suivent à partir de 1992. Les Européens se limitent à des initiatives diplomatiques préventives, mais échouent ensuite à mobiliser les capacités militaires nécessaires pour empêcher l’escalade du conflit. C’est l’intervention de l’OTAN et des États-Unis qui seule parviendra à mettre fin à la guerre entre Serbes et Bosniaques en 1995, et de nouveau à la guerre du Kosovo en 1999. Lors des divers accords de paix, l’UE se retrouve au second plan dans la diplomatie internationale.

                                                                                                                         

35 Elfriede Regelsberger et Wolfgang Wessels, « The Evolution of the Common Foreign and Security Policy. A Case of an Imperfect Ratchet Fusion », dans Amy Verdun et Osvaldo Croci (dir.), The European Union in the

Wake of Eastern Enlargement. Institutional and Policy-making Challenges, Manchester, Manchester University

Press, 2005, p. 91‑116.

36 David Allen, « Who Speaks for Europe? The Search for an Effective and Coherent External Policy », dans John Peterson et Helene Sjursen (dir.), A Common Foreign Policy for Europe? Competing Visions of the CFSP, Abingdon, Routledge, 1998, p. 41‑58.

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Les guerres des Balkans, tout comme la guerre du Golfe en 1991 et les conflits en Somalie ou au Rwanda, autres événements lors desquels les divisions politiques des Européens et leur manque criant de capacités militaires éclatent au grand jour, sont autant de durs rappels à la réalité qui vont inciter l’UE à poursuivre son intégration dans le domaine des politiques de sécurité. En 1998, la France et le Royaume-Uni se rencontrent bilatéralement à Saint-Malo, et prennent l’initiative de lancer ce qui sera en 2000 la PESD. Le rôle joué par le nouveau Premier ministre britannique de l’époque Tony Blair, et par la gauche travailliste revenue au pouvoir, est central dans le rapprochement opéré avec les Français. Les Britanniques prennent conscience de l’incapacité européenne à maitriser la sécurité sur son continent, en raison notamment du désengagement progressif des États-Unis37.

À partir de 2000 sont créés plusieurs organes institutionnels, au premier rang desquels un Comité politique et de sécurité (COPS). Ce dernier est l’émanation de l’ancien comité politique de la CPE, qui rassemble 28 ambassadeurs permanents à Bruxelles pour contribuer à la définition des politiques de sécurité de l’UE, fournir des avis au Conseil, et assurer la conduite politique et stratégiques des opérations de gestion de crises de l’UE. Parmi les autres comités progressivement mis en place, citons le CMUE, l’EMUE, ou encore le Comité civil (CIVCOM), autant d’organes permanents qui aident à la mise en œuvre de la PSDC et font qu’au début des années 2000, l’UE cesse pour la première fois de n’être qu’une puissance civile et diplomatique38.

                                                                                                                         

37 Brian C. Rathbun, Partisan Interventions: European Party Politics and Peace Enforcement in the Balkans, Ithaca, Cornell University Press, 2004.

38 Le débat intellectuel sur la nature de la puissance européenne – civile, normative, éthique, normale, ou autre – fait l’objet d’innombrables publications. Pour un bon résumé des différents points de vue, voir les numéros spéciaux suivants : Helene Sjursen, « What Kind of Power? », Journal of European Public Policy, vol. 13, no 2,

32 Constructivisme

Avec les avancées institutionnelles des années 1990, le projet politique européen prend de l’ampleur. Cette évolution a deux conséquences pour les études européennes : d’une part, elle contribue à briser les barrières intellectuelles entre politique comparée et relations internationales ; et d’autre part, elle donne du crédit aux approches théoriques qui se penchent sur la dimension normative et idéelle de ce projet d’intégration. Ces deux conséquences ouvrent la voie à l’introduction du courant constructiviste dans les études européennes, grâce à l’ouvrage collectif fondateur de Christiansen, Jørgensen et Wiener39. Dans l’introduction de cet

ouvrage, les trois auteurs énoncent une profession de foi en faveur des approches théoriques constructivistes de « moyenne portée »40, et critiquent la tendance des études européennes à

s’être constituées à partir de débats méta-théoriques infructueux, tels que l’opposition entre intergouvernementalisme et néofonctionnalisme. Leur démarche s’inscrit à l’inverse dans une volonté de normalisation des études européennes, à la suite des recherches d’inspiration néo- institutionnaliste quelques années auparavant. À partir de là, l’ouvrage a pour ambition d’analyser l’intégration européenne comme un processus de transformation, en se penchant sur le rôle des règles et normes, de l’identité, des idées et du discours dans ce processus.

Ce tournant constructiviste va connaître un retentissement important dans les recherches sur la politique étrangère et de sécurité de l’UE, suivant en cela le succès de cette approche en relations internationales. Cependant, derrière ce terme de constructivisme se cache une grande

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                              2006, p. 169‑181 ; Lisbeth Aggestam, « Introduction: Ethical power Europe? », International Affairs, vol. 84, no 1, 2008, p. 1‑11.

39 Thomas Christiansen, Knud E. Jørgensen et Antje Wiener (dir.), The Social Construction of Europe, London, Sage Publications, 2001.

