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Plasticité des génomes de microorganismes laitiers et environnementaux

Chapitre 2 – Revue de littérature

2.4. La génomique : un outil pour mieux comprendre l’activité et la diversité au sein d’une

2.4.1. Plasticité des génomes de microorganismes laitiers et environnementaux

En quelques années, les techniques de typage des microorganismes ont grandement évolué, celles-ci se spécialisant de plus en plus afin de fournir de l’information plus précise. D’abord, par utilisation de gel d’électrophorèse en champs pulsés (Pulsed field gel electrophoresis, PFGE), il est possible de démontrer qu’il y a présence de polymorphisme au niveau de l’ADN chromosomique chez certains microorganismes (98). En effet, par cette technique, il a été établi que des souches de Y. lipolytica se différenciaient les unes des autres selon leur caryotype (polymorphisme au niveau du nombre et de la taille des chromosomes), la majorité se regroupant dans trois groupes différents, et les souches restantes présentant un caryotype unique (99). Dans le même ordre d’idées, des souches de lactocoques et d’enterocoques ont chacune été séparées en 14 groupes présentant des caryotypes différents, mettant en évidence des différences marquées entre les profils des souches indigènes et ceux des souches de référence (46). Bien que ce type d’analyse mette en évidence une certaine diversité génétique parmi des souches d’une même espèce, il a été souligné que les caryotypes ne donnent pas d’indices sur l’activité phénotypique des souches, et de fait sur la diversité des gènes que possède chacune des souches (47). En effet, il a été démontré que deux souches de Lactobacillus casei présentant des profils chromosomiques identiques avaient des activités phénotypiques très variables. Ainsi, cette technique dresse un portrait intéressant en ce qui concerne la structure du génome des souches, mais fournit très peu d’informations sur l’activité de celles-ci. Par conséquent, les méthodes de séquençage de génomes complets sont de plus en plus priorisées pour avoir de l’information sur la diversité du contenu en gènes des souches (47).

D’autres techniques de biologie moléculaire sont aussi souvent utilisées pour démontrer la diversité entre des souches d’une même espèce, soit la méthode d’amplification aléatoire d’ADN polymorphe (RAPD-PCR), celle d'amplification aléatoire de microsatellites (RAM-PCR) ou encore celle d’amplification des séquences qui séparent les Long Terminal Repeats des rétrotransposons (LTR). De fait, l’usage de ces méthodes a permis de regrouper des souches d’espèces spécifiques avec des types de fromages spécifiques. En effet, des isolats de P. roqueforti (n = 140) ont été classés en 13 différents groupes, selon les types de fromages bleus produits (51), alors que des souches de K. marxianus (n = 54) ont été séparées en fonction qu’elles provenaient d’un fromage Parmigiano

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Reggiano ou d’un fromage Pecorino di Farindola (100). Par ailleurs, les profils de RAPD-PCR des souches regroupées pour le fromage de type Pecorino di Farindola étaient plutôt similaires, alors que les profils de celles regroupées pour le Parmigiano Reggiano étaient relativement différents, démontrant une structure de population très riche. Des souches de D. hansenii (n = 56) et de K. marxianus (n = 61) isolées de différents fromages français provenant de différentes régions ont également démontré des profils de typage très diversifiés, mettant l’emphase sur la particularité de l’effet terroir et la typicité des fromages par les souches qui s’y retrouvent (101). Cette conclusion pour des souches de D. hansenii (n = 187) a également été faite dans le cadre d’une autre étude utilisant des techniques de typage avec microsatellite, où 12 profils électrophorétiques différents ont été identifiés, et pour lesquels il a été observé que les souches provenant d’une même région étaient génétiquement plus rapprochées, mais que plus d’une souche de cette espèce pouvait tout de même se retrouver dans des fromages de chèvre (48).

Le séquençage de gènes domestiques (Multi-locus sequence typing, MLST), c’est-à-dire des gènes constitutifs intervenant dans le métabolisme central des microorganismes, est également une technique qui a fait ses preuves pour démontrer la diversité présente parmi des souches d’une espèce. Dans le cadre d’une étude sur des souches de S. thermophilus (n = 178) isolées de différents produits laitiers, cette technique a permis d’identifier 116 séquences types (ST), soit des profils présentant des variabilités de séquences nucléotidiques au niveau de locus prédéfinis (102). Cette diversité génétique au sein des souches de S. thermophilus a permis d’associer les regroupements (clusters) de souches à des situations géographiques précises. L’identification de régions polymorphiques par le séquençage de gènes domestiques permet ainsi une classification initiale des souches selon leur diversité (103), permettant notamment d’évaluer si des analyses subséquentes des génomes complets devraient être réalisées.

Le séquençage des génomes complets de souches d’une même espèce permet pour sa part d’obtenir un ensemble d’informations beaucoup plus complètes que le typage avec régions génétiques définies car il est non seulement possible de connaître le niveau de diversité entre les souches, mais également leur différence en rapport à des activités métaboliques d’intérêt (par la prédiction de gènes). Plusieurs génomes de bactéries étant maintenant accessibles sur les banques de données, par exemple pour l’espèce S. thermophilus, il est facile de comparer leurs génomes par l’identification de SNPs (Single Nucleotide Polymorphism) (104) ou encore de comparer deux à deux tous les gènes partagés entre deux souches (102). La reconstruction phylogénétique à partir de ces résultats a ainsi permis dans une première étude d’observer une grande variabilité en rapport à la présence et l’abondance de gènes impliqués dans le catabolisme des acides aminés et des glucides chez différentes souches de

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S. thermophilus (104). Étonnamment, il n’a pas été possible dans ce cas d’établir de relation entre les clusters identifiés et la distribution géographique des souches. Dans une seconde étude, l’utilisation de génomes de souches de S. thermophilus a permis d’identifier la formation de cinq groupes distincts de souches de S. thermophilus, confirmant ainsi la diversité génétique observée au sein de cette espèce à partir de résultats d’analyse MLST préalablement obtenus (102).

Le séquençage et la comparaison de génomes par l’identification de SNPs de souches pathogènes, telle C. botulinum (Groupes I et II), permet notamment d’améliorer les tests de détection de pathogènes en fournissant une meilleure compréhension de la variabilité des gènes codant pour des neurotoxines. En effet, il semblerait que les souches de C. botulinum auraient tendance à se regrouper selon le type de neurotoxines qu’elles produisent (105). Dans le même ordre d’idées, le séquençage et la comparaison de deux génomes de souches phytopathogènes de P. digitatum a permis de mieux comprendre le phénomène variable de résistance à certains fongicides entre ces deux souches (106). L’identification d’un petit nombre de changements génomiques (perte ou gain de régions génomiques, SNPs) a ainsi mis en évidence la présence de gènes uniques chez chacune des souches de Penicillium digitatum, ceux-ci pouvant potentiellement être reliés à la résistance plus élevée pour l’une des deux souches (106).

Bien que présents en moins grande quantité, des génomes de levures se retrouvent aussi de plus en plus disponibles sur les différentes bases de données, permettant ainsi de mieux exploiter le potentiel biotechnologique de plusieurs souches de différentes espèces. De fait, en comparant le contenu génétique de quatre variétés de la levure Aureobasidium pullulans, il a été possible de les séparer en quatre nouvelles espèces, l’une d’entre elles ayant été spécifiquement identifiée comme étant un pathogène opportuniste chez les humains. Cette différenciation réalisée par identification d’une grande variabilité au niveau de l’abondance de familles d’enzymes extra-cellulaires a ainsi permis de mieux cerner l’identification de souches problématiques pour la santé humaine (107). Par ailleurs, la comparaison des génomes d’une douzaine de souches de S. cerevisiae, l’une des espèces de levure les plus étudiées, a permis d’identifier une variation importante de leur contenu génétique (108). Il a de fait été émis que cette diversité génétique contribuerait majoritairement à la forte variabilité phénotypique des souches de S. cerevisiae. Par surcroît, une variabilité génétique marquée entre une souche de référence et des souches naturelles (absence de séquences génomiques chez la souche de référence) semble être reliée à la variabilité des conditions environnementales dans lesquelles les souches naturelles se seraient retrouvées, celles-ci étant soumises à une pression de sélection pour des fonctions cellulaires spécifiques (108).

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