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PLOMBIER-SOUDEUR : LA FIN ANNONCEE D'UNE FIGURE PROFESSIONNELLE ?

6 RECOMPOSITION ET CONTINUITE DE QUELQUES PROFILS OUVRIERS ET CADRES

6.4. PLOMBIER-SOUDEUR : LA FIN ANNONCEE D'UNE FIGURE PROFESSIONNELLE ?

La soudure est généralement considérée par les salariés et les employeurs comme une compétence importante en plomberie. La formation certifiée à la plomberie (CAP, BEP) lui réserve une place significative.

L'intérêt de l'étude de l'artisan ECOVOLT pour notre recherche tient à sa volonté de changer la définition traditionnelle du plombier comme un soudeur, et donc de modifier une partie des qualifications de cette figure professionnelle du plombier. L'entreprise apparaît ainsi occuper une position "avant-gardiste" dans le secteur de l'installation solaire.

Chez les chauffagistes, cette question de la soudure illustre une sorte de querelle entre ceux qui entretiennent un rapport étroit au savoir et les autres. Pour ce chef d'entreprise, l'activité artisanale est l'occasion des réaliser de nouveaux apprentissages, notamment par "expérimentation au cours de l'activité de production"169:

"il y a pas mal de gens, aujourd'hui, enfin, dans la profession, qui se rattachent à, j'entends dire : "moi, ça fait 20 ans que je fais du cuivre, j'ai toujours fait du… je vois pas de raison de changer". Ben, non, au contraire, aujourd'hui, il y a des techniques différentes, qui permettent, qui apportent autre chose, c'est vrai que ça peut être frustrant pour le gars qui, pendant…" (Gérant ECOVOLT, Bac + 5)

Selon le gérant, si "les techniques ont évolué", le contenu des diplômes de base (CAP, BEP) n'aurait pas suivi cette évolution :

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Cf. Piotet F. (sous la direction de) (2002), La révolution des métiers, Le lien social, PUF, p. 17.

"F., mon précédent employé, il a passé le CAP en candidat libre. Le CAP, c'était sur les techniques de chauffage comme on faisait il y a 15 ans, 20 ans. (…) On les forme à faire de la soudure sur de l'acier noir. Nous, on travaille plus comme ça. On a des machines à sertir, des matériaux composites, des multicouches en PER170 avec de l'aluminium… Ce genre de matériel, c'est du plastique avec un aluminium, ça se cintre comme du cuivre, ça se sertit, sur les raccords, on ne soude plus, donc…" (Idem). Selon le gérant, ces formations classiques seraient même préjudiciables pour les personnes qui souhaitent entrer dans le secteur des énergies renouvelables. Pour lui, ceux qui sont passés par d'autres voies de formation n'ont "pas de passif".

Indirectement, c'est le système de formation lui-même qui est décrit comme en retard:

"et après, il y a, je pense, un gros décalage, entre les moyens… si les élèves, aujourd'hui, dans les formations professionnelles travaillent avec des techniques ancestrales, enfin, que je considère comme ancestrales, j'ai peut-être un jugement…! Voilà, si, ils travaillent avec des techniques un peu anciennes, il y a plusieurs raisons, c'est que les formateurs, les maîtrisent, et qu'ils ne maîtrisent, souvent, que celles-là, c'est-à-dire qu'il y a peut-être un problème de renouvellement de leurs… des gens qui ont quitté le terrain, souvent, ils ont été sur le terrain, à des époques anciennes…" (Idem).

Plus remarquable encore, chez ce gérant, est la représentation de l'ouvrier comme quelqu'un de non-manuel:

"Avant la plomberie, c'était de la tuyauterie. Aujourd'hui, les chaudières, c'est fini, on est plutôt sur les générations pompes à chaleur, tout ça, même les chaudières de dernière génération, qu'est-ce que c'est? C'est, souvent, tout packagé, vous avez tout à l'intérieur, les organes de sécurité, vous arrivez, vous branchez les deux tuyaux, départ chaud, retour froid, hein, je simplifie, mais, vous avez presque que ça à faire, sur ce type d'installation. Par contre, vous avez une régulation, avec des paramètres, des courbes de chauffe, des choses à régler, donc vous sollicitez, vous montez en… compétences, vous exigez plus du chauffagiste…" (Idem).

Le gérant ajoute:

"C'est moins manuel. On a un peu plus intellectualisé le métier, là."

Le "tour de main" ne serait qu'une trace du passé qui "perdure" chez quelques rares "métiers":

"mettre en œuvre un plâtre, ou un enduit à la chaux, il va y avoir un tour de main à avoir, une façon… là, il y a une technicité à développer, et qui va s'acquérir par la pratique, la répétition, et tout ça. Mais, par contre, vous prenez, je sais pas, des techniques, aujourd'hui, 90 % des réalisations sont faites en placoplâtre, sur ossature métallique, c'est du légo, aussi, hein. Le gars, il tire ses rails, il a le niveau laser, il

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Le PER est l'acronyme du Polyéthylène Réticulé haute densité. Le multicouche est un tube en aluminium pris en sandwich entre deux épaisseurs de PER. Il a l'avantage de ne pas laisser passer l'oxygène et c'est très utile pour les circuits de chauffage (moins d'oxydation). Le multicouche est facilement cintrable ; il est solide tout en étant très léger.

faut qu'il sache régler son niveau laser pour mettre tous ses rails (…). Il y en a, quelques métiers… oui, vous allez toujours avoir des tailleurs de pierre [il se reprend] non, mais, il y a quelques métiers qu'il faut, il faut pas perdre ces savoirs sur certaines…" (Idem).

Mais cette conception avant-gardiste est loin de remporter l'adhésion des autres artisans du solaire, notamment ceux dont la formation est avant tout manuelle :

"Chacun sa manière de travailler. Mais, moi, il me faut absolument un soudeur; parce que le problème, quoi qu'il arrive, il faut toujours faire une soudure sur une installation. Et le jour, en fait, où… même si on n'en fait jamais, le jour où il y a un souci, ben, comment on fait, quoi ? Si on sait pas souder… et surtout que nous, il faut savoir qu'on fait des installations collectives, du collectif, vous allez souder le galva171, des choses comme ça, c'est des tuyaux de 50, ça a plus rien à voir, quoi. Et ça, on va pas le sertir. Donc, là, tout dépend de ce qu'on fait. C'est vrai qu'il y a des installations, il n'y a plus besoin de souder. Mais on est plus ou moins obligé de souder, quoi" (Gérant, LUMIERES).

De leur côté, que pensent les ouvriers qui travaillent chez l'artisan "avant-gardiste" à propos de la soudure?

Ils mettent en avant, eux aussi, les avantages du sertissage, tout en affirmant que la soudure ne peut pas totalement disparaître.

Mais, pour ces ouvriers, qui n'ont pas suivi un parcours de formation professionnelle classique (CAP, BEP), la professionnalité ne s'est pas construite sur cette aptitude manuelle, et la marginalisation du travail de soudure est bien acceptée. Ainsi, on observe un certain accord entre la conception du métier donnée par le gérant et celle des ouvriers:

"c'est vrai qu'on travaille beaucoup en sertissage, c'est vrai que ça permet, lorsqu'on sait pas très bien souder, qu'on a un manque de pratique, de pouvoir faire une installation extrêmement propre, notamment lorsque c'est des installations, lorsqu'on refait toute l'installation. Par contre, lorsqu'on doit se repiquer sur du vieux, là, ça peut manquer d'avoir des lacunes en soudure, parce qu'il y a un moment où peut-être il va falloir souder, quoi. Donc, là, bon, moi, c'est vrai que j'ai un petit peu soudé pendant ma formation, mais pas assez pour me dire performant, mais j'ai un petit peu soudé en maintenance". (Ouvrier installateur, Bac + 5, ECOVOLT).

"[la soudure] à un moment ou à un autre, ça peut servir. Mais, on peut s'en passer. On peut très bien s'en passer, on gagne effectivement du temps, lorsqu'on maîtrise un peu toutes les pièces qui sont à notre disposition, on gagne pas mal de temps, ça fuit pas, c'est assez sûr comme système, et puis… ouais, non, c'est vraiment pas mal, quoi, ça permet de faire de la belle plomberie (…)". (Idem).

6.5. L'INNOVATION, UN STIMULANT DES PARCOURS