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diversité de recherches et de perspectives. Premièrement, on trouve des auteurs qui analysent les dynamiques de socialisation des acteurs nationaux et européens de la politique étrangère et de sécurité, dynamiques qui résultent de leur interaction sociale de plus en plus importante dans le cadre du système institutionnel PESC/PSDC. Dans l’ouvrage de Christiansen et ses collègues, Glarbo se livre à une relecture de l’évolution historique de la CPE à la PESC41. Il y

démontre qu’il se produit de l’intégration sociale (et non politique), y compris dans un domaine intergouvernemental comme la PESC, en raison de la communication directe qui se développe entre diplomates nationaux. À travers leur interaction les uns avec les autres, ces diplomates interprètent et internalisent le jeu de la coopération européenne et ses règles, et font évoluer ces règles communes. Ils sont donc davantage qu’une courroie de transmission des intérêts nationaux à Bruxelles. Cette dimension cognitive de l’interaction sociale dans la PESC/PSDC, qui met l’accent sur le développement de croyances, normes et rôles communs, a été par la suite reprise dans de nombreux travaux42.

Deuxièmement, plusieurs auteurs ont également tenté de caractériser ces éventuelles normes européennes communes dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité. La plupart des recherches qui abondent dans le sens d’une UE comme puissance normative insistent sur le caractère démocratique et régulateur de ces normes promues à l’échelle régionale ou internationale : par exemple, le développement de politiques économiques régionales libérales,

                                                                                                                         

41 Kenneth Glarbo, « Reconstructing a Common European Foreign Policy », dans Thomas Christiansen, Knud E. Jørgensen et Antje Wiener (dir.), The Social Construction of Europe, London, Sage Publications, 2001, p. 140‑157.

42 Par exemple Ben Tonra, « Constructing the CFSP: The Utility of a Cognitive Approach », Journal of Common

Market Studies, vol. 41, no 4, 2003, p. 731‑756 ; Ana E. Juncos et Karolina Pomorska, « Playing the Brussels Game: Strategic Socialisation in the CFSP Council Working Groups », European Integration Online Papers, vol. 10, no 1, 8 février 2012 ; Ana Juncos et Christopher Reynolds, « The Political and Security Committee: Governing in the Shadow », European Foreign Affairs Review, vol. 12, no 2, 2007, p. 127‑147 ; Xymena Kurowska, « ‘Solana Milieu’: Framing Security Policy », Perspectives on European Politics and Society, vol. 10, no 4, 2009, p. 523‑540.

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la promotion du droit international, ou la lutte pour l’abolition de la peine de mort43. Pour ce

qui concerne les questions de sécurité et de défense, la réflexion constructiviste est légèrement différente, car elle met davantage l’accent sur la convergence des normes nationales en matière de culture stratégique. Un consensus assez fort se dégage chez ces auteurs sur l’émergence progressive, mais limitée, d’un certain nombre d’éléments de culture stratégique commune : l’attachement à la notion de sécurité humaine, l’apprentissage qui résulte de la conduite des opérations de gestion de crises de l’UE, ou la volonté de créer au niveau européen des structures institutionnelles et un langage de la sécurité qui reproduisent des modes de pensée hérités de l’État-nation44.

Enfin, poussant cette logique constructiviste plus loin encore, de rares recherches vont jusqu’à affirmer que le développement d’une politique européenne de sécurité et de défense est principalement un projet de construction d’une identité européenne commune.45 La PSDC n’a

pas vocation à remplacer l’OTAN, mais bien davantage à créer un sentiment d’appartenance commune chez les Européens, y compris par la coopération croissante des forces armées nationales.

On le comprend aisément à la lumière de ce dernier exemple : une des grandes critiques adressée à ce courant constructiviste est sa tendance à voir l’intégration européenne comme un processus linéaire qui irait vers toujours davantage de convergence. Dès 2001, Moravcsik

                                                                                                                         

43 Henrik Larsen, « The EU: A Global Military Actor? », Cooperation and Conflict, vol. 37, no 3, 2002, p. 283‑302 ; Ian Manners, « Normative Power Europe: A Contradiction in Terms? », Journal of Common Market

Studies, vol. 40, no 2, 2002, p. 235‑258 ; Zaki Laïdi, La norme sans la force: l’énigme de la puissance

européenne, Paris, Presses de Sciences Po, 2005.

44 Christoph O. Meyer, The Quest for a European Strategic Culture: Changing Norms on Security and Defence in

the European Union, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2006 ; Monica Gariup, European Security Culture. Language, Theory, Policy, Aldershot, Ashgate, 2009 ; Alessia Biava, Vers une culture stratégique européenne?,

Louvain-la-Neuve, Academia Bruylant, coll.« Publications de l’Institut européen de Genève », 2011.

45 Stephanie B. Anderson, Crafting EU Security Policy: In Pursuit of a European Identity, Boulder, Lynne Rienner Publishers, 2008.

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critique également la propension des constructivistes à se situer bien plus dans le domaine de la métathéorie qu’ils ne le revendiquent, et à ne pas soumettre leurs réflexions aux règles élémentaires de la falsification empirique46. Ces diverses critiques vont contribuer à faire le lit

des approches issues de la gouvernance, davantage portées sur l’analyse empirique voire descriptive de l’intégration européenne, et moins sur la généralisation théorique.