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178. La décision du 22 janvier 1990311 semblait marquer un nouvel élan dans le

développement du droit des libertés. Résolument plus moderne et plus ouverte aux droits conventionnel312 et communautaire313, l’expression de «libertés et droits

fondamentaux de valeur constitutionnelle » pouvait être appréhendée comme signifiant l’introduction au sein du bloc de constitutionnalité d’un élément novateur. Suscitant l’enthousiasme, les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle ne vont pas connaître l’essor attendu ou espéré. Dès 1993, leur avenir s’obscurcit lorsque le pouvoir constituant dérivé contrecarre l’interprétation donnée du droit d’asile par le juge constitutionnel. Dans la décision 93-325 DC314, le Conseil

constitutionnel donne une lecture très protectrice du droit d’asile, qualifié expressement de droit fondamental. Il y dévoile également une liste, a priori non exhaustive, des libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle. Avec le recul, nous nous apercevons que cette révision constitutionnelle, alors même qu’elle fait entrer dans le texte constitutionnel l’expression de libertés fondamentales à l’article 53-1315, marque un coup d’arrêt dans la reconnaissance de cette nouvelle catégorie juridique au niveau du contentieux constitutionnel. Les critiques émises,

311 22 janvier 1990 - Décision n° 89-269 DC Loi portant diverses dispositions relatives à la sécurité sociale et à

la santé Recueil, p. 33 - Journal officiel du 24 janvier 1990, p. 972

312A titre d’exemple CEDH, affaire Maurice contre France, n° 11810/03, 6 octobre 2005, publiée au Recueil des arrêts et décisions 2005-IX « 86. Une mesure d’ingérence dans le droit au respect des biens doit ménager un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu (voir, parmi d’autres, Sporrong et Lönnroth c. Suède, arrêt du 23 septembre 1982, série A no 52, p. 26, § 69). Le souci d’assurer un tel équilibre se reflète dans la structure de l’article 1 du Protocole no 1 tout entier, donc aussi dans la seconde phrase qui doit se lire à la lumière du principe consacré par la première. En particulier, il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par toute mesure privant une personne de sa propriété (Pressos Compania Naviera S.A. et autres, précité, p. 23, § 38). »

313 A titre d’exemple CJUE, affaire C-510/08 Arrêt 2010-04-22 Mattner « 53 À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’il résulte certes de la jurisprudence de la Cour que la nécessité de sauvegarder la cohérence d’un système fiscal peut justifier une restriction à l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité. Toutefois, pour qu’une telle justification puisse être admise, il est nécessaire que soit établie l’existence d’un lien direct entre l’octroi de l’avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé (voir arrêts Manninen, précité, point 42, ainsi que du 17 septembre 2009, Glaxo Wellcome, C-182/08, non encore publié au Recueil, points 77 et 78). »

314 13 août 1993 - Décision n° 93-325 DC Loi relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée,

d'accueil et de séjour des étrangers en France Recueil, p. 224 - Journal officiel du 18 août 1993, p. 11722

315 Loi n°93-1256 du 25 novembre 1993 constitutionnelle relative aux accords internationaux en matière de droit d'asile

notamment par le Premier ministre de l’époque Edouard Balladur316, à l’encontre de

l’utilisation du droit non-écrit par le Conseil constitutionnel, vont d’emblée fragiliser tant la légitimité et l’autorité de cette nouvelle unité conceptuelle de valeur constitutionnelle que celles de son interprète le Conseil constitutionnel.

179. Si le sens proprement juridique du concept fait débat317, les libertés fondamentales vont pourtant connaître un développement croissant. Alors que le vide normatif tenant à la détermination des droits fondamentaux demeure, ces derniers connaissent un véritable succès. De plus en plus de textes de droit interne font référence aux droits et libertés fondamentaux. La manifestation la plus probante de ce succès est la loi du 30 juin 2000318 instaurant la procédure du référé-liberté. La terminologie s’insère dans le

langage juridique, politique, social. Les cours de libertés publiques dispensés dans les facultés de droit deviennent des cours de libertés fondamentales319, de nombreux

projets ou propositions de loi ou amendements320 tentent de faire consacrer de

nouveaux droits fondamentaux, tandis que la sphère sociale, elle aussi, appelle à la consécration des droits numériques comme droits fondamentaux321. Alors que la

définition constitutionnelle amorcée des libertés fondamentales s’essouffle, la fondamentalité connaît une croissance exponentielle dans des domaines infra et extra constitutionnels.

316 Discours prononcé par M. Edouard Balladur, le 19 novembre 1993, devant le Congrès (extrait) : « Depuis que le Conseil constitutionnel a décidé d'étendre son contrôle au respect du préambule de la Constitution, cette institution est conduite à contrôler la conformité de la loi au regard de principes généraux parfois plus philosophiques et politiques que juridiques, quelquefois contradictoires et, de surcroît, conçus parfois à des époques bien différentes de la nôtre. Certains pensent même qu'il lui est arrivé de les créer lui-même. » source http://www.senat.fr

317 « La satisfaction qu'on en tire se justifie sans doute politiquement ou moralement. Juridiquement, un peu plus de réserve s'impose. Car il faut déterminer ce qu'implique exactement ce mouvement, et où il conduit. » PICARD Etienne, L’émergence des droits fondamentaux en France, AJDA, 1998, p. 6

318 Loi n°2000-597 du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives

319Arrêté du 30 avril 1997 relatif au diplôme d'études universitaires générales Droit et aux licences et aux maîtrises du secteur Droit et science politique, extraits, « Annexe, description des licences et des maîtrises du secteur droit et science politique I - Licence et maîtrise en droit,1 - Contenu de la licence : La licence en droit comporte 500 heures d'enseignement au moins, sous forme de cours ou de travaux dirigés, dont au moins 300 heures portent sur les matières suivantes : droit des libertés fondamentales »

320 Amendement n°136 rect., présenté par Mme Batho, M. Valls, M. Urvoas, Mme Karamanli, M. Pupponi, M. Blisko, M. Le Bouillonnec, M. Valax, M. Jung et les membres du groupe Socialiste, radical, citoyen et divers gauche : « article additionnel avant l'article premier, insérer l'article suivant :I. – La sécurité est pour chaque citoyen un droit fondamental et l'une des conditions de l'exercice des libertés individuelles et collectives », Assemblée nationale, 5 février 2010, Performance de la sécurité intérieure - (n° 2271)

321Déclaration des droits fondamentaux numériques, présentée par Hervé Morin, le 23 juin 2009, source http://droits-numeriques.org/

180. La complexité de la fondamentalité, au sein du système juridique français, réside dans la constitution d’une présomption de fondamentalité. En d’autres termes, parce qu’elle est consacrée par des textes de droit, les juridictions deviennent le moteur du développement du concept, mais, c’est une évolution au cas par cas. Parce qu’elle est consacrée par des juridictions, la sphère sociale la revendique au bénéfice de droits nouveaux poussant par là même la sphère politique à voter des textes en conséquence. Ainsi, la fondamentalité est au cœur de nombreux débats, elle est même analysée comme la caractéristique première de l’Etat de droit322. Toutefois, déterminer ce

qu’elle recouvre avec exactitude en droit interne s’avère délicat.

181. Pour tenter de cerner ce qu’est la fondamentalité en droit français, nous allons partir du paradigme posé par Louis Favoreu selon lequel : « Les droits et libertés fondamentaux désignent donc simplement les droits et les libertés protégés par des normes constitutionnelles ou (et) européennes et internationales. Ni plus, ni moins.323 » Cette définition de la fondamentalité s’avère très large puisqu’elle suppose

que dès qu’une liberté connaît une consécration juridique parmi les trois niveaux normatifs exposés, elle entre dans le champ de la fondamentalité. Cette définition apparaît comme corroborant cette présomption de fondamentalité qui est intrinsèquement liée à l’idée présentée par Etienne Picard selon laquelle : « ces droits fondamentaux ne représentent rien de très nouveau : leur émergence ne serait qu'un épiphénomène à portée limitée, essentiellement verbale.324 » Reprenant la méthode proposée par le Professeur Picard, nous allons tenter de confronter cette approche sereine de la fondamentalité à la réalité de son application.

182. Cette confrontation nous amène à mettre en lumière, dans une section première, que ce concept est défini de manière paradoxale notamment par les juridictions, ce qui conduit au maintien d’une présomption de fondamentalité325 que nous analyserons

dans une section deuxième.

322 « caractère d’un Etat où la protection des droits fondamentaux des personnes se trouve effectivement garantie par la mise en œuvre de règles institutionnelles, de normes juridiques et de procédures juridictionnelles » BRAUD Philippe, Sociologie politique, 5e édition, Paris, L.G.D.J, 2000, p. 607

323FAVOREU Louis, GAIA Patrick, GHEVONTIAN Richard, MESTRE Jean-Louis, PFERSMANN Otto, ROUX André, SCOFFONI Guy, Droit constitutionnel, 7e édition, Paris, Dalloz, 2004, p. 758

324 PICARD Etienne, L’émergence des droits fondamentaux en France, AJDA, 1998, p. 6

325 « L'enthousiasme se manifeste surtout à l'extérieur du monde des juristes, pour autant que cette apparition soit clairement perçue en dehors de ce cercle. Mais l'intuition qu'on en a est forte et la possible ignorance du droit en