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1 L'ENJEU D'UNE PLUS GRANDE FORMALISA TION DES COMPETENCES

1 2 DES FORMATIONS ENCORE RARES : L'EXEMPLE DE L'ENERGIE SOLAIRE

1.3. LES LIMITES DE LA FORMATION SUR LE TAS

Nous venons de montrer comment le développement de l'énergie solaire, s'il n'est pas accompagné d'un dispositif de formation approprié, conduit les entreprises à produire la plus grande partie des compétences utiles via l'apprentissage sur le tas. Or, les entreprises elles- mêmes reconnaissent les limites de cette pratique de formation, tant pour transmettre des "savoir-être", que pour maîtriser réellement les savoir-faire indispensables.

1.3.1. Chez certains ouvriers, le manque de connaissances de base est une limite à la stratégie d'élévation des qualifications

Plusieurs de nos interlocuteurs ont insisté sur les difficultés à gérer une main-d'œuvre qui éprouve des carences de formation importantes, en particulier des savoir-faire, sinon des savoir-être jugés élémentaires.

Ce cadre commercial d'une PME spécialisée dans la production et l'installation de matériaux isolants écologiques estime que, pour obtenir une pose de matériaux réellement isolante, la principale qualité demandée aux ouvriers est d'avoir un "cerveau" (Cadre commercial, ECO LAINE, 11 salariés).

Pour ce conducteur de travaux, savoir entretenir un outil, "ça fait partie du basique" que bien des ouvriers ne possèdent pourtant pas. Il nous décrit ainsi un cas de figure où un savoir-être qu'il qualifie de "basique" est absent:

"(…) pour vous montrer à quel point les gens sont en manque de quelque chose: un ouvrier, donc, était en train de mettre un panneau cloué sur une planche. Il n'y a rien de plus bête, planter une clou. Il avait un marteau, il avait un clou. Et le marteau, je le regardais, comme ça, et il a tapé dix fois à côté. Alors, je l'ai laissé faire, et puis quand il a eu fini, je lui ai dit: tu peux me donner ton marteau? Je prends le marteau, le marteau était dégueulasse. La portée, qui va sur le clou, elle était sale, elle était graisseuse. J'ai pris un agglo à côté, j'ai frotté le truc, je lui ai dit: tu peux en replanter un? Pouf-pouf, trois coups, il a planté le marteau, il a pas tombé un coup à côté. Donc, ça venait pas de lui, ça venait de l'outil, qu'il n'avait pas entretenu pour faire le travail qu'il avait à faire. Travail, tout ce qu'il y a de plus bête: planter un clou" (Conducteur de travaux TP, CB ECO Côte d'Azur).

La situation de ce salarié reflète une carence de formation, notamment celle transmise en situation de travail:

"Je vais jusqu'à dire que, jamais personne ne lui a dit comment faire pour planter un clou… alors, il m'a regardé, quand j'ai gratté le truc, il m'a regardé: qu'est-ce qu'il veut? Et je lui ai prouvé que ce que j'avais fait, ça allait lui servir pour planter le prochain clou qu'il avait à planter, tout simplement. Donc c'est quelqu'un qui a appris quelque chose, bêtement, et qui va, je pense, le reproduire la prochaine fois." (Conducteur de travaux TP, CB ECO, Délégation Côte d'Azur).

Plus largement, le niveau de formation initiale des ouvriers est faible. Comme le dit ce cadre, "les bac pro, c'est pas nos ouvriers". Nous avons effectivement montré en introduction qu'une minorité des ouvriers du gros œuvre détenait une formation égale ou supérieure au niveau V (CAP, BEP).

Sans doute, les propos précédents expriment l'analyse d'un encadrant de chantier, directement concerné par les carences de la qualification des salariés qu'il dirige. Mais elle nous interroge sur la capacité de la formation sur le tas, telle qu'elle se pratique actuellement, à transmettre des savoir-être cruciaux (minutie, autonomie…) pour favoriser le développement des nouvelles technologies énergétiques et environnementales.

1.3.2. Les limites de la formation sur le tas

a - L'exemple de la couverture de bâtiments

La pose de panneaux solaires photovoltaïques requiert des compétences en matière de couverture des bâtiments. En effet, la pose implique de découvrir le toit pour y installer les panneaux, et surtout de le recouvrir correctement, c'est-à-dire d'en assurer l'imperméabilité. Actuellement, les ouvriers qui posent ces panneaux se forment essentiellement sur le tas. Ce qui n'est pas une situation satisfaisante si nous écoutons ce chef de PME

"(…) bien sûr, ça serait mieux si on était couvreur. C'est clair, on se faciliterait la tâche. Pour le photovoltaïque, c'est toujours un avantage d'avoir un vrai couvreur zingueur, un métier qui n'existe presque plus aujourd'hui" (Gérant, VERMONT). Selon ce chef d'entreprise, les couvreurs zingueurs auraient disparu, comme les témoins d'un passé artisanal qui aurait vécu… Tel n'est pas l'avis d'autres entreprises, notamment celles spécialisées dans la charpente et la menuiserie. Nous pouvons alors faire l'hypothèse que les couvreurs zingueurs ont pour habitude d'aller travailler dans ces entreprises du secteur du bois ainsi que dans d'autres domaines de la construction, et que ces dernières forment leurs salariés à cette spécialité. En revanche, nous pouvons penser que les couvreurs zingueurs ne viennent généralement pas s'inscrire dans l'espace de mobilité propre au secteur de l'installation solaire, ce qui expliquerait mieux pourquoi les chefs d'entreprise pensent que ce "métier n'existe presque plus aujourd'hui". Ce qui signifie aussi que des métiers traditionnels sont recherchés dans des activités où ils sont peu présents. Nous pourrions en déduire que certains d'entre eux pourraient se former à des compétences complémentaires dans le domaine de l'énergie solaire.

Plusieurs autres artisans confirment la nécessité d'être compétent dans le domaine de la couverture. Nombre de malfaçons constatées chez des clients proviennent d'une mauvaise

couverture des ouvrages sur lesquels des panneaux photovoltaïques ont été posés. Selon ces artisans, outre les compétences classiques en électricité et en plomberie, l'installateur solaire devrait aussi être formé à la couverture de bâtiments.

Mais, l'intérêt d'une qualification à la couverture des bâtiments s'avère liée au changement technologique des matériaux. Ainsi, dans son principe, la "tuile photovoltaïque" permet d'éviter le coût d'intégration des panneaux photovoltaïques traditionnels en proposant des panneaux étanches66, ce qui rend inutile le travail des étancheurs. Les changements attendus d'une telle innovation technologique dépendent néanmoins de la conception que les artisans partagent en matière d'installation solaire. Peut-on envisager de faire appel à la même entreprise pour la pose des tuiles en terre cuite et pour les tuiles photovoltaïques ? Ces dernières n'exigent-elles pas, pour être correctement posées, des compétences spécifiques liées à l'énergie solaire ? Les réponses à ces questions dépendront notamment de la définition que les entreprises donneront à la qualification professionnelle et à la qualité des produits.

b - L'appréhension des cadres de chantier autodidactes face à la "paperasse" de la HQE Chez CB ECO, les cadres de chantiers autodidactes rencontrés exprimaient une appréhension - et parfois une réticence - face aux nouvelles procédures introduites par la HQE. Ainsi, ce conducteur de travaux redoute d'être dépassé par le niveau des exigences de la démarche HQE :

"Moi, j'y ai jamais goûté [à la HQE], donc, je sais pas trop. Mais je pense qu'il doit y avoir une contrainte, enfin, pour moi c'est une contrainte, une contrainte papier, et suivi et traçabilité, beaucoup plus importante que celle que je peux avoir aujourd'hui (…). Papier, pour moi, au départ je suis un homme de terrain, je suis devenu paperassier… par la force des choses, loin d'être par plaisir, et j'ai une formation complètement… ben, je suis un autodidacte, quoi. Donc, voilà, je suis allé à l'école jusqu'à 14 ans". (Conducteur de travaux TP, CB ECO, Délégation Côte d'Azur). Un autre salarié de CB ECO, chef de chantier de travaux publics titulaire d'un titre de niveau IV, confirme aussi le constat d'une croissance des consignes écrites en matière environnementale, qui viennent se greffer à des consignes de qualité. Ceci se traduit par la multiplication des normes de gestion à appliquer sur le chantier et d'assurance de la qualité (dont l'environnement est une des parties). De son côté, la hiérarchie exerce un contrôle accru.

1.3.3. La conversion à l'"apprentissage expérientiel" des salariés diplômés dans les PME innovantes

Dans ce paragraphe, nous montrerons que, dans l'installation solaire, par exemple, même les plus diplômés des salariés peuvent être tentés de préférer les connaissances de terrain à celles transmises en situation de formation.

L'attitude de ces ouvriers diplômés de l'enseignement supérieur par rapport à la formation est particulière. Ils partagent l'idée qu'il est préférable de délaisser l'apprentissage théorique pour le "contact direct de soi avec (…) le monde"67. Autrement dit, ils se sont convertis à

66

Ce produit est apparu sur le marché il y a quelques années.

l'"apprentissage expérientiel", "défini (…) comme une contre-école: les épreuves d'abord, les leçons ensuite".68

Exprimant un certain rejet par rapport aux savoirs formels, tout en se considérant comme suffisamment formés, ces salariés diplômés sont paradoxalement peu enclins à suivre des formations complémentaires :

"[suivre] des formations, oui, des formations courtes, hein, pas longues, parce que ça, j'ai déjà donné… Des formations de trois jours, ouais, bien sûr. Ca peut… toujours servir." (Technicien en énergies renouvelables, Bac + 5).

De niveau de formation moins élevé (niveau IV) que les salariés précédemment évoqués, cet installateur, qui a déjà suivi une formation qu'il qualifie d'"énorme" au GRETA d'Aubagne, considère que l'acquisition de connaissances se fera désormais surtout sur le tas, poussé par "l'envie de se maintenir à jour":

"(…) on doit en apprendre tous les jours, entre les techniques, les systèmes, les améliorations, donc, pour l'instant, c'est encore un métier où on a un besoin de s'enrichir tous les jours, tous les jours. Ne serait-ce que parce que le fournisseur change un certain matériel, adopte mieux… Il faut avoir de solides bases dans le système, sa compréhension, d'où les formations. Et puis après, il faut avoir aussi l'envie de se maintenir à jour. Parce que, quoi qui se fasse, le matériel évolue." (Installateur mainteneur en systèmes thermiques et photovoltaïques, niveau IV).

Finalement, même chez les salariés les plus diplômés, la transmission formelle des connaissances ne représente qu'une solution partielle pour être polyvalent et suivre des changements techniques. Les dispositions acquises au travail dans le bâtiment inciteraient à préférer une transmission informelle à une formation explicite.

1.3.4. La formation, un outil limité pour "changer les mentalités" ?

D'après ce cadre, pour mettre en œuvre des innovations sur les chantiers, le changement des "mentalités" des salariés est prioritaire par rapport à celui de leurs compétences:

"personnellement, je préférerai qu'on en vienne, effectivement, plus rapidement, à ce genre de technique [la brique monomur], mais… il faut que tout le monde soit convaincu que… on doit tous aller dans le même sens quoi, l'évolution des mentalités, plus que l'évolution des compétences. Quand l'évolution des mentalités aura fonctionné, on pourra passer à l'évolution des compétences. Pas l'inverse. De toutes façons, travailler sous la contrainte, ça n'apporte jamais rien. Donc, si la personne, après, elle est persuadée, que ce qu'elle fait, elle le fait de la bonne manière et comme elle doit le faire…" (Animateur Prévention et Progrès, CB ECO, Délégation Méditerranée).

Nous pourrions faire l'hypothèse que la formation, au-delà de la transmission de connaissances, pourrait avoir un objectif plus général de changement du regard porté sur les innovations environnementales. Lorsque nous lui suggérons qu'une formation à

l'environnement, même légère, pourrait justement "changer les mentalités", ce cadre reste dubitatif:

"[la formation à l'environnement], ils [les ouvriers] le font déjà. Mais, par contre, quand je parle bien d'évolution de mentalité, c'est qu'ils le font déjà, mais qu'ils sont juste pressés qu'on passe à l'heure suivante, où on parle: comment on coule du béton, comment on coule… voilà. C'est comme quand nous on a été à l'école, si on aimait les maths, le français, on n'écoutait pas trop, ou inversement, quoi. Eh bien, l'environnement reste encore une matière qui est, malheureusement, pas valorisée … quand on parle de l'aspect général du métier, hein. Je ne parle pas de ceux qui sont dans des bureaux d'études d'environnement, j'ose espérer que, eux, ils sont convaincus ! " (Idem).

Nous avons pourtant vérifié si les ouvriers "font déjà" de la formation à l'environnement. Les référentiels d'activités professionnelles de certains CAP du bâtiment (maçon, couvreur, etc.), réservent effectivement une part à l'environnement, mais elle est minime. Le CAP de constructeur en béton armé du bâtiment prévoit une activité "respect de l'environnement" plus prononcée que dans d'autres CAP. Dans le référentiel du CAP de maçon, une dimension environnementale est également présente dans l'activité "traitement des déchets de chantier". Sans doute s'agit-il autant d'une exigence à proprement parler environnementale que d'une préoccupation plus pratique liée à la sécurité et à la bonne organisation du site.

1.3.5. La formation des artisans traditionnels : "on a appris il y a longtemps" Nous qualifions de "traditionnels" une partie des artisans installateurs d'énergies renouvelables (solaire, géothermie) que nous avons rencontrés. Ils se caractérisent par une ancienneté importante dans leur secteur d'activité, un niveau de formation "plancher" des salariés - CAP/BEP -, et une conception écologique de l'installation peu développée et parfois absente de leur stratégie de développement. Globalement, selon ces artisans, la maîtrise des NTEE ne nécessite pas de formation spécifique ni supplémentaire.

Ainsi, d'après cet artisan plombier chauffagiste, les ouvriers n'ont pas de difficulté à acquérir les compétences en énergie solaire. Il leur suffit de savoir lire un schéma d'installation, ce que sait faire tout bon ouvrier. Ici, l'ouvrier est défini comme un "homme de métier" (Piotet, 2002), capable de s'adapter aux nouvelles exigences de son travail. De plus, l'entreprise détient une expérience des premières campagnes d'économie d'énergie menées dans les années 80:

"donc, le matériel arrive, il a sa conception, on regarde un schéma si on sait pas. Une fois qu'on a vu le schéma, ben, après, c'est des tuyaux, on branche! Et c'est pour ça que c'est un matériel qui a été facilement assimilable. Bon, en plus, nous, on a une entreprise qui a une particularité, peut-être, par rapport aux autres, c'est que nous, on a fait les premières campagnes [économies d'énergie] des années 80 (…) On a appris il y a longtemps, il y a longtemps, à poser ce type de matériel." (Gérant de PME, Plombier Chauffagiste, 16 salariés).

"aujourd'hui, on pose le même matériel qu'on posait il y a 20 ans. Alors, il y a plus de rendement, parce que les capteurs ont évolué, mais le matériel, c'est le même. Exceptée la performance." (Idem).

Or, ces artisans "traditionnels" forment encore la majorité des petites entreprises du second œuvre. Cela signifie que, pour le moment, dans ces entreprises, le développement des énergies renouvelables pourrait ne pas s'accompagner d'une montée significative de la demande de formations spécialisées.

1.4. NTEE ET DEMARCHES COMPETENCES : DES DIRECTIONS