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Une pluralité d’usages assumée

243. Pour Etienne Picard, la fondamentalité est une notion structurellement relative : « Deux sortes de relativité se dégagent : une relativité formelle et une relativité substantielle. La première s'observe dans le droit positif des droits fondamentaux tels que le juge les sanctionne ; la seconde, qui en est la cause, réside en cela que la portée effective d'un droit s'apprécie nécessairement dans un contexte concret donné, qui confère à ces droits leur véritable substance.444 »

244. Un droit, qualifié dans une espèce juridique donnée, de fondamental peut ne pas l’être dans un autre cas. Cette relativité formelle fait référence au concept en tant que technique juridique de conciliation. En fonction des éléments en présence, le juge n’aborde pas la fondamentalité de la même manière. Cette relativité est notamment liée à la gravité de l’atteinte portée à un droit. Nous retrouvons cette idée de proportionnalité445 entre la gravité de l’atteinte et le caractère fondamental d’une liberté dans la rédaction de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative. La procédure du référé-liberté établit un lien entre la fondamentalité et l’existence d’une « atteinte grave et manifestement illégale. » Certes, bien que, comme le précise Bernard Pacteau : « a priori, toute atteinte à une liberté fondamentale soit grave446 »,

c’est le degré de l’atteinte qui est sanctionné et non le seul fait qu’une violation touche à une liberté fondamentale. Cette remarque peut être un facteur expliquant l’absence d’une liste des libertés fondamentales dans le corps de la loi du 30 juin 2000. Nous pouvons illustrer nos propos par un arrêt du Conseil d’Etat du 20 février 2004.447 En

444 PICARD Etienne, L’émergence des droits fondamentaux en France, AJDA, 1998, p. 6

445 « rappelons que, la jurisprudence allemande et, à sa suite, la jurisprudence communautaire estiment que le principe de proportionnalité recouvre trois exigences : une exigence d’adéquation : la mesure adoptée doit être a priori susceptible de permettre ou de faciliter la réalisation du but visé ; une exigence de nécessité : elle ne doit pas être plus restrictive que ne l’exige le but poursuivi, ce qui suppose que le choix d’une mesure moins contraignante pour les personnes concernées ou pour la collectivité n’aurait pu permettre d’atteindre à l’identique l’objectif visé ; une exigence de proportionnalité au sens strict : à supposer que la mesure soit nécessaire, encore faut-il qu’elle ne soit pas hors de proportion avec le résultat recherché, ce qui implique une mise en balance des charges créées et des avantages apportés par la réalisation de l’objectif poursuivi » GOESEL-LE BIHAN Valérie, Le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel défense et illustration d’une théorie générale, RFDC, n°45, 2001, p. 68

446 PACTEAU Bernard, Manuel de contentieux administratif, Paris, P.U.F, 2006, p. 251 447 Conseil d'Etat, Juge des référés, du 20 février 2004, 264774, inédit au recueil Lebon

l’espèce, le juge administratif rejette le moyen du requérant, basé sur la violation, par les services fiscaux, du droit à se présenter à une élection, au motif qu’il : « ne résulte pas de l'instruction que cette prise de position soit entachée d'une illégalité manifeste. » L’absence de violation entraîne un non positionnement du juge administratif sur la question de savoir si la liberté de se présenter à une élection est ou non une liberté fondamentale.

245. Un nombre important de normes reconnues par les textes ou les juges, comme ayant un caractère fondamental appartiennent déjà à d’autres catégories juridiques attachées à un fondement textuel précis. Cette relativité substantielle fait référence à la définition de la fondamentalité en tant qu’unité conceptuelle. Le contenu de ce concept ne lui est pas propre puisque les libertés qu’il renferme sont liées à d’autres notions. Il en est ainsi de la liberté de communication consacrée comme une liberté fondamentale par la décision 94-345 du 29 juillet 1994.448 Toutefois, la liberté de communication est

également garantie à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen449. Cet exemple, nous permet d’établir que le champ substantiel de la

fondamentalité recouvre le champ d’autres unités conceptuelles parmi lesquelles les droits de l’homme, le juge constitutionnel usant des deux qualificatifs possibles dans le corps de sa jurisprudence450.

448 29 juillet 1994 - Décision n° 94-345 DC Loi relative à l'emploi de la langue française Recueil, p. 106 - Journal officiel du 2 août 1994, p. 11240 « 5. Considérant que s'il incombe au législateur, compétent, aux termes de l'article 34 de la Constitution, pour fixer "les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques", d'édicter des règles concernant l'exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, d'écrire et d'imprimer, il ne saurait le faire, s'agissant d'une liberté fondamentale, d'autant plus précieuse que son existence est une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés, qu'en vue d'en rendre l'exercice plus effectif ou de le concilier avec d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle »

449 Article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi » OBERDORFF Henri, ROBERT Jacques, Libertés fondamentales et droits de l’homme, Textes français et internationaux, 8e édition, Paris, Montchrestien, 2009, p. 8

450 28 juin 1982 - Décision n° 82-140 DC Loi de finances rectificative pour 1982 Recueil, p. 45 - Journal officiel du 29 juin 1982, p. 2043 « 5. Considérant qu'ainsi il appartient au législateur de concilier, en l'état actuel des techniques et de leur maîtrise, l'exercice de la liberté de communication telle qu'elle résulte de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme, avec, d'une part, les contraintes techniques inhérentes aux moyens de la communication audiovisuelle et, d'autre part, les objectifs de valeur constitutionnelle que sont la sauvegarde de l'ordre public, le respect de la liberté d'autrui et la préservation du caractère pluraliste des courants d'expression socioculturels auquel ces modes de communication, par leur influence considérable, sont susceptibles de porter atteinte ; »

246. De cette double relativité, la fondamentalité tire deux caractères principaux. Elle apparaît comme un concept « hors normes451 » en ce qu’elle englobe des normes qui initialement ne lui correspondaient pas. De plus, elle est un concept adaptable tant aux enjeux techniques du litige comme technique de résolution des différends, qu’aux enjeux de fond car elle permet d’apporter une réponse à une question de droit nouvelle.

247. Aussi, nous nous proposons de mettre en exergue ce double caractère de la fondamentalité en démontrant en quoi ce concept apparaît, à la fois, comme un outil d’adaptabilité (chapitre premier) et de modernité (chapitre deuxième) du droit des libertés.