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2.3 La socialisation

2.3.6 Les plis de la structure sociale

Nous avons vu que la socialisation se faisait grâce à des instances comme la famille. Néan-moins elle se réalise aussi à bien plus grande échelle. Nous allons examiner maintenant comment la socialisation est influencée par les grandes structures sociales, nommées ici les "plis".

Afin de comprendre les plis de la structure sociale, Darmon (2006) utilise dans son ouvrage l’exemple de la feuille chiffonnée. Nous devons imaginer l’individu comme une feuille chiffonnée. En regardant cette dernière, nous pouvons constater un extérieur, les plis qui représentent le "dehors" (structures sociales et historiques qui nous ont façonnés) et un intérieur, le "dedans" (l’individualité, nos jugements, nos goûts tout ce que nous intério-risons personnellement). Selon cette métaphore de Gilles Deleuze reprise par Bernard Lahire (1995, p. 217–225), les trois principes de variation correspondraient à des "opérations de plissement". Chaque individu est le résultat d’un nombre considérable de "plis" de la structure sociale.

Nous allons explorer maintenant les trois principes de variations des socialisations. Mais, avant tout, un bref exemple de ces variations : Dans la socialisation primaire, l’enfant ne se socialisera pas de la même manière s’il ou elle naît en 1800 ou en l’an 2000, s’il ou elle est le fils ou la fille d’une paysanne ou d’une grande PDG et enfin s’il ou elle est une fille ou un garçon. Les trois principes illustrés en toile de fond de cet exemple sont l’histoire, la classe et le genre (Darmon, 2006, p.25).

1. Le poids de l'histoire

Nous appartenons tous, en tant qu’individu, à une génération. Avec les personnes de notre génération, nous partageons une base commune qui nous permet de nous opposer aux autres générations et de nous rassembler avec les individus de notre âge.

Norbert Elias, sociologue, défend l’idée que les socialisations ne sont pas seulement diffé-rentes d’une époque à une autre mais que la différence est conduite selon un axe d’auto-contrainte. Il pense que l’histoire de la société et l’histoire individuelle de chacune sont reliés par une "loi fondamentale sociogénétique".

“L’histoire d’une société se reflète dans l’histoire interne de chaque individu ; chaque individu doit parcourir pour son propre compte en abrégé le processus de civilisation que la société a parcouru dans son ensemble.”

(Darmon, 2006, p.27) Cet ensemble, cité ci-dessus, est l’intériorisation progressive des contraintes. Lors de la socialisation primaire, par exemple, on exerce sur nous différentes contraintes comme ne plus faire ses besoins dans une couche mais dans un w.-c. Petit à petit, l’enfant acquiert cette contrainte et la transforme en autocontrainte. L’autocontrainte s’aperçoit lorsque

l’enfant lui ou elle-même ne veut plus faire ses besoins dans sa couche : il ou elle sera même dégoûtée à l’idée d’être en contact avec ses selles ou son urine. L’emploi des sanitaires, dans notre société, a été introduit peu à peu, avec l’avancée de l’histoire et cela, dans le processus de civilisation. C’est maintenant une exigence, un besoin "automatique" de l’imposer d’une génération à une autre (Darmon, 2006, p.25-28).

2. La socialisation de classe

L’histoire permet non seulement de former une base commune entre les générations mais aussi de créer une différenciation car elle oppose les générations entre elles. Au sein d’une génération, on trouve des facteurs de différenciation, dont l’origine de l’individu, c’est-à-dire l’appartenance de classe des parents. Voici, par un exemple, comment la position sociale d’un individu peut avoir une influence sur une pratique.

Selon la position sociale des individus, les produits alimentaires consommés varient. Chez les femmes, plus on est dans des catégories socioprofessionnelles dites supérieures, plus le poids moyen diminue. Chez les adolescentes, on remarque que les enfants de cadres ont une variation des fréquences du surpoids et de l’obésité plus faible que les enfants d’ouvriers ou d’ouvrières non qualifiées. L’analyse de ce dernier fait est simple. Dans les classe inférieures, il y a une plus grande consommation d’aliments gras et calorique et une sous-consommation de légumes et fruits frais et de poissons non-modifiés. Les revenus financiers ont une influence sur la manière de s’alimenter.

Ma question de recherche traitant de la socialisation mais du sport également, j’intègre un petit aparté dans ce chapitre.

Les classes sociales ont comme pour la consommation de nourriture une grande influence dans la pratique du sport. Plus les parents sont diplômés plus le ou la jeune pratiquera un sport fréquemment (Darmon, 2006, p. 28-37).

Un article du livreCorps dominés, corps en rupture parle d’une recherche de Boltanski sur la distribution sociale des pratiques sportives. Cette étude affirme que les travailleurs choisissent leur sport selon les compétences et capacités qu’ils doivent développer pour leur métier. Un ouvrier ou une ouvrière choisira un sport de combat rapproché comme la lutte ou la boxe, qui demande une grande force physique, alors qu’une cadre optera pour une activité nécessitant des acquis d’ordre technique ou scientifique (Louveau, 2007). Malgré des études réalisées, la socialisation au sein de la famille est difficilement observable lors de sa construction. Pour réussir à l’identifier, il faudrait rester plusieurs années au sein de la même cellule familiale et observer en continu les interactions entre ses membres. De plus, cela devrait se faire sans que l’intrusion dans le milieu ne modifie leurs pratiques. Des enquêtes permettent tout de même d’analyser ce processus (Darmon, 2006, p. 28-37).

3. La socialisation de genre

En 1970, Elena Gianini Belotti met en évidence les différents canaux sociaux de la différence des sexes dans la petite enfance. Elle relève que ce système de conditionnement est souvent précoce et commence déjà avant la naissance du bébé, avec le choix des couleurs et de l’aménagement de la chambre du nouveau-né. Lorsque le bébé est là, on le nourrit déjà différemment selon son sexe. On encouragera le petit garçon à bien manger tandis qu’à la petite fille, on imposera un appétit plus modéré. Les actions des parents vont également être différentes avec la fille ou le garçon. On tolère mieux chez la fille qu’elle pleure ou qu’elle ait peur mais on accepte moins des cris ou des hurlements trop bruyants.

Voici un autre exemple : on apprendra à des petits garçons à shooter dans un ballon tandis que les filles devront lancer le ballon avec les mains. Une citation du livre de Gianini Belotti (1974, p.102) résume bien ce constat :

“L’adulte effectue une véritable sélection automatique de ses interventions en fonction des sexes.”

(Darmon, 2006, p.27) Et c’est sûrement pour cela que nous, hommes et femmes, sommes si différents. Dans les jouets, là encore, le clivage est très présent :

“Les voitures, mallettes de bricolage, déguisements "masculins" favorisent la mobilité, la manipulation, l’invention et le goût de l’aventure ; ceux des filles [poupées, ustensiles de cuisine, trousses de maquillage, panoplies d’infirmières, de fées ou de princesses] développent l’intérêt porté à soi et aux autres, dans la mise en avant de la séduction et de la maternité.”

(Croner, 2005, p.192-194) L’usage du temps libre chez les adolescentes souligne aussi cette différence entre les sexes. Pour gagner de l’argent de poche, les filles gardent des enfants et des bébés et les garçons exercent des petits travaux (laver la voiture, tondre le gazon...) : les femmes à l’intérieur et les hommes à l’extérieur. Pour les loisirs, c’est le même schème : on sensibilisera les filles aux activités artistiques ou sportives en lien avec l’esthétisme ou les animaux (natation, danse, gymnastique, équitation).

“Aux femmes et aux filles, les activités dites "féminines", esthétisantes, impliquant le travail des apparences au moyen de la danse et de la gymnastique sous toutes ses formes.”

(Louveau, 2007, p.59-60) Tandis qu’on poussera les garçons à pratiquer le football, les arts martiaux, le cyclisme ou les jeux vidéo, l’informatique (Darmon, 2006, p.37-43